Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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République (IIe) (suite)

Le Gouvernement provisoire cède la place à une Commission exécutive de cinq membres (10 mai). La nouvelle Chambre fait un choix significatif en n’élisant que les membres les plus modérés de l’ancien gouvernement (Lamartine, Garnier-Pagès et Marie). Elle veut écarter Ledru-Rollin et ne cède qu’à contrecœur aux instances de Lamartine. Le nouveau ministère désigné par cette commission est à l’image de la majorité. Adrien Recurt (1798-1872) remplace Ledru-Rollin à l’Intérieur. Le ministère de la Guerre est confié à un homme à poigne, le général Cavaignac (1802-1857), rappelé d’Algérie. La Constituante est bien décidée à mettre au pas les démagogues. Elle refuse la création d’un ministère du Progrès, réclamé par Louis Blanc, et la modification de la loi sur les associations. Une agitation se déclenche en province, suscitée par les classes populaires exaspérées par les mauvais résultats des élections. À Rouen, les 27 et 28 avril, les quartiers ouvriers sont canonnés. Le 15 mai à Paris, les clubs manifestent contre la politique de non-intervention en faveur des révolutions européennes. La Chambre est envahie, sommée d’abord d’aider la Pologne*, puis de créer un impôt sur la fortune.

Dans un désordre invraisemblable, le meneur de cette action, un provocateur, Aloysius Huber (1815-1865), décrète la dissolution de l’Assemblée. Armand Barbès, Blanqui et Raspail, pleinement inconscients, entraînent la foule à l’Hôtel de Ville et forment un gouvernement. Faute capitale. La garde nationale et l’armée nettoient le palais municipal et arrêtent les chefs clubistes, qui se sont mis eux-mêmes hors la loi. L’opinion est scandalisée par ce sacrilège commis à l’égard de la représentation nationale. Il est temps d’en finir. C’est ce que pense la majorité des Constituants, en particulier les royalistes, qui viennent, à la faveur d’élections complémentaires, de retrouver un leader, Thiers. La réaction attaque le ministre des Finances, Eugène Duclerc (1812-1888), auteur d’un projet de loi sur la nationalisation des chemins de fer et l’embauche des ouvriers sur les chantiers ferroviaires. L’assaut est donné aux ateliers nationaux, qui comptent plus de 100 000 inscrits à la fin de mai. Le 21 juin, un décret prononce leur dissolution de fait. La brutalité de la mesure, assortie de modalités inacceptables (« l’armée ou la Sologne »), renforce la thèse de la provocation délibérée. La réponse du prolétariat parisien, c’est l’insurrection du 23 au 26, les sanglantes journées de juin, noyées dans le sang par Cavaignac, muni des pleins pouvoirs. Quelques soulèvements locaux à Marseille et à Lyon sont brisés. Mais la République a reçu un coup dont elle ne se relèvera pas.


La mise en place des institutions (juill.-déc. 1848)

Le retour à la paix intérieure se fait attendre. Le marasme économique persiste, et, si une certaine reprise se fait sentir ici ou là dans l’industrie, le bâtiment est toujours au point mort. Le mécontentement se déplace en province, en particulier dans la paysannerie. Les prix agricoles sont encore bas, et les 45 centimes, que l’on s’est gardé d’abroger, suscitent de violentes manifestations, qu’exploitent de nouveaux venus sur la scène politique, les bonapartistes. Louis Napoléon Bonaparte, en effet, élu en juin, a renoncé provisoirement à son siège. Il mène néanmoins en secret une action souterraine, recrutant des partisans et nouant de multiples relations. La tension qui persiste favorise la propagande des hommes d’ordre, regroupés dans le comité de la rue de Poitiers, d’obédience monarchiste. Cavaignac et ses amis du National, maîtres du gouvernement depuis juin, cèdent à la pression conservatrice. On ferme les derniers clubs. La Chambre rejette systématiquement les demandes de créations d’associations coopératives. La police disperse brutalement en novembre une assemblée générale d’ouvriers, qui projetait d’organiser une Fédération des associations de travailleurs.

À l’occasion de remaniements ministériels, Hippolyte Carnot* et Michel Goudchaux (1797-1862) sont éliminés, et des orléanistes font leur entrée au gouvernement. Huit mois après la révolution ! La nécessité d’établir des institutions stables inspire évidemment la majorité des Constituants. Mais l’affaire est complexe. Les notables veulent maintenir les prérogatives parlementaires qui assurent harmonieusement la représentation des intérêts. La peur sociale leur fait souhaiter un exécutif fort, dont ils craignent dans le même temps qu’il serve une ambition trop connue. Les principales dispositions de la Constitution votée le 4 novembre soulignent ses contradictions. Les libertés fondamentales sont solennellement confirmées, mais le droit au travail est éliminé du préambule. Une seule Chambre élue pour 3 ans au suffrage universel a la totalité des pouvoirs législatifs, ces derniers étant soigneusement séparés de l’exécutif, confié pour 4 ans à un président élu aussi au suffrage universel. On a pris quelques précautions. Le chef de l’État ne peut dissoudre la Chambre, n’est pas immédiatement rééligible et, s’il n’obtient pas la majorité absolue aux élections, est alors désigné par l’Assemblée. Pour une éventuelle révision de la Constitution, il faut réunir les trois quarts des suffrages parlementaires.

La campagne électorale pour la présidence va bouleverser les données du problème. À gauche, c’est la division totale. Les radicaux de la Montagne avec Ledru-Rollin, les socialistes avec Raspail, alors en prison, vont séparément à la bataille. Entre eux, un fossé de sang, les journées de juin. Lamartine, totalement discrédité auprès des modérés, espère encore renouveler son exploit d’avril. Cavaignac, qui a l’appui de la bourgeoisie républicaine, présente un programme susceptible de plaire aux amis de l’ordre : propriété, famille, religion. Il rallie des forces diverses, mais non négligeables : les gens du National, les orléanistes des Débats, comme Charles de Rémusat (1797-1875), des catholiques sociaux, comme Lacordaire*, certains chefs de l’armée (Adolphe Niel) et même des légitimistes du Midi, qui voient en lui un solide rempart contre le socialisme. Les milieux d’affaires jugent avec sympathie son projet d’instaurer une république « créditée » par les banquiers. Bref, une candidature centriste, éloignée de la réaction comme de la révolution. Quant à Louis Napoléon, il rassemble sur son nom la coalition la plus hétéroclite qui soit.