Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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reportage, journalisme et littérature (suite)

Mais c’est surtout en Grande-Bretagne que les luttes politiques du xviie s. ont entraîné les écrivains engagés vers le journalisme. John Milton, par exemple, fut en 1651 le rédacteur en chef du Mercurius politicus. Daniel Defoe*, l’auteur de Robinson Crusoé, fut en 1704 le fondateur et le rédacteur principal de The Review, un des premiers journaux à paraître trois fois par semaine. Mais l’exemple sans doute le plus éclatant de la liaison entre la littérature et le journalisme est The Spectator de Joseph Addison* et de Richard Steele qui parut de mars 1711 à décembre 1712, puis de juin à septembre 1714. Les chroniques du Spectator, non signées (on n’a identifié que plus tard ce qui était de Steele et ce qui était d’Addison), constituent une œuvre littéraire qui a une place éminente dans la littérature anglaise et dont l’influence s’est étendue non seulement sur les romanciers anglais, mais sur beaucoup d’écrivains européens du xviiie s.

Par la suite, il n’est guère de grand écrivain anglais qui n’ait eu une expérience journalistique. Charles Dickens* fut d’abord sténographe de presse et chroniqueur parlementaire. Son premier ouvrage, Sketches by Boz, paru en 1836, est un recueil de chroniques. Il fut longtemps un collaborateur régulier de la Morning Chronicle.

Tout au long du xixe s., le roman-feuilleton, souvent écrit au jour le jour, constitua une forme littéraire où se rencontrent les genres les plus variés et qui constitue un lien privilégié entre la littérature et le journalisme.

C’est la transformation du journal en un moyen de communication de niasse qui, à partir des dernières décennies du xixe s. jusqu’au milieu du xxe s., a écarté le souci littéraire au profit du souci informationnel. Cette transformation est due au fait que la société industrielle, qui a besoin de communications de masse rapides et efficaces, ne disposait alors que du moyen imprimé. Aidé depuis la guerre de Crimée par le télégraphe, le journal devient avant tout un agent de présence immédiate du lecteur sur le lieu de l’événement. Le rédacteur écrivant à loisir est éclipsé par la figure pittoresque du reporter qui, au milieu d’aventures multiples dont on trouve la peinture dans le Michel Strogoff (1876) de Jules Verne*, ne songe qu’à faire passer son information le plus vite possible à son journal.

C’est alors que se produit un certain divorce entre l’écrivain et le journaliste, qui n’a pas une excellente presse auprès des intellectuels et qu’on accuse d’incompétence, de rédaction hâtive, de charabia. Mais la séparation n’a jamais été complète. Il y a toujours eu une presse dite « de qualité » qui a fait place à la rédaction de type littéraire. Jusqu’à l’apparition des moyens audio-visuels de communication de masse, radio et surtout télévision, cette presse est restée le privilège d’un petit nombre.

En quelques années, les moyens audio-visuels ont, après la Seconde Guerre mondiale, relevé le journal et singulièrement le journal quotidien, de la plupart de ses servitudes informationnelles, permettant ainsi un nouveau rapprochement entre le journalisme et la littérature. Mais le mouvement n’est encore qu’amorcé et, de toute façon, le « remariage » ne pourra pas rétablir la situation antérieure. Libéré de l’obligation de la présence immédiate, rôle que les moyens audio-visuels remplissent bien plus efficacement que lui, le journal, quotidien, hebdomadaire ou mensuel, doit devenir un organe de commentaire, d’explication et d’approfondissement, mais il ne pourra le faire qu’en fonction d’une actualité toujours plus évolutive et toujours plus contraignante. Il est probable qu’un type intermédiaire d’écriture possédant la rapidité de réflexe informationnel du journalisme et la discursivité expressive de la littérature devra se définir et s’affirmer. Cela suppose qu’un nouveau type de journaliste-écrivain apparaisse. En fait, il en existe déjà des exemples dans certains quotidiens et dans la presse hebdomadaire, mais le modèle et le profil de ce nouveau métier de l’écriture est encore trop mal défini — en France tout au moins — pour qu’on puisse énumérer et systématiser ses caractéristiques.


Les genres journalistiques

Le journal peut être le support d’un certain nombre de genres littéraires reconnus. Nous avons fait allusion en particulier au roman-feuilleton, qui, au xixe s., était souvent spécialement conçu pour le journal. Ce genre de publication est de plus en plus rare de nos jours et, quand un journal publie un feuilleton, il se contente en général de débiter en tranches une œuvre qui a paru ou qui pourrait paraître sous forme de livre. Mieux adaptée aux dimensions du journal, la nouvelle trouve en général son premier débouché (en France souvent le seul) dans un périodique ou, plus rarement, un quotidien avant de paraître en volume. Le conte bref est aussi un genre qui convient à la presse quotidienne, à laquelle il emprunte sa densité et son style percutant.

Bien que la chose soit pratiquement inexistante en France, il y a beaucoup de pays où les journaux, même quotidiens, publient de la poésie. Mais le genre journalistique par excellence est l’essai.

Le modèle de l’essai journalistique se trouve dans la série de Propos qu’Alain* commença à écrire en 1906 dans la Dépêche de Rouen, puis plus tard dans la Nouvelle Revue française. Plus souvent, l’essai peut prendre la forme d’une chronique spécialisée de critique littéraire, de critique théâtrale, de critique de télévision, d’actualité scientifique, historique, philosophique, politique, diplomatique. C’est alors en général un « feuilleton » publié en « rez-de-chaussée », c’est-à-dire en bas d’une page sur toute la largeur.

Il existe aussi des chroniques d’un ton plus personnel où l’auteur suit à sa façon l’actualité. Ce fut le cas du Journal de François Mauriac* dans l’Express, puis dans le Figaro. Encore allégées, ces chroniques, qui rejoignent alors la grande tradition des « nouvelles à la main », traitent de sujets aussi différents que la vie mondaine ou les grands problèmes sociaux ou politiques sur le mode parfois moralisant, parfois ironique, parfois polémique, parfois humoristique. Les Hors-d’œuvre de Georges de La Fouchardière dans l’Œuvre entre les deux guerres en sont un exemple. Ces « petits pâtés », ainsi que disait Voltaire, qui en écrivit beaucoup, peuvent être satiriques, comme naguère sous la plume de Morvan Lebesque dans le Canard enchaîné, soit plus académiques, mais toujours incisifs, comme dans le Figaro sous la plume de différents auteurs chevronnés. En général, les quotidiens préfèrent la formule, plus maniable pour le secrétaire de rédaction, mais infiniment plus difficile à manier pour le rédacteur, du court billet d’une vingtaine de lignes. C’est le cas notamment de l’Au jour le jour du Monde ou du Cavalier seul du Figaro. On est ici à la limite extrême où il est impossible de séparer vraiment l’écrivain du journaliste, ce qui fait de ce genre un des plus difficiles de la littérature et un des plus dangereux du journalisme.

Signalons que dans certains pays, notamment aux États-Unis, existe une variété particulière de la chronique qui est la column, où le columnist se conduit en véritable rédacteur en chef autonome à l’intérieur de l’espace qui lui est alloué, pouvant jouer aussi bien sur le clavier de l’article de fond que sur celui de l’écho ou du « potin ».