Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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reportage, journalisme et littérature (suite)

Bien que certaines œuvres littéraires aient avec la collection ou la couverture de tel ou tel éditeur une relation analogue à celle des articles avec le titre du journal, la personnalité du directeur de collection ou de l’éditeur n’intervient pas dans leur rédaction avec la même autorité, la même présence impérative que l’équipe rédactionnelle qui donne au journal une existence collective. Le texte du journal s’élabore en fonction de la manière que cette existence collective a de s’affirmer face aux réalités du monde et, dans le cas d’un quotidien, face à l’actualité.

Une des conséquences de ce fait est que le journaliste n’écrit pas selon la même chronologie que l’écrivain. Son texte n’est pas une œuvre qu’il élabore à loisir, mais « de la copie » qui doit être fournie en temps voulu et selon une dimension spécifiée pour alimenter une machine aussi insatiable qu’impitoyable qui triture et modifie le texte selon ses besoins internes.

L’attitude du journaliste devant son texte est donc bien moins possessive que celle de l’écrivain. La plupart du temps, sa signature n’apparaît pas. L’anonymat du texte journalistique a longtemps été une règle de la presse britannique. Elle est encore en vigueur dans le plus littéraire des journaux anglais, le Times’ Literary Supplement. Quand sa signature apparaît, le journaliste peut éventuellement invoquer la clause de conscience pour contester telle coupure ou telle modification qui trahirait sa pensée, mais le fait est très rare et en tout état de cause une telle contestation ne pourrait qu’exceptionnellement viser une modification de forme, qui pour beaucoup d’écrivains serait inadmissible.

Cela n’implique nullement une hiérarchie entre écrivains et journalistes. Certes, le journaliste est à l’opposé de Cyrano, dont le sang se coagulait à l’idée qu’on pût changer une virgule à son poème, mais son métier lui donne des réflexes qui seraient utiles à la plupart des écrivains : écriture rapide, décision immédiate, autorité sur les mots, maîtrise de la redondance et surtout humilité devant son texte. Contrairement à une idée largement reçue, il n’est pas prouvé que la lenteur de l’élaboration et l’intransigeance formelle soient des vertus nécessaires de l’écrivain. Bien au contraire elles ne sont souvent que le masque d’une impuissance ou d’une timidité. C’est pourquoi le journalisme est une excellente école de l’écriture littéraire, non que son exercice crée le talent, mais il le libère d’inhibitions dont bien des écrivains n’ont jamais su se débarrasser. Disons en tout cas qu’il est infiniment plus facile d’être un médiocre écrivain qu’un excellent journaliste.

Une autre différence fondamentale entre le texte littéraire et le texte journalistique est que le premier est avant tout un discours par lequel l’écrivain exprime son « vouloir-dire » sans pouvoir l’imposer au lecteur, qui lui oppose son « vouloir-lire », lui aussi forme d’expression. De la lutte des deux naît le jeu générateur de plaisir qui caractérise la communication littéraire.

Le journaliste, au contraire, se veut avant tout informationnel. Certes, il peut, dans les limites étroites que lui impose la dimension du journal, produire un discours de type littéraire, mais son rôle premier est de faire passer le maximum d’information avec le moins d’ambiguïté possible. Bien entendu, l’écrivain littéraire fait lui aussi passer de l’information, et tout texte peut être lu informationnellement, mais l’équilibre entre les deux fonctions n’est pas le même. L’écrivain et le journaliste utilisent tous deux la redondance, mais le premier le fait pour inscrire dans son texte des messages parallèles ou des « surmessages » liés à la forme, alors que le second le fait pour éliminer les erreurs de transmission du message.

Ajoutons à cela que, le texte étant une image visuelle, il a aussi une fonction iconique. Cette fonction est ressentie par l’écrivain au niveau de la mise en pages ou de la typographie, mais il n’a qu’un contrôle limité sur elle : c’est la responsabilité de l’éditeur. Le journaliste doit au contraire penser son texte en fonction d’une mise en pages, d’une illustration et d’un titrage dont il doit toujours être conscient et qui font partie de son écriture. La page de journal et ses dimensions prescrites sont son espace de travail.


Écrivains et journalistes

La fonction d’écrivain littéraire est très antérieure à la fonction de journaliste, encore que ce dernier puisse reconnaître certains types de chroniqueurs comme ses ancêtres. L’apparition du journal est étroitement liée à celle de l’imprimerie. Ce ne sont pas des considérations littéraires qui ont conduit à donner à certaines publications, dès le xvie s., une périodicité plus ou moins régulière, mais d’abord des considérations commerciales. Les Messrelationen allemandes, les currents, ou courants, des grandes villes commerçantes de la mer du Nord, de l’Atlantique ou de la Méditerranée, la Gazzetta vénitienne étaient pour les négociants ou armateurs avant tout des instruments de travail. C’est également ainsi que, plus tard, les gouvernements ont considéré ce moyen de communication de masse naissant. Quand elle paraît pour la première fois en 1631, la Gazette de Théophraste Renaudot fait partie du système politique de Richelieu.

Toutefois, la Gazette de Renaudot systématise la division rédactionnelle entre l’information proprement dite et le commentaire, qui prend la forme d’un essai où le rédacteur engage non seulement sa responsabilité idéologique, mais sa forme d’expression. Dès ce moment, le journal s’ouvre sinon directement à la littérature, du moins à une écriture qui peut éventuellement devenir littéraire.

Dès 1665, en France, Denys de Sallo fonde le Journal des savants, qui traite de l’actualité littéraire et scientifique et est à la vie culturelle ce que les journaux antérieurs étaient à la vie commerciale ou politique. À partir de 1672, le Mercure galant de Jean Donneau de Visé est une véritable publication littéraire périodique qui tend moins à donner des informations qu’à publier des échantillons de la production littéraire contemporaine.