Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Renoir (Auguste) (suite)

Mais, son tempérament le portant plus vers le dionysiaque que l’apollinien, Renoir se lasse des contraintes picturales qu’il s’est volontairement imposées et, après ces années de discipline, il retourne vers 1889 à ses anciennes amours. Alors naissent, dans l’éclat retrouvé, des toiles vivantes où sont rendues toutes les subtiles dispersions de la lumière. Les rayons s’accrochent aux formes, accentuent la plénitude et la fraîcheur des chairs, brouillent certaines structures en les chargeant d’un pouvoir de suggestion presque magique (la Dormeuse, 1897, coll. priv.).

À partir de 1898, l’artiste est atteint d’un rhumatisme articulaire qui le fait terriblement souffrir et le gêne dans son travail. Aussi décide-t-il de se retirer dans le Midi, à Cagnes, où il achète une maison (les Colettes). Le Salon d’automne de 1904 lui consacre une importante rétrospective. À partir de 1912, son état de santé empire, il ne peint qu’avec de grandes difficultés. Sa main ne pouvant plus se saisir des pinceaux, il doit avoir recours à des membres de son entourage pour les lui fixer aux doigts. Pourtant, sa production demeure abondante. Son art saisit toujours, avec le même élan communicatif, les moments les plus chaleureux de la vie, semblant même gagner en intensité colorée, car des rouges somptueux qu’on ne lui connaissait pas font leur apparition. Renoir prend alors pour modèles les membres de sa famille : sa femme, ses enfants, Pierre, Jean et Claude, dit Coco, et aussi Gabrielle Renard, la gouvernante, qu’il immortalise en des poses diverses : Gabrielle à la rose (1911, musée du Jeu de paume), Femme nue couchée (collection Jean Walter-Paul Guillaume, 1906 ou 1908).

Vers la fin de sa vie, Renoir s’est de plus adonné à la sculpture, créant de belles pièces avec l’aide d’un jeune élève de Maillol, Richard Guino (1890-1973). Seuls un médaillon et un buste de son fils « Coco » (1907 et 1908) sont entièrement de sa main. De retour à Cagnes après un voyage à Paris, où il a encore visité le Louvre, Renoir s’éteint le 3 décembre 1919, peu après avoir prononcé ces mots : « Vite, des couleurs [...] Rendez-moi ma palette. »

C. G.

 G. Rivière, Renoir et ses amis (Floury, 1921). / D. Rouart, Renoir (Skira, Genève, 1954). / M. Drucker, Renoir (Tisné, 1955). / M. Gauthier, Renoir (Flammarion, 1958). / Renoir (Hachette, 1970). / F. Daulte, Auguste Renoir. Catalogue raisonné de l’œuvre peint, t. I : Figures 1860-1890 (Durand-Ruel, Lausanne, 1971). / M.-P. Fouchet, les Nus de Renoir (Clairefontaine, Lausanne, 1974).

Renoir (Jean)

Metteur en scène de cinéma français (Paris 1894).


Fils du peintre Auguste Renoir, il est d’abord céramiste avant de s’intéresser au cinéma à partir de 1923. Il débute comme producteur et scénariste de Catherine ou Une vie sans joie (d’Albert Dieudonné, 1924), film au cours duquel il rencontre Catherine Hessling, la vedette du film, qui deviendra sa femme. Mais cette œuvre ne sera projetée publiquement qu’en 1927. Le cinéaste réalise entre-temps son premier film, la Fille de l’eau (1924), que suit Nana (1926, d’après E. Zola). Produit par le metteur en scène, ce dernier film est un désastre financier qui ruine Renoir. Celui-ci exécute alors un travail de commande (Marquitta, 1927), et est l’interprète de la P’tite Lilie (d’Alberto Cavalcanti, 1927) avant de réaliser la Petite Marchande d’allumettes (1928, d’après H. C. Andersen) : la féerie et les trucages de ce film lui confèrent une place originale parmi les autres cinéastes français. Mais c’est un nouvel échec commercial, qui contraint Renoir à tourner deux vaudevilles militaires, Tire-au-flanc (1929) et le Tournoi (1929).

Le Bled (1929), film d’aventures, est aussi une œuvre de commande où le réalisateur rend hommage au cinéma d’action américain. Il tourne ensuite deux films comme comédien et aborde le cinéma parlant avec une adaptation de G. Feydeau, On purge bébé (1931), qui est un succès. La Chienne (1931) est le premier film parlant auquel Renoir imprime réellement sa marque : c’est un hommage au comédien Michel Simon à travers la peinture d’un Français moyen dont la seule évasion, le seul rêve, est précisément la peinture. L’année suivante, la Nuit du carrefour (1932) adapte l’univers étrange et poétique de G. Simenon. Peut-être est-ce le fait que trois bobines en furent égarées qui donne à l’œuvre une tonalité « mystérieuse ». C’est certainement le premier film policier important du cinéma français.

Toujours en 1932, le réalisateur signe Chotard et compagnie et surtout Boudu sauvé des eaux, où il dirige de nouveau M. Simon, dans un rôle de clochard anarchiste. Le cinéaste oppose la liberté du vagabond au confort de la petite bourgeoisie parisienne de l’époque, dans une sorte de désordre lyrique qui surprend : le film est un échec commercial cuisant.

Madame Bovary (1934) en est un aussi. Prenant du recul par rapport au roman et au style de Flaubert, Renoir adapte le livre sous la forme d’une comédie tragique où les personnages sont volontairement utilisés comme des héros de théâtre. Cet antiacadémisme choque les partisans de la fidélité à une œuvre écrite, et Renoir ne doit qu’à l’estime de Marcel Pagnol de pouvoir réaliser Toni (1934).

Tourné dans le midi de la France, « là où la nature détruisant l’esprit de Babel sait si bien opérer la fusion des races », comme il est dit dans le prologue, le film constitue la première œuvre néo-réaliste de la production française. Tourné en majorité par des acteurs non professionnels, Toni unit le quotidien à la tragédie dans une atmosphère onirique et ensoleillée.

L’année suivante, Jean Renoir rencontre Jacques Prévert. De la collaboration entre les deux hommes naît le Crime de monsieur Lange (1935), qui amorce un tournant dans l’œuvre du cinéaste où les préoccupations sociales vont désormais occuper une place essentielle. Féerique, le Crime de monsieur Lange doit autant au brio caustique de son dialogue qu’à l’invention poétique de sa mise en scène, spontanée, presque improvisée. C’est un conte philosophique dirigé contre le capitalisme, qui porte la marque du Front populaire.