Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

Renaissance (suite)

Ce panorama composite, qui reflète les remous profonds de l’Europe, débouche sur la crise des années 1590-1600 : la réaction brutale qui part de Lombardie et qu’apporte le Caravage*. Associant un naturalisme grandiose dans la plénitude de ses formes, « populiste » dans l’expression de la piété des humbles comme de la truculence des hors-la-loi aux ressources d’un luminisme nocturne qui crée l’inquiétude, il apporte un contrepoids à l’éclectisme des Carrache et répond aux aspirations profondes de l’Europe, catholique ou protestante. Par lui, Rome devient foyer d’appel et creuset européen. Cette crise — qui se résorbera peu à peu dans l’art de cour et l’humanisme chrétien du xviie s. — marque la fin de la Renaissance et ouvre un cycle nouveau, celui du baroque*.

P. G.

➙ Baroque / Classicisme / Gothique (art) / Humanisme / Maniérisme.

 E. Panofsky, Studies in Iconology (New York, 1939 ; trad. fr. Essais d’iconologie, Gallimard, 1967) ; Renaissance and Renascences in Western Art (Stockholm, 1960 ; 2 vol.). / A. Blunt, Artistic Theory in Italy, 1450-1600 (Londres, 1940, 2e éd., 1956 ; trad. fr. la Théorie des arts en Italie de 1450 à 1600, Julliard, 1962, 2e éd., Gallimard, 1966). / F. Gébelin, le Style Renaissance en France (Larousse, 1942). / R. Wittkower, Architectural Principles in the Age of Humanism (Londres, 1949). / E. Garin, Medioevo e Rinascimento (Bari, 1954 ; trad. fr. Moyen Âge et Renaissance, Gallimard, 1969). / J. Babelon, la Civilisation française de la Renaissance (Casterman, 1961). / A. Chastel, Renaissance méridionale, Italie 1460-1500 (Gallimard, 1965) ; le Grand Atelier, Italie 1460-1500 (Gallimard, 1965) ; la Crise de la Renaissance (Skira, Genève, 1968). / P. et L. Murray, The Art of the Renaissance (Londres, 1963 ; trad. fr. l’Art de la Renaissance, Larousse, 1964). / W. Stechow et coll., Northern Renaissance Art, 1400-1600 (Englewood Cliffs, N. J., 1966). / E. Battisti, Hochrenaissance und Manierismus (Baden-Baden, 1970). / L. Van Puyvelde, la Renaissance flamande de Bosch à Breughel (Meddens, Bruxelles, 1971). / L. H. Heydenreich, Italienische Renaissance, Anfänge und Entfaltung (Munich, 1972 ; trad. fr. Éclosion de la Renaissance, Italie 1400-1460, Gallimard, 1972). / P. Murray, Architecture de la Renaissance (Electa, Milan, 1973). / L. H. Heydenreich et G. Passavant, Renaissance italienne 1500-1540, le temps des génies (Gallimard, 1974).


Les arts décoratifs de la Renaissance

Un des éléments les plus typiques du vocabulaire décoratif de la Renaissance lui a été fourni par la mise au jour fortuite, à Rome, au xve s., des restes enterrés des palais de Titus, d’Hadrien, de Néron (« maison dorée »), qui conservaient leur ancienne décoration de stucs sculptés et peints. Les artistes, notamment ceux qui appartenaient vers 1515 à l’atelier de Raphaël*, allèrent visiter ces authentiques témoins d’une antiquité qu’ils ne connaissaient que superficiellement. Morto da Feltre (v. 1470-v. 1526), Giovanni da Udine (1487-1564) s’attachèrent spécialement à l’étude des gracieuses fantaisies gréco-romaines, quelque mépris que professât pour elles Vitruve*, le grand théoricien de l’architecture classique. Relevés dans des abris voûtés, ces décors furent désignés par l’épithète qui rappelait leur origine, grotteschi, terme dont le sens a bien changé. En 1516, Raphaël et ses disciples composaient de grotteschi la décoration de la villa Madama ; en 1519, Giovanni da Udine en couvrait les plafonds des « loges » du Vatican. À Mantoue, Jules Romain* les appliquait à la décoration du palais ducal et du palais du Te. Bramante*, qui avait construit à Milan l’église San Satiro, en faisait décorer le baptistère par le Caradosso, qui l’orna de bustes saillants encadrés de couronnes, — l’un des motifs topiques du style Renaissance avec les rinceaux, les autels votifs supportés par des tiges, les cartouches et les figures terminées en ornements, disposés sur les pilastres, les bandeaux et les frises. Se séparant du calligraphisme byzantin comme du réalisme issu de Giotto*, c’est un art nouveau qui s’épanouit. Mais l’interprétation objective de la nature, telle que l’avaient pratiquée les maîtres, vivifie avec bonheur les combinaisons ornementales, leur conférant une crédibilité distincte des formules purement graphiques qui seront empruntées plus tard aux mêmes sources.

L’Italie proposait non seulement un exemple, mais aussi des méthodes. Les universités enseignaient les mathématiques appliquées à la décoration, c’est-à-dire la perspective. On sait quel parti en tireront Michel-Ange* et le Corrège*, précédant Borromini*. C’est cette leçon que vient chercher Albrecht Durer* à Venise, pour s’en désenchanter et retourner à l’étude naïve de la nature. Mais le maître allemand et toute son école restent marqués du style italien. Les peintres et les architectes décorateurs des Pays-Bas vont très vite étudier l’art italien : ils en tireront un formalisme où l’ornemental prime le sujet. La France avait eu dès le xve s. quelque information des découvertes romaines ou, du moins, de l’exploitation qu’en faisaient les maîtres italiens : tout donne à penser que l’activité commerciale déployée par Jacques Cœur introduisit en France nombre d’ouvrages italiens. C’est sur un fond de grotteschi que Jean Fouquet* détache le portrait de Guillaume Juvénal des Ursins, d’environ 1460. D’ailleurs, dès 1445, le maître français avait visité l’Italie : il est évident qu’il a tiré parti du formulaire élaboré dans la péninsule.

Un événement capital va se produire en 1494 : l’expédition militaire de Charles VIII, que renouvellera Louis XII en 1499. Les compagnons d’armes des deux rois conservèrent de leur passage en Italie une impression profonde. Dans les fourgons de l’armée, ils ramenaient nombre d’artistes et de praticiens italiens, dont François Ier renforcera l’effectif. Au Rosso*, le roi chevalier confie la décoration du palais de Fontainebleau*. Vers 1530, il invite Jules Romain à lui donner un de ses élèves, qui est le Primatice*. L’école de Fontainebleau* devient, sous le directorat du maître italien, le foyer de l’art nouveau. Comme l’architecture, les arts du décor adoptent le répertoire ornemental à l’antique : bustes en relief inscrits dans des couronnes, chapiteaux à décor de caprice, pilastres et frises ornés de grotteschi, ordres classiques substitués aux structures gothiques, lucarnes et mitres de cheminées surmontées de frontons, caissons sculptés remplaçant les voûtains. Mais l’ornementation seule est nouvelle : la structure reste fidèle au rationalisme traditionnel. Les « chambrillages » revêtant de leurs fenestrages aveugles les parois des donjons gothiques font place à des lambris sculptés de motifs classiques ou de grotteschi légers. Dès les années 40, le style de la Renaissance française est nettement distinct de celui dont il procède : ainsi la galerie dite « de François Ier » de Fontainebleau, œuvre du Rosso (1535), présente, avec ses stucs à guirlandes, « cuirs » et figurines, une insistance dans le contraste des reliefs et des creux que s’interdit l’ornementation française (mis à part un Hugues Sambin*).