Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Régence (suite)

Le Régent donne satisfaction aux nobles. Dans les huit conseils qui se substituent aux ministres et aux secrétaires d’État, les grands seigneurs se disputent les places. Si le Conseil du dedans (l’Intérieur) a le mérite de créer la direction des Ponts et Chaussées, et le Conseil de la guerre, celui d’assurer un meilleur contrôle de l’armée, le gouvernement, par les conseils (polysynodie), révèle très vite l’absentéisme de ses membres ou leur incompétence. Le nombre des conseils rend incertain l’administré en quête de justice, les uns et les autres se disputant telle ou telle juridiction. Enfin, certains d’entre eux sont le lieu de batailles politiques ou religieuses ; ainsi, au Conseil de conscience, s’affrontent les jansénistes et leurs adversaires.

Le 24 septembre 1718, le Régent met fin aux conseils et rétablit les ministres. Son ancien précepteur, l’abbé Dubois, s’essaye, à ses côtés, à jouer les Richelieu. Il n’en a pas les qualités.

La crise financière se révèle alors dans toute son ampleur. Le Conseil des finances a réduit la dette, mais a laissé subsister les vices du système. Le principal est l’inégalité devant l’impôt. Le Conseil, aux mains des privilégiés, a repoussé le principe d’un impôt perçu sur les trois ordres ; bien plus, il a supprimé le dixième que payait la noblesse. C’est alors qu’apparaît Law*, dont les idées séduisent le Régent. La banqueroute guette l’État ; Law propose de l’enrichir en quelque temps.

Cet Écossais, qui, passionné par le jeu et la finance, vient de parcourir l’Europe, a fondé en 1716, avec l’appui du Régent, une banque privée. C’est là la première mise en application de ses idées. Pour qu’un pays soit prospère, il faut multiplier les signes monétaires ; dans cette période de famine du numéraire, il convient de substituer aux espèces métalliques le papier-monnaie. Cette monnaie pourrait être bientôt multipliée sans tenir compte de l’encaisse métallique ; le gage sera, avec la confiance qu’on lui portera, la richesse engendrée par la stimulation des entreprises commerciales. La banque qu’il crée a un capital partiellement constitué par des billets d’État ; elle prend ainsi à son compte une partie des dettes de celui-ci. Banque de dépôt et d’escompte, elle reçoit l’autorisation démettre des billets qui sont bientôt acceptés en paiement des impôts. Le 4 décembre 1718, elle est faite Banque royale. Auparavant, le 6 septembre 1717, Law a fondé la Compagnie d’Occident (ou du Mississippi), dont le sort va être lié à celui de la Banque. Il s’agit de drainer des capitaux pour donner un coup de fouet aux affaires, particulièrement à celles qui sont réalisées par les ports de la façade atlantique avec l’Amérique. La Louisiane sera mise en valeur et accroîtra le volume des biens échangés entre le Nouveau et l’Ancien Monde.

L’engouement est rapide et l’on s’arrache à prix d’or les actions de la Compagnie. Celle-ci absorbe les autres compagnies et exerce ainsi un monopole sur le commerce extérieur. Devenue Compagnie des Indes, elle est associée, le 22 février 1720, à la Banque. C’est unir une affaire saine, la Banque, à une autre qui est plus aventureuse. La Compagnie ne peut tenir ses promesses que par l’apport toujours plus important de capitaux ; encore lui faut-il du temps pour organiser la colonisation et obtenir les richesses escomptées.

Quand les plus avisés s’aperçoivent de la grande différence entre le cours atteint par les actions et les dividendes nécessairement modestes qui vont être distribués, ils réalisent, transformant leur papier en numéraire. C’est l’effondrement. Des milieux financiers, comme ceux qui gravitent autour des frères Pâris, y contribuent. On y trouve aussi mêlés des fermiers généraux de l’impôt privés de leur affaire depuis que Law en a reçu l’adjudication, et des aristocrates inquiets des projets fiscaux de l’Écossais ; Law envisage en effet de créer un impôt foncier unique sur le revenu des terres.

Le système a permis à l’État, de même qu’au paysan débiteur, d’étancher une partie de sa dette. Le commerce portuaire s’en est trouvé vivifié, et de nouveaux centres, tel Lorient*, ont été créés. Mais le système a révélé au peuple le vrai visage de ceux qui se prétendent l’élite. L’aristocratie se disait mue par l’honneur ; beaucoup de ses membres, guidés par le seul appétit de jouissance, s’étaient conduits comme des tire-laine.


La politique extérieure

À l’extérieur, la Régence prend aussi le contre-pied de la politique de Louis XIV. Parce qu’il se méfie des prétentions à la couronne française du roi d’Espagne Philippe V, le duc d’Orléans se tourne vers le roi d’Angleterre. Le prétendant Stuart, le catholique « Jacques III », réfugié en France, fera les frais de ce renversement des alliances.

Mais l’alliance franco-anglaise suscite des oppositions en France, où l’on retrouve les ennemis coutumiers du duc d’Orléans, au premier rang desquels le duc et la duchesse du Maine (conspiration de Cellamare). Une démonstration militaire sur la frontière espagnole conduit Philippe V à traiter en 1720. L’abbé Dubois s’efforce de concilier l’alliance franco-anglaise et l’union franco-espagnole.

1720 est l’année de Dubois. Cet abbé qui n’était pas prêtre rêve de devenir cardinal, comme son modèle Richelieu. Tandis que son ancien élève revient au « despotisme ministériel » de Louis XIV, il pousse à l’alliance avec l’Espagne, à l’entente avec les jésuites et à la lutte antijanséniste. Malgré cette politique, Dubois, devenu archevêque, se voit refuser le chapeau de cardinal par Clément XI. L’année suivante, après de multiples démarches des cardinaux français auprès du nouveau pape, Innocent XIII, il obtient satisfaction. Le 22 août 1722, il deviendra Premier ministre ; la France s’enlise dans la médiocrité. Le 16 février 1723, Louis XV est majeur ; le 10 août, Dubois meurt, suivi peu de temps après par le duc d’Orléans.