Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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récitatif (suite)

Dans l’art profane, le récitatif apparaît en Italie vers la fin du xvie s. Élaboré par une cohorte de musiciens, de savants et de poètes réunis à Florence chez le comte Giovanni Bardi (1534-1612), il devient l’élément essentiel du stile rappresentativo, puis de l’opéra d’Emilio de’ Cavalieri (av. 1550-1602), Giulio Caccini (1550-1618), Jacopo Peri (1561-1633) et C. Monteverdi (L’Orfeo, 1607). Il est accompagné de la basse continue ; quelques accords de luth ou de clavecin soutiennent la déclamation et en assurent la justesse. Un peu plus tard, ce faible appui est renforcé par des parties instrumentales (théorbes, violes ou violons).

En France, Lully modèle exactement le tissu mélodique de son récitatif sur les rythmes poétiques, afin de donner à la tragédie lyrique plus de vraisemblance ; il imprègne le récitatif italien de l’esprit français en recherchant moins la violence des passions que la justesse des accents. Au xviiie s., Rameau et ses contemporains ne s’écartent guère de cette conception. En Italie, le récitatif, considéré d’abord comme la partie prépondérante de l’opéra, tend à ne devenir que l’un de ses éléments constitutifs. Il a alors pour objet de faire avancer l’action, et sert à relier les airs et les ensembles qui traduisent musicalement les sentiments d’un personnage ou d’un chœur. Entre ces deux pôles : opéra-concert et drame florentin, le théâtre lyrique a toujours oscillé, selon le crédit que le compositeur accordait au récitatif. Les formes variées, toutes italiennes, que celui-ci prend au cours du xviie s. se retrouvent dans tous les genres de la musique vocale. À côté du récitatif simple des Français se développe le recitativo accompagnato, ou obbligato, soutenu par l’orchestre, qui apparaît d’abord dans l’opéra vénitien (Monteverdi, Cavalli) et dont Lully et ses successeurs (Campra, Rameau) font un abondant usage. Rameau l’utilise notamment dans les grands monologues dramatiques (monologue de Thésée dans Hippolyte et Aricie, 1733). À ce type appartient aussi l’arioso, qui tient à la fois de l’air et du récitatif. En général assez court, il est plus mélodique et plus pathétique que le récitatif accompagné, auquel il sert parfois de transition lorsque celui-ci est suivi d’un air. L’arioso, dont J.-S. Bach a donné de magnifiques exemples dans ses Passions, est, à cette époque, plutôt désigné en France sous le nom de « récitatif mesuré » pour souligner sa plus grande dépendance vis-à-vis de la musique. Le recitativo secco (récitatif sec) est par contre soutenu seulement par le clavecin. Débité rapidement et quasi parlando, il est assez conventionnel et doit être déclamé avec intelligence et esprit afin de permettre à l’auditeur de suivre une intrigue où la musique (airs et ensembles) se taille la plus belle part. Dans la seconde moitié du xviiie s., la réforme de Gluck consiste à éliminer totalement le recitativo secco et à se servir du seul récitatif accompagné, qui, soutenu par un orchestre plus dense, tend à former, avec les autres éléments de l’opéra, un tout plus homogène et plus proche de la vérité dramatique. Mozart, en revanche, utilise tous les modèles du récitatif italien.

À l’époque romantique, Rossini n’abandonne le recitativo secco qu’après 1816. En Italie et en France. Bellini, Donizétti, Meyerbeer et Halévy se conforment à la tradition de l’opera seria, tandis que Berlioz tente seul d’intégrer le récitatif au drame. En Allemagne, C. M. von Weber unit étroitement, dans Euryanthe (1823), paroles et musique, et ouvre la voie à Wagner. Après Lohengrin (1847, 1re représentation en 1850), Wagner renonce à toutes les divisions artificielles du « grand opéra » ; il fait fusionner tous ses éléments (air, aria, arioso, récitatif) en un discours continu, que l’orchestre commente, prolonge, amplifie et parfois submerge. Mais déjà tous les musiciens traitent le récitatif en lui adjoignant un accompagnement riche, de plus en plus complexe et nourri de sonorités subtiles. La conception wagnérienne du drame pèse lourdement d’abord sur la musique européenne : en France, par exemple, sur l’école franckiste (V. d’Indy, A. Magnard). G. Verdi, par contre, n’abandonne pas la tradition italienne. Son récitatif n’écarte pas les effets vocaux du bel canto*, mais devient inséparable de l’air. Dans ses dernières œuvres, sans renier l’idéal vocal d’outre-monts, il parvient à réaliser à l’aide du seul récitatif mélodique une forte unité (Othello, 1887) qu’il consolidera en recourant, à la fin de sa vie, au rapide parlando (Falstaff, 1893). La tendance à lier la musique au langage, à ses sonorités, à ses accents, s’affirme alors dans toute l’Europe chez des compositeurs désireux de manifester leur particularisme. C’est ainsi que le Tchèque B. Smetana (Dalibor, 1868) construit son dialogue dans un style arioso parfumé de mélodies populaires. En Russie, M. Moussorgski, dans Boris Godounov (1869), pratique un récitatif mélodique qui semble issu de la phrase parlée. Au début du xxe s., C. Debussy (Pelléas et Mélisande, 1902) s’appuie aussi sur le principe de la déclamation continue. Mais il s’éloigne autant de Wagner que de Gluck (qui sépare encore le récitatif et l’air) et se rapproche plutôt de Moussorgski, car il n’est prisonnier d’aucun système. Il ne renonce pas à faire chanter la voix, mais, en humble serviteur du poème, il procède de plusieurs manières et fait alterner la psalmodie, le récitatif et la cantilène lyrique, qui tour à tour s’enchâssent dans une riche trame sonore sans jamais aboutir à un air proprement dit.

Depuis Debussy, le récitatif a été diversement traité par les compositeurs. Dans le Château de Barbe-Bleue (1911, 1re représentation en 1918), B. Bartók l’adapte à la vraie nature de la langue hongroise. R. Strauss s’inspire aussi bien du système wagnérien (Elektra, 1908) que des modèles de l’opera buffa et de l’opera seria (Ariane à Naxos, 1912-1916). I. Stravinski se sert surtout de l’aria (Mavra, 1922 ; Œdipus Rex, 1927) ou bien pastiche l’opéra italien (The Rake’s Progress, 1951). A. Honegger reconsidère la technique du récitatif (Antigone, 1927) et déplace parfois l’accent tonique pour donner plus de force aux mots. Schönberg, dans Pierrot lunaire (1912), imagine une déclamation faite de sons chantés, qui sont tenus, et de sons parlés, qui montent ou descendent selon la courbe mélodique (Sprechgesang). Son élève A. Berg se sert d’un procédé analogue dans Wozzeck (1921, 1re représentation en 1925). Depuis l’apparition de la technique électroacoustique, la parole est plutôt considérée comme un matériel sonore (K. Stockhausen, Gesang der Jünglinge, 1956).