Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

artillerie navale (suite)

Les matériels et les calibres

À l’origine, le calibre d’un canon est défini par le poids du projectile qu’il peut tirer. Un canon de 36 tire un boulet sphérique massif de fonte de 36 livres (soit un peu moins de 18 kg).

À partir de 1661, il existe sept calibres réglementaires dans la Marine, qui sont par ordre décroissant le 36 (diamètre intérieur de 174 mm), le 24 (151 mm), le 18 (138 mm), le 12 (120 mm), le 8 (105 mm), le 6 (95 mm) et le 4 (83 mm). Pour les petits calibres — 8, 6 et 4 —, il existe un modèle long et un modèle court. Le poids d’un canon s’obtient en multipliant le poids du boulet par un coefficient voisin de 250. Cette règle est approximative. En effet, les procédés de fabrication sont empiriques, et les modèles de cette époque ne présentent pas encore une régularité conforme aux règlements en vigueur. En fait, chaque fondeur déterminait lui-même les épaisseurs en respectant le calibre, et il faudra attendre la fin du xviiie s. pour avoir des séries de canons identiques.

Ces matériels sont manœuvres à bras. Il faut 14 hommes pour servir un canon de 36, qui, affût compris, pèse plus de 4 tonnes. Cela explique les effectifs élevés des vaisseaux de l’époque : un cent-dix-canons comptait 1 100 hommes d’équipage. Les approvisionnements en munitions étaient considérables, en moyenne 50 coups par pièce, ce qui, pour un vaisseau de 100 canons, représentait 5 000 boulets et 30 tonnes de poudre. Aux boulets ordinaires s’ajoutaient les boulets ramés (deux demi-boulets réunis par une chaîne), les boulets rouges (boulets chauffés au rouge dans la forge du bord), tirés avec une bourre spéciale en varech interposée entre la poudre et le projectile, les anges à deux têtes (deux demi-boulets réunis par une barre rigide), les boîtes à mitraille, constituées par de grosses balles sphériques pour neutraliser le personnel à découvert sur les ponts.


La « nouvelle artillerie »

Au début du xixe s. apparaissent la caronade et le canon obusier. La caronade, canon court et léger, tire sans beaucoup de précision une boîte à mitraille de faible portée. Sa carrière sur mer sera courte, et, vers 1840, elle est considérée comme inefficace.

Le canon obusier, mis au point par le colonel Paixhans (1783-1854), s’imposera très lentement, mais sa redoutable efficacité en fera le père des canons modernes. Il tire en effet un projectile creux rempli de poudre, qui explose après avoir frappé le but.

Le canon Paixhans marque une mutation dans l’évolution de l’artillerie navale. Le calibre de 220 mm permet d’étudier les problèmes de la grosse artillerie et leurs répercussions dans la construction navale. Les effets des obus sur les coques en bois sont tels qu’il faut envisager de les protéger par une cuirasse. Pour les vaisseaux de l’époque 1840, le cuirassement imposait de tripler leur déplacement. Du même coup, la voile n’était plus adaptée, d’où la nécessité de la propulsion et l’appel à la vapeur. Le résultat de ces conceptions nouvelles fut un bâtiment construit en bois et fer par Stanislas Dupuy de Lôme, et lancé en 1859 : la frégate cuirassée Gloire, premier navire de combat protégé des Temps modernes ; il était armé de 6 canons de 240 mm et de 2 de 164 mm. Au canon de 24 cm, qui pèse 14 t, succède le canon de 27 cm, qui pèse 21 t. Sous le second Empire, on arrive à fondre des pièces de 38 t. Ces nouveaux canons sont rayés et se chargent par la culasse après que les systèmes de fermeture de Martin von Wahrendorff et Giovanni Cavalli ont été mis au point. Toutefois, ces matériels en fonte, cerclés ou frettés d’acier, ne sont pas encore assez résistants pour adopter de grandes vitesses initiales, et les portées efficaces des projectiles ne dépassent guère 2 000 m. Pour améliorer ces performances, il faut attendre les matériels en acier.


L’artillerie en acier

Elle voit le jour à la fin du xixe s, à peu près simultanément en France (canons Petin et Gaudet), en Allemagne (canon Krupp) et en Angleterre (canons Armstrong et Whitworth).

Avec l’acier fondu, la résistance des pièces à l’éclatement devient suffisante pour supporter l’emploi de poudres plus puissantes, donnant des vitesses initiales plus élevées. Ces nouveaux modèles vont se généraliser et se différencier suivant les usages auxquels ils sont destinés. Dans toutes les marines, cette évolution s’effectuera parallèlement, tandis que la disparition des mâtures conduisait à disposer les canons en réduits cuirassés, puis sous tourelles blindées. Au vaisseau de ligne de 2 500 t succède le cuirassé*, qui passera de 8 000 à 45 000 t entre 1870 et 1944, et qui arme trois sortes de canons :
1. L’artillerie principale, composée de pièces susceptibles de tirer de 15 000 à 30 000 m. Les calibres sont pratiquement les mêmes dans tous les pays : 280 mm, 305 mm, 340 mm, 380 mm et 406 mm. Les projectiles passent de 300 kg pour le 280 à 550 kg pour 340, et à une tonne pour le 406. Les Japonais utiliseront même le 457 mm à bord de leurs supercuirassés de 70 000 t pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette artillerie est évidemment très coûteuse, et sa mise au point exige de gros moyens dans les domaines techniques de la fabrication et de l’utilisation ;
2. L’artillerie secondaire, dont les calibres s’étagent de 100 à 152 mm, et qui tire de 8 à 15 coups par minute, ce qui entraîne une dépense de munitions réduisant la durée du tir à quelques minutes de feu. Cette artillerie est destinée à la défense contre les attaques des bâtiments légers ;
3. L’artillerie antiaérienne, qui est devenue nécessaire pour défendre les bâtiments contre des avions torpilleurs et bombardiers. Elle est caractérisée par l’emploi des petits et moyens calibres (entre 37 et 100 mm). Ces matériels, entièrement automatisés, ont des cadences de tir très élevées (100 coups par minute). Les derniers modèles mis au point sont associés à des radars de réglage d’artillerie à poursuite automatique, envoyant les éléments de calcul à des ordinateurs. Les canons de marine sont montés sous tourelles pour les moyens et gros calibres, sur affûts légers munis de masques pour les petits calibres. Les tourelles sont manœuvrées électriquement, et toutes les opérations de chargement et de pointage se font à l’aide d’auxiliaires électriques.