Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

réalisme (suite)

Aux États-Unis, les peintres sont moins obsédés qu’en Europe par les exemples du passé. Le romantisme de l’école de l’Hudson reflète, par exemple chez Frederick E. Church (1826-1900), l’immensité des paysages américains. William Sidney Mount (1807-1868) et George Caleb Bingham (1811-1879) donnent un reflet fidèle de la vie rurale. Mais les deux meilleurs représentants du réalisme sont Winslow Homer (1836-1910), admirable aquarelliste, qui fut peintre reporter pendant la guerre de Sécession, et Thomas Eakins (1844-1916), influencé par Vélasquez, Courbet et Manet (la Clinique du Prof. Gross, 1875). Après 1900, les influences munichoises et parisiennes se combinent dans le groupe de huit peintres dénommé « Ash Can School », que domine Robert Henri (1865-1929).


Le xxe siècle

Depuis le début du xxe s., les expériences les plus radicales se sont succédé : restructuration et synthétisation des formes et des volumes avec-Cézanne et les cubistes ; juxtaposition des couleurs pures de Gauguin, des néo-impressionnistes et des fauves ; déformations tragiques ou visionnaires de Van Gogh, de Munch et des expressionnistes ; enfin disparition complète de toute référence au monde extérieur dans l’abstraction lyrique ou géométrique. Il serait donc tentant de conclure que le réalisme, avec ses images qui se veulent reflet sans distorsion ni transposition autre que celle de la technique picturale, est devenu une valeur démonétisée. Or, il a, au contraire, conservé des positions qui ne sont pas forcément archaïques ou réactionnaires, et ses réapparitions se sont même faites récemment dans des contextes d’avant-garde.

Au xxe s., également, les historiens d’art ne cessent d’élargir rétrospectivement le domaine du réalisme avec des œuvres soit oubliées (les peintres de nature morte du xviie s. en France, les Italiens Giuseppe Ghislandi, Giacomo Ceruti...), soit peu connues ou mal comprises (les Bassano*, Bruegel*, Aertsen*, le Caravage*, l’école d’Utrecht*, Pieter Van Laer, les Bamboccianti, les peintures moralisantes de Hogarth et de Greuze*...) : contrepartie impressionnante au monde des dieux et des héros, qui a dominé la grande peinture du classicisme et du baroque.

Entre les deux guerres mondiales, le terme de réalisme est employé d’une façon large, mais souvent abusive, pour désigner toute peinture figurative ne comportant pas do déformations majeures. C’est le cas en France, où de nombreux peintres pensent, au cours des années 30, que l’ère des aventures hasardeuses est passe, leur fidélité à une peinture figurative se réclamant souvent du réalisme. Mais la plupart ne savent pas éviter un éclectisme sans saveur, où des souvenirs de Bonnard et des peintres de la joie de vivre se mêlent à des formules édulcorées du fauvisme* et du cubisme*, avec parfois des nostalgies de Vermeer, de La Tour, de Corot : ce réalisme se veut souvent poétique, parfois socialiste, mais il débouche le plus souvent sur un nouvel académisme. Des peintres savent, cependant, grâce à leur tempérament, trouver dans la figuration une voie personnelle : Derain* (après 1919), Marquet*, Dunoyer* de Segonzac, Balthus*, Jean Helion (né en 1904) [depuis 1939]... Une autre cohorte innombrable fut celle du réalisme naïf*, qui se place dans le sillage d’Henri Rousseau*, de Séraphine Louis et de Camille Bombois ; mais, là, malgré une attention aux détails presque maniaque, ce qui compte, c’est surtout la transposition poétique qu’entraînent de savoureuses « maladresses ».

L’image réaliste va trouver un autre emploi imprévu dans le surréalisme*, certains peintres du mouvement utilisant les techniques les plus précises et les plus traditionnelles du rendu des objets et de l’espace, mais à des fins tout autres que la reproduction du monde visible.

Autre avatar des techniques réalistes : le mouvement néo-classique qui s’amorce en différents pays autour de 1920, mais avec le plus de cohérence en Italie. Dès 1916, Carlo Carrà (1881-1966) prêche le retour à la figuration à travers les exemples de Giotto*, de Masaccio*, d’Uccello*. De 1918 à 1922 paraît la revue Valori Plastici, et le mouvement se prolonge en 1924 par celui du Novecento. Ces tendances sont déterminantes pour de nombreux peintres qui produisent des toiles d’une sérénité froide, qui semble tout ignorer des tensions de la vie moderne : Ubaldo Oppi (1889-1946), Achille Funi (né en 1890), Mario Broglio (1891-1948)... Gino Severini (1883-1966) abandonne le « cubo-futurisme » pour une figuration précise, de même que Felice Casorati (1886-1963), qui échappe à l’emprise de la Sécession viennoise. La conversion de De Chirico* est plus ambiguë ; Morandi* reste un isolé. En sculpture, des retours au réalisme se font à travers Medardo Rosso*, l’Allemand Adolf von Hildebrand (1847-1921) et l’art étrusque (Arturo Martini*, Marino Marini, Giacomo Manzu), avant de verser dans un maniérisme élégant, mais facile.

Valori Plastici a en Allemagne une influence immédiate, mais bien différente, avec les tendances de la « nouvelle objectivité » et du « réalisme magique ». George Grosz (1893-1959) et Otto Dix (1891-1969) chargent leurs œuvres d’intentions satiriques d’une extrême violence dans la critique sociale et, de ce fait, déforment leurs figures, qui frôlent la caricature. Par contre, Christian Schad (né en 1894), Rudolf Schlichter (1890-1955), George Scholz (1890-1945), Carlo Mense (1886-1965), Karl Hubbuch (né en 1891) donnent une vision du réel aiguë, désenchantée, mais peu déformée.

En Hollande, Charley Toorop (1891-1955) et surtout Pyke Koch (né en 1901) se rapprochent de ce courant.

Le seul fidèle dans son esprit au mouvement de 1848 est le réalisme socialiste tel qu’il se développe au cours des années 30 en U. R. S. S., puis dans les pays socialistes après 1945. Les réalisations restent malheureusement fort au-dessous des intentions : hymnes au travail, à la productivité, glorification du citoyen soviétique et de ses responsables politiques aboutissent à des œuvres ternes ou d’un accent de convention. Le dirigisme étatique, le système des commandes et des artistes officiels ne donnent pas de meilleurs résultats que du temps de la bourgeoisie du xixe s. Là encore, l’éclectisme règne, combinant des formules datant de plus d’un siècle, à peine rafraîchies par une palette claire venue de l’impressionnisme et, plus timidement, par des stylisations inspirées du cubisme (Aleksandr Aleksandrovitch Deïneka, [1899-1964]).