Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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réalisme (suite)

En Italie, la situation est excessivement complexe du fait de la grande multiplicité des centres artistiques. C’est Florence qui occupe la place la plus importante, avec le mouvement des macchiaioli (tachistes), qui s’affirme de 1849 à 1861 autour du café Michelangelo. Les influences du point de vue pictural viennent de Naples, par l’intermédiaire de Mancini, et de Paris, surtout par le critique Diego Martelli (1838-1896). C’est une peinture de plein air, qui annonce les impressionnistes, mais qui, au lieu de briser la touche, juxtapose de vastes plages colorées, synthèse de la forme et de la couleur. Serafino Da Tivoli (1826-1892), Vincenzo Cabianca (1827-1902), Giuseppe Abbati (1836- ! 1868), Raffaello Sernesi (1838-1866), sont d’admirables paysagistes de petits formats qui égalent souvent le meilleur Corot. Adriano Cecioni (1836-1886) joue un rôle important, à la fois théoricien, peintre et excellent sculpteur, qui capte l’instantanéité d’un mouvement. Trois peintres dominent ce courant et en dépassent les limites par leur talent comme par leur inspiration : Telemaco Signorini (1835-1901), influencé par Proudhon et qui peint des prisons, des asiles, des maisons closes dans un esprit contestataire ; Giovanni Fattori (1825-1908), le plus authentique peintre d’histoire du réalisme ; Silvestro Lega (1826-1895), dont les scènes de la vie bourgeoise sont pénétrées d’un mystérieux silence. Sont encore à citer : à Venise, Giacomo Favretto (1849-1887) et Luigi Nono (1850-1918) ; à Milan, Domenico Induno (1815-1878) ; à Naples, les garibaldiens Gioacchino Toma (1836-1891) et Michele Cammarano (1835-1920). Giuseppe De Nittis (1846-1884) fait une carrière internationale. Le réalisme se fait sentir jusque dans le courant divisionniste de la fin du siècle, chez Giovanni Segantini (1858-1899), Giuseppe Pellizza de Volpedo (1868-1907) et surtout chez Angelo Morbelli (1853-1919) et Plinio Nomellini (1866-1943).

Quant à la sculpture italienne, à part l’œuvre de Cecioni et celle du Napolitain Vincenzo Gemito (1852-1929), elle donne des produits bizarres : les effigies d’Antonio Dal Zotto (1841-1918), d’une bonhomie familière (le Goldoni de Venise, 1884), sont juchées malencontreusement sur d’énormes socles ; Achille D’Orsi (1845-1929) fait du vérisme antiquisant à grande échelle dans les Parasites (1868). L’aboutissement, inattendu, se trouve dans les campisanti (surtout le cimetière de Staglieno à Gênes et le Monumentale à Milan) : l’art funéraire abandonne l’allégorie pour reproduire les grandes douleurs en redingote et en robes de dentelles, dont le trépan reproduit dans le marbre tous les ajours.

Dans les pays germaniques, le réalisme prend tout naturellement la suite des peintres « Biedermeier », qu’il s’agisse du Viennois Ferdinand Georg Waldmüller (1793-1865), peintre d’une précision acide qui passe avec aisance du paysage au portrait et à la peinture de genre, des Allemands Wilhelm von Kobell (1766-1855) ou Franz Krüger (1797-1857). L’école de Düsseldorf, l’une des plus célèbres du xixe s., produit quantité de peintres de genre d’un réalisme bon enfant, comme Ludwig Knaus (1829-1910) et Benjamin Vautier (1829-1898), d’origine suisse. Leur influence se combinera avec celle de Courbet chez le Hongrois Munkácsy, qui acquiert en Allemagne l’essentiel de sa formation avant de s’installer à Paris. À Munich, à la suite de ses séjours et de ses expositions, Courbet exerce une forte influence sur Hans Thoma (1839-1924), Wilhelm Trübner (1851-1917) et surtout Wilhelm Leibl (1844-1900), le plus doué, qui terminera son œuvre avec des portraits de paysans d’une acuité qui fait penser à Holbein*. Adolf Menzel (1815-1905) donnera en 1875 une des meilleures peintures d’usine avec sa Fonderie. Max Liebermann (1847-1935) s’attache aux thèmes des bergers et des orphelinats de Hollande. Le courant réaliste se prolonge avec Fritz von Uhde (1848-1911), les débuts de Lovis Corinth (1858-1925) et surtout l’œuvre généreuse de Käthe Kollwitz (1867-1945), la seule qui ait su donner un pendant graphique aux grands romans de Zola dans son Insurrection des tisserands (1894-1898), sa Guerre des paysans (1903-1908).

La Russie a eu un courant réaliste très vigoureux, et l’influence des écrivains, surtout Tolstoï, y fut particulièrement sensible. La conception d’un art destiné à éduquer le peuple illettré fait naître en 1870 la « Société des expositions ambulantes » (Peredvijniki). Vassili Vassilievitch Verechtchaguine (1842-1904) dénonce les massacres de la guerre et Vassili Grigorievitch Perov (1834-1882) dessine une Procession de Pâques à la campagne aussi anticléricale que le Retour de la conférence de Courbet. Ilia Iefimovitch Repine (1844-1930), excellent dans tous les genres, aborde des sujets à contenu politique (le Retour du déporté, l’Arrestation du propagandiste). Ses contemporains, tels Vladimir Iegorovitch Makovski (1846-1920) et Vassili Ivanovitch Sourikov (1848-1916), donnent, eux aussi, un reflet fidèle de la société russe, tandis qu’Issaak Ilitch Levitan (1860 ou 1861-1900) peint les vastes horizons du pays.

En Roumanie, un surgeon de l’école de Barbizon se développe, en particulier avec Nicolaie Ion Grigorescu (1838-1907) et Ion Andreescu (1850-1882).

L’Angleterre a eu Hogarth* et Wright of Derby (Joseph Wright, 1734-1797) ainsi que divers peintres de genre. Les préraphaélites*, dont la confrérie est fondée en 1848, vont apporter une attention plus aiguë au réel, presque myope dans l’observation de détails infimes, avec une précision sèche du rendu. Dante Gabriel Rossetti et Edward Burne-Jones évoluent dans un monde éthéré qui fait d’eux les précurseurs du symbolisme. Par contre, John Everett Millais, William Holman Hunt sont le plus souvent d’authentiques réalistes, même quand ils évoquent une scène historique ou biblique. La plus significative, de ce point de vue, est cependant l’œuvre de Ford Madox Brown, où les préoccupations sociales sont manifestes. De nombreux peintres adoptent la même technique minutieuse pour traiter des thèmes de la vie quotidienne, le plus souvent dans un registre sentimental : ainsi Abraham Solomon (1824-1862), Arthur Hughes (1832-1915), Henry Wallis (1830-1916), John Brett (1830-1902), qui peint, lui-aussi, un casseur de cailloux, mais dans un décor de paradis terrestre. William Dyce (1806-1864) fut l’importateur des influences nazaréennes en Angleterre, mais il évolue vers un réalisme plein de silence et de poésie. William Powell Frith (1819-1909) est l’imagier minutieux de la vie bourgeoise. Quant à Richard Dadd (1819-1887), interné pendant plus de quarante ans, il laissera quelques œuvres étonnantes qui annoncent la précision dans la vision de certains surréalistes.