Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

artillerie (suite)

Poudre B, mélinite, canon de 75

Dans le sillage du renouveau qui caractérise l’armée française à la fin du siècle s’inscrivent deux inventions, celle de la poudre B sans fumée mise au point par Paul Vieille en 1884 et surtout celle de la mélinite (due à Eugène Turpin en 1885). Cette dernière, en multipliant la puissance des projectiles dans la proportion de 1 à 25 va accroître de façon considérable l’efficacité du feu de l’artillerie ; elle entraînera notamment une modification assez profonde de la fortification*. Mais la révolution la plus importante est celle qui donne à l’artillerie française un canon de campagne d’un type absolument nouveau, le 75 modèle 1897 : grâce à la mise au point d’un lien élastique entre le tube et l’affût, il permet en effet une rapidité de tir et une mobilité inconnues jusqu’alors. Synthèse la plus parfaite des progrès de la technique, le 75 sera un matériel remarquable, que les Allemands chercheront à imiter sans pouvoir l’égaler.


L’artillerie dans l’armée de 1914

Bénéficiant d’un recrutement de haute valeur — elle est la « fille préférée » de l’École polytechnique —, l’artillerie joue au début du siècle un rôle considérable dans l’armée, où elle s’affirme autant dans le domaine de la recherche technique que dans celui des réalisations. La Revue de l’artillerie, créée en 1872, constitue un centre d’échange et d’information de grande qualité. La tactique d’emploi, élaborée dans les célèbres cours de tir de Poitiers et de Mailly, ainsi que dans les écoles (Fontainebleau), s’appuie de façon systématique sur l’efficacité du tir du 75 sur objectif à vue directe entre 3 000 et 5 000 m. Elle s’inscrit à merveille dans le cadre de la doctrine offensive affirmée par un artilleur, le général Foch, qui commande l’École de guerre de 1907 à 1911. En 1910, le colonel Estienne, un autre artilleur, découvre toutes les possibilités d’observation que l’aéroplane apporte à l’artillerie, et demande « qu’il entre dans son armement normal ». Néanmoins, l’engouement pour le 75 est tel que l’on pense qu’il peut accomplir toutes les missions du combat. À partir de 1902, il équipe les régiments de campagne (ils seront 62 en 1914), à l’échelon de la division (9 batteries) comme à celui du corps d’armée (12 batteries). Aussi les études sur l’artillerie lourde menées par le colonel Rimailho n’aboutissent-elles qu’à la mise au point du canon de 155 CTR, dont une centaine de pièces seulement seront réalisées en 1914.

Tout autre est la situation de l’artillerie allemande, qui fonde son action offensive sur la puissance de feu des pièces lourdes de 105 et de 150 à tir courbe dont elle a doté divisions et corps d’armées, réservant l’attaque des positions fortifiées à des obusiers de 210 et à quelques mortiers de 305 (de type autrichien) et de 420 Krupp.

Le Service de l’artillerie

Une des réformes fondamentales de l’armée française après sa défaite de 1870 fut la création, par la loi du 16 mars 1882, des « services » chargés de pourvoir aux besoins généraux des troupes. Parmi eux, le Service de l’artillerie occupa une place éminente. En dehors des études techniques, au bénéfice direct de l’arme, il eut pour mission d’assurer pour l’ensemble de l’armée la fabrication et la distribution de tous les matériels d’armement ainsi que de leurs munitions. Il avait alors la haute main sur les arsenaux et disposait d’unités et de personnels spécialisés (ouvriers d’artillerie, contrôleurs d’armes, maîtres armuriers, etc.). Jusqu’en 1914 la quasi-totalité des fabrications s’effectuait dans ses arsenaux. Seul le caractère massif des besoins du front l’obligera, à partir de 1915, à traiter avec l’industrie privée. On conçoit que l’importance acquise par ce Service, qui exerçait un pouvoir quasi absolu sur tous les armements français, amènera son éclatement. Ses missions seront réparties entre le Service des fabrications d’armement* (1935), les Services du matériel* (1940), des transmissions* et des essences* (1942).


La Première Guerre mondiale

« Quand l’infanterie s’use, affirmait dès 1883 le général allemand Rüdiger von der Goltz, l’artillerie passe au premier plan. » Telle fut bien, dès la fin de 1914, la situation de tous les belligérants. Elle entraîna un développement spectaculaire de l’artillerie, tant dans le domaine quantitatif, qui en fit le plus gros client de la guerre industrielle, que dans le domaine qualitatif, où ses méthodes de tir et ses matériels connurent de remarquables perfectionnements. Cette évolution s’opère sous le signe de la puissance : dès 1916, à Verdun et sur la Somme, l’artillerie lourde, où les Français cherchent à rattraper leur retard, devient déterminante dans la bataille. On l’emploie en concentrations massives, et les délais qu’impose l’acheminement des trains de munitions conditionnent le rythme des grandes offensives. Le réglage des tirs est confié à une aviation d’observation, et leur préparation topographique bénéficie, grâce aux groupes de canevas de tir du général Bourgeois, de plans directeurs à très grande échelle (1/5 000). On assiste, sous la conduite du colonel Pagezy, à la naissance de l’artillerie antiaérienne, tandis que la guerre de position développe une gamme innombrable de mortiers de tranchée (les crapouillots). L’efficacité du feu est accrue, à partir de 1916, par l’emploi de l’obus à gaz, dont Ludendorff cherchera à faire l’instrument tactique de la décision lors de ses offensives de 1918. Dans le domaine de l’artillerie lourde, les Allemands conservent leur avance et disposent alors de 7 900 pièces lourdes, contre 7 000 à l’ensemble des Alliés. Ceux-ci, au contraire, ont mis l’accent sur la mobilité du feu. C’est de l’artillerie d’assaut, créée en France par le général Estienne, que naîtra l’arme blindée*. Dès 1916 commence la motorisation de l’artillerie avec la création des batteries de 75 portées sur camions ; à côté du développement de l’artillerie lourde sur voie ferrée apparaît celui de l’artillerie sur chenilles, de l’artillerie lourde tractée, qui compte 260 batteries et 14 000 véhicules en 1918, et qui conduit à repenser tout le problème de la mobilité en fonction du moteur.

Ce prodigieux essor se traduit sur le plan des effectifs, et l’armée française, qui comptait 430 000 artilleurs en 1914 (soit 16 p. 100 de ses combattants), en dénombrera 758 000 (soit 26 p. 100) en 1918, année pendant laquelle la consommation de munitions de tous calibres dépassera 300 000 obus par jour.