Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Raphaël (suite)

Déjà sensible dans la chambre d’Héliodore, la part des aides de Raphaël devient importante dans la chambre dite « de l’Incendie du Borgo », peinte pour Léon X de 1514 à 1517, selon un thème où l’histoire et l’actualité ont une place encore plus grande. Les quatre scènes principales font agir les papes du nom de Léon. Celle qui justifie l’appellation de la chambre, Léon IV arrêtant l’incendie du Borgo par un signe de croix, est la plus remarquable avec sa composition en profondeur, la passion archéologique dont elle témoigne, la qualité plastique de ses morceaux dont certains paraissent de la main de Raphaël.

Dans la salle dite « de Constantin », seule la conception de l’ensemble revient au maître ; l’exécution est entièrement due à ses disciples, par exemple Jules Romain*, auquel on attribue la fresque tumultueuse et grandiose où figure la Bataille du pont Milvius (ou Victoire de Constantin sur Maxence).

C’est sans doute en 1514 que Léon X avait commandé à Raphaël un autre ensemble capital : les cartons de dix tapisseries des Actes des Apôtres destinées à la chapelle Sixtine. Tissée à Bruxelles, la tenture originale est exposée à la Pinacothèque vaticane. Sept des cartons subsistent (Victoria and Albert Museum, Londres) : ces grandes compositions, notamment la Pêche miraculeuse, qui semble autographe, valent par la simplicité classique et l’efficacité d’une mise en scène donnant aux personnages le rôle essentiel.

De 1518 à sa mort, Raphaël dirigea enfin le chantier des « loges » du Vatican. C’est une galerie de treize travées dont la décoration délicate et fastueuse, exécutée notamment par Giovanni da Udine (1487-1564), associe des grotesques peints et des stucs modelés, tout en laissant la place à de petites compositions à fresque, au nombre de quatre par travée, qui illustrent d’une manière concise et vivante les principaux épisodes de l’Ancien Testament. Cette « Bible » célèbre est de l’invention du maître, et l’on connaît plusieurs dessins qui s’y rapportent, mais l’exécution revient à Jules Romain, Polidoro da Caravaggio (1500-1546), Perin del Vaga (v. 1501-1547), Giovanfrancesco Penni (1438-v. 1530), etc.


Rome : autres travaux

Les chantiers du Vatican n’absorbaient pas la prodigieuse activité de Raphaël, qui eut à décorer de fresques plusieurs édifices romains. Celle qui représente Isaïe entre deux putti, à l’église Sant’Agostino (1511), rappelle de très près les prophètes de Michel-Ange. Les commandes du banquier Agostino Chigi méritent une attention particulière. Au rez-de-chaussée de sa villa, appelée plus tard « la Farnesina », Raphaël peignit en 1511 le Triomphe de Galatée, composition souple et imprégnée d’un humanisme délicat. C’est encore le sentiment plastique de Michel-Ange qui inspire les quatre sibylles, les anges et les putti surmontant un arc de Santa Maria della Pace (1514). À Santa Maria del Popolo, la chapelle Chigi, dont l’architecture est de Raphaël, a des mosaïques exécutées sur ses dessins (1516). Le maître fut enfin chargé, en 1517, de décorer à fresque la loggia de la villa Chigi. À défaut de l’exécution, l’invention, très originale, lui revient, comme en témoignent de beaux dessins. La salle imite une pergola avec des festons de fleurs et de fruits ; la fable de Psyché occupe le milieu de la voûte et ses dix retombées.

La suite des madones romaines continue celle de la période florentine, dans un style plus mûr et souvent plus grave. La madone dite du duc d’Albe (National Gallery, Washington) est en tondo, de même que la célèbre Vierge à la chaise (palais Pitti). La Madone au diadème (Louvre) reste de petit format, alors qu’une ample composition signale celles de Foligno (Pinacothèque vaticane), au Poisson (musée du Prado, Madrid) et de Saint-Sixte (Gemäldegalerie, Dresde) ; cette dernière, qui provient de San Sisto de Plaisance, est la plus mystique dans son dépouillement. D’autres tableaux religieux datent de la période romaine : la Vision d’Ezéchiel (palais Pitti), d’effet monumental malgré le petit format ; la Sainte Cécile (pinacothèque de Bologne), avec sa nature morte d’instruments de musique ; enfin la célèbre Transfiguration (Pinacothèque vaticane), en deux registres, dont la partie inférieure trahit l’intervention d’élèves.

La tâche écrasante de Raphaël ne l’empêche pas de peindre, à Rome, quelques portraits dont le raffinement égale la simplicité : un cardinal (Prado), Baldassare Castiglione (Louvre), Fedra Inghirami (palais Pitti), la Donna velata (ibid.), le présumé Bindo Altoviti (National Gallery, Washington), Léon X avec deux cardinaux (Offices).


L’univers de Raphaël

Ce que révèle avant tout l’œuvre du maître au long de ces trois périodes, et ce qui explique le plus aisément l’étendue de son succès, c’est la prodigieuse faculté qu’il eut de traduire des concepts d’une grande élévation en un langage naturel et accessible à tous, en un monde de formes que traverse un souffle profondément humain. L’exemple des Madones est déjà significatif. L’accent peut être mis sur la maternité heureuse (la Belle Jardinière, la Vierge à la chaise), ou sur la gravité de la mission (Madone de Saint-Sixte) ; ce que l’on a toujours, c’est l’image vivante d’une féminité qui allie subtilement la grâce et la noblesse. Mais les grands cycles romains ont permis à Raphaël de prouver plus complètement son invention. On ne peut, certes, lui faire honneur de la totalité d’un programme tel que celui de la chambre de la Signature, où l’humanisme prend une résonance néo-platonicienne. La pensée pontificale a eu ici sa part, mais l’interprétation de Raphaël nous fait comprendre tout ce que l’on a voulu dire. La vocation de l’artiste n’était pas de tracer des figures allégoriques — présentes cependant pour fixer le thème —, mais plutôt d’en développer la signification dans des scènes dont chacune raconte une aventure de l’esprit humain. La composition joue évidemment un rôle primordial. Elle exprime par elle-même, par le balancement de ses masses, par l’équilibre final des forces qu’elle met en jeu, par la place qu’elle assigne à chaque chose, mais aussi par la souplesse de ses lignes déterminantes, l’idée d’un ordre spirituel. Elle respire à la mesure d’un espace qu’amplifie la perspective, où les figures comptent moins par elles-mêmes que par leur disposition. Tout cela est le signe d’un tempérament classique, mais le génie de Raphaël est assez riche pour admettre aussi des tendances apparemment contraires. La chambre d’Héliodore en est la preuve, avec l’intérêt qui s’y manifeste pour le mouvement, pour l’éclairage nocturne, autrement dit pour l’accidentel, et pour cette vérité individuelle qu’expriment avec tant de pénétration les admirables portraits peints à Florence ou à Rome.