Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Ramsès II (suite)

Ramsès, militaire avisé, installe ses bases et renforce ses armées. Il transporte d’abord sa résidence à Pi-Ramsès, à la frontière orientale de l’Égypte. (L’emplacement exact de la ville est controversé ; Pierre Montet [1885-1966] le confondait avec celui de Tanis ou d’Avaris.) Cette « remontée » de la capitale vers le nord est un fait important, tant du point de vue économique (en effet, les villes du Delta oriental, Tanis, Bubastis, Athribis, sont alors de grands centres commerciaux, et la nouvelle résidence du souverain se trouve ainsi au point de jonction des routes qui unissent le Delta aux ports syro-phéniciens et à la mer Rouge) que du point de vue politique (à la capitale religieuse sise à Thèbes, où le clergé d’Amon est puissant, s’oppose désormais une autre capitale, centre politique, éloignée de l’emprise cléricale) ; de plus, Pi-Ramsès (Tanis ? Qantir ?), aux frontières mêmes de l’Asie, prend figure de capitale d’Empire, mi-égyptienne, mi-asiatique (ainsi, le quartier oriental de la ville est consacré à la grande déesse-mère de l’Asie antérieure, Ishtar, et le quartier occidental à celle du Delta, Ouadjet). Cette décision répond avec évidence à un souci de politique impérialiste raisonnée, et a l’avantage d’offrir une base commode pour les opérations militaires.

Dans le même esprit, Ramsès II développe son armée. Aux trois divisions déjà existantes (placées sous le patronage des dieux Amon, Rê et Ptah), il en adjoint une quatrième, que protège Seth, dieu oriental (proche de Baal ou de Soutekh, guerriers asiatiques, et souvent assimilé à ceux-ci). Des troupes noires sont levées en Nubie (corps d’archers), et des mercenaires sont recrutés parmi les prisonniers de guerre (shardanes, notamment). Dernière mesure de sagesse : des campagnes en Nubie et en Libye assurent la paix aux confins du sud et de l’ouest. Une guerre s’engage, qui va durer, suivant différentes phases, durant une vingtaine d’années.

Ramsès remonte jusqu’à l’Oronte et livre, devant Kadesh, une grande bataille connue grâce à des sources précises : notamment le Poème de Pentaour (reproduit sur plusieurs papyrus, copié en hiéroglyphes sur les murs des temples de Louqsor, de Karnak, d’Abydos) et le rapport officiel de la bataille (sculpté en bas reliefs, accompagnés de légendes, sur les murs de plusieurs sanctuaires : à Thèbes, Abydos, Abou-Simbel, entre autres). C’est une aventure héroïque : Ramsès II, déjà parvenu aux rives de l’Oronte, où l’attend Mouwattali près de Kadesh, ayant été trompé par de faux rapports d’espions (agents doubles) annonçant la retraite de l’armée hittite, précipite sa marche et franchit en partie le gué sur le fleuve, pour tourner la ville, et cela (rassuré qu’il est) sans prendre soin de couvrir ses flancs ; la division d’Amon a franchi la rivière, celle de Râ s’apprête à le faire, cependant que les divisions de Ptah et de Seth, à l’arrière, s’acheminent encore sur la route. Mais la trahison apparaît lorsque deux prisonniers hittites, interrogés... et bâtonnés, avouent la manœuvre perfide. Ramsès veut accélérer le regroupement de ses soldats, mais Mouwattali, qui a déjà massé ses 2 500 chars au bord du fleuve, fonce, coupe en deux l’armée égyptienne et pénètre, semble-t-il, jusque dans le camp de Ramsès. Celui-ci, guidé par Amon, réussit (d’après les textes égyptiens) l’héroïque exploit de rejeter, seul, l’ennemi en désordre : « Je t’invoque, ô mon père Amon ! Me voici au milieu de peuples si nombreux qu’on ne sait qui sont les nations conjurées contre moi, et je suis seul, aucun autre avec moi. Mes nombreux soldats m’ont laissé, aucun de mes charriers n’a regardé vers moi quand je l’appelais... Mais Amon vaut mieux pour moi qu’un million de soldats, que cent mille charriers, qu’une myriade de frères ou de jeunes fils... Amon surgit à mon injonction, il me tend la main, il pousse un cri de joie : « Face à face avec toi, Ramsès Meriamoun, je suis avec toi ! C’est moi ton père ! Ma main est avec toi... Moi, le fort, qui aime la vaillance, j’ai reconnu un cœur courageux... » Alors je suis comme Montou, de la droite je tranche, de la gauche je saisis... J’ai rencontré 2 500 chars, et, dès que je suis au milieu, ils se renversent devant mes cavales... » (grande envolée lyrique de Pentaour). Bataille confuse, en fait, à l’issue incertaine, mais qui arrêta la progression hittite vers le sud.

Deux ans après, Ramsès fait campagne en « Palestine », où Mouwattali a fomenté une révolte.

Une crise dynastique éclate au Hatti : Hattousili, frère de Mouwattali, prend finalement le pouvoir. Après une nouvelle démonstration militaire du souverain d’Égypte, qui remonte jusqu’à Tounip, Hattousili III semble manifester une volonté de paix. Un nouveau danger, commun, rapproche d’ailleurs, à ce moment, les deux souverains : Salmanasar Ier (Shoulmân-asharêdou), roi d’Assyrie, pénètre dans le Mitanni et porte sa frontière jusque sur l’Euphrate. Des ambassadeurs égyptiens et hittites établissent, vers 1278, les bases d’un traité qui assure aux deux royaumes le partage de l’hégémonie, politique et économique, sur le monde asiatique. Le texte de ce traité est gravé en langue akkadienne sur des tablettes d’argile, déposé aux pieds des dieux Rê et Teshoub (ses garants), dans leurs sanctuaires respectifs à Pi-Ramsès et à Hattousa (l’actuel site de Boğazköy), et des copies sont sculptées, en hiéroglyphes, sur les murs du temple d’Amon à Karnak et sur ceux du Ramesseum. Il témoigne d’une alliance étroite entre deux rois égaux, alliance consolidée par des rapports personnels : visite du souverain hittite en Égypte, mariage de Ramsès avec une princesse hittite (?). Pendant cinquante ans, le Proche-Orient va connaître la paix, que rend féconde un intense courant d’échanges culturels et économiques.

Ramsès emploie également ces années calmes à consolider son empire africain. La mise en valeur des mines d’or, la politique d’égyptianisation se développent encore. L’occupation, tout en se maintenant officiellement jusqu’à Napata (quatrième cataracte), semble n’avoir été effective que jusqu’à la deuxième cataracte. Cette région se couvre alors de magnifiques monuments : les plus célèbres sont les temples que Ramsès II fit tailler dans la montagne même, à Abou-Simbel (peu avant la deuxième cataracte) ; l’un est consacré à la triade Amon-Horakhty-Ptah, l’autre à la déesse Hathor ; c’est à même le roc également que sont sculptées les quatre statues assises colossales du souverain, lesquelles devancent la façade du grand temple, ainsi que les six hautes statues de Ramsès II et de la grande épouse royale Nefertari, qui encadrent l’entrée du temple d’Hathor.