Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Rabat (suite)

Salé

Face à Rabat, sur la rive nord du fleuve, Salé (Salā) est une fondation bien plus ancienne. Le marīnide Abū Yūsuf Ya‘qūb construisit les remparts et la porte du petit port (Bāb al-Mrīsā), gigantesque avec son arc de près de 9 m d’ouverture et de plus de 12 m de haut, ouvrant le passage aux bateaux (xiiie s.). Signalons encore la Grande Mosquée (fin du xiie s.), l’aqueduc, une jolie medersa où l’on remarque d’intéressants chapiteaux conservant le souvenir de l’acanthe et des volutes ioniques (xive s.), le beau porche ouvragé d’une zāwiya en ruines.


Chella

Au sud-est de l’enceinte almohade de Rabat, la nécropole marīnide de Chella (Chālla), utilisée dès 1284, a reçu son aspect définitif au xive s. Bien qu’elle soit très déchue, on admire encore l’enceinte qui la ferme, ses trois portes sévères, dont une monumentale, sa luxueuse mosquée funéraire.


Les arts mineurs

Quelques céramiques gaies et de couleurs vives viennent de Rabat ; les broderies de soie et sur fils tirés, très différentes selon qu’elles sortent des ateliers de Rabat ou de Salé, méritent cependant plus d’attention (point natté et point de croix). Salé est aussi célèbre pour ses tapis et ses bois marquetés.

J.-P. R.

 Villes et tribus du Maroc. Rabot et sa région (E. Leroux, 1918-1921 ; 3 vol.). / H. Basset et E. Lévi-Provençal, Chella, une nécropole mérinide (Larose, 1923). / P. Champion, Rabat et Marrakech (H. Laurens, 1927). / C. Mauclair, Rabat et Salé (H. Laurens, 1934).

Rabelais (François)

Écrivain français (La Devinière, près de Chinon, v. 1483 ou v. 1494 - Paris 1553).



L’homme

La biographie de Rabelais est pleine d’énigmes déconcertantes, mais elle est pourtant riche en enseignements qui facilitent la compréhension de son œuvre. Antoine Rabelais, son père, était avocat au siège royal de Chinon et apparenté aux plus grandes familles de sa province. Des données solides nous font défaut au sujet de l’enfance et des études de François. Fut-il novice au couvent de La Baumette, près d’Angers ? Rien de certain. Plus tard, il prend l’habit franciscain au couvent de Fontenay-le-Comte, en Poitou, où il fait la connaissance de Pierre Amy, qui l’initie aux études grecques et l’encourage à écrire à Guillaume Budé (1467-1540). Il entre aussi en relation avec les érudits de la région, notamment André Tiraqueau (v. 1480-1558) et Amaury Bouchard. Tout au long de sa carrière, il sait conserver des protecteurs puissants. Grâce à Geoffroy d’Estissac, qui l’attache à sa personne en qualité de secrétaire, il passe, en 1524-25, chez les bénédictins de Maillezais, où il peut poursuivre plus librement ses études. Il se lie alors avec le rhétoriqueur Jean Bouchet (1476-1559), de Poitiers, et Antoine Ardillon, abbé de Fontenay-le-Comte. Dans ce monde provincial et rural, Rabelais découvre les cercles de lettrés, de religieux savants, d’officiers de justice et de magistrats. Dans des circonstances inconnues, il quitte, en 1527, son froc de bénédictin pour devenir prêtre séculier, et il parcourt la France, s’arrêtant, comme l’attestent quelques épisodes de son œuvre, dans plusieurs villes universitaires en renom (Bourges, Orléans, Paris, Toulouse...). En 1530, on le retrouve à Montpellier, où il s’inscrit à l’école de médecine et où il donne des cours sur Hippocrate et Galien. Grandes devaient être ses connaissances et son expérience puisque, au bout de deux mois d’études, il reçut le grade de bachelier. À Montpellier s’achève sa formation intellectuelle : il noue une solide amitié avec le médecin Guillaume Rondelet (1507-1566) et il se rend compte que tout le savoir humain n’est pas dans les livres. Nommé ensuite médecin de l’hôtel-Dieu, il s’installe à Lyon, et c’est dans cette cité alors débordante d’activité littéraire qu’il connaît la période la plus féconde de son existence. Non seulement son cercle de relations s’élargit (Étienne Dolet [1509-1546], Mellin de Saint-Gelais [1491-1558], Macrin [Jean Salmon, 1490-1557]), mais il correspond aussi avec Érasme, qu’il vénère comme son père spirituel. Viennent les voyages en Italie : il y accompagne d’abord son nouveau protecteur, l’évêque de Paris Jean du Bellay (1492-1560), chargé d’une délicate mission auprès de Clément VII. Après l’« affaire des Placards » (1534), Jean du Bellay, nommé cardinal, l’emmène de nouveau : Rabelais voit alors à Ferrare la cour d’Hercule II d’Este et de Renée de France, à Rome la cour de Paul III ; il parcourt Florence, où régnait le duc Alexandre de Médicis. Dans ses lettres à Geoffroy d’Estissac, nous possédons une chronique variée de la vie romaine. Du Bellay réserve une place pour son médecin dans son abbaye bénédictine de Saint-Maur-des-Fossés, mais celui-ci reprend vite sa vie errante pour se livrer à l’étude et à la pratique de la médecine. De retour à Montpellier pour achever ses études, il est licencié le 3 avril 1537 et docteur le 22 mai. Il pratique son art à Lyon et il fait, à Montpellier, des leçons sur les traités d’Hippocrate. En 1540, il se rend en Italie aux côtés de Guillaume du Bellay (1491-1543), seigneur de Langey, gouverneur du Piémont, mais il a la douleur de le perdre en 1543 et de ramener au Mans, où il est inhumé, l’ami décédé. Il voit disparaître cette même année son premier protecteur, Geoffroy d’Estissac. Après la mort de Langey, qui fit sur lui une impression profonde, on perd sa trace pendant deux ans. En 1546, le Tiers Livre, comme ses devanciers, est condamné par la Sorbonne. Cela justifie-t-il la retraite de l’auteur à Metz, ville d’Empire ? À l’occasion de son troisième voyage à Rome, où Jean du Bellay l’appelle, Rabelais écrit une « Relation des fêtes données à l’occasion de la naissance de Louis, duc d’Orléans », qu’il fera imprimer à son retour sous le titre de Sciomachie. Grâce à son protecteur, il obtient les cures de Saint-Martin de Meudon et de Saint-Christophe-du-Jambet, dans la Sarthe ; par la recommandation du cardinal de Châtillon, Odet de Coligny (1517-1571), il reçoit un privilège pour faire imprimer tous ses ouvrages. Que devient-il ensuite ? En janvier 1553, il résigne ses cures, et il meurt à Paris, le 9 avril.

La légende d’un Rabelais ivrogne et bouffon s’est formée du vivant même de l’écrivain. Il apparaît ainsi dans l’épitaphe que Ronsard compose pour lui en 1554 ; l’historien Jacques de Thou le peint sous le même aspect et nous dit qu’« il se livra tout entier à une vie dissolue et à la goinfrerie ». L’imagination des lecteurs n’a jamais cessé de broder sur ces thèmes.