Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
Q

Québec (province de) (suite)

Une évolution rapide mettra toutefois fin à cette création artificielle, et le Québec renaît, sous le nom de Bas-Canada, avec la constitution du « Dominion of Canada », en 1867 : les descendants des Français vont retrouver un territoire où ils bénéficieront de certaines garanties pour maintenir leur originalité, alors que leur avenir pouvait sembler de plus en plus menacé par l’arrivée massive des immigrants anglophones. En particulier, la province du Bas-Canada garde la responsabilité de l’éducation, qui va jouer un rôle primordial dans la conservation de la francophonie, et qui sera le thème essentiel des luttes politiques menées depuis Québec contre le « fédéral » : après avoir été très émue par les révoltes des Indiens du Manitoba et la fin tragique de Louis Riel*, leur chef, l’opinion publique du Québec soutient avec ardeur les enseignants catholiques (et francophones) de cette région. Mais l’habileté d’un « Premier » libéral d’origine française — Wilfrid Laurier* — permet pourtant d’enterrer l’affaire dans les dernières années du siècle. À partir de 1912, un nouveau conflit oppose les francophones de l’Ontario aux responsables de l’enseignement dans leur province. Cette lutte, soutenue par la hiérarchie catholique, est menée par Henri Bourassa (1868-1952), qui s’appuie sur le Devoir et qui devient le leader du nationalisme québécois : pendant la Première Guerre mondiale, Bourassa en vient à combattre la participation du Québec au conflit, et la province vote en 1917 contre le gouvernement « unioniste », qui cherche à développer l’effort de guerre. De graves émeutes ont même lieu contre la conscription à Québec (29 mars - 2 avr. 1918). Le nationalisme québécois connaît alors un nouvel essor : à droite, l’abbé Lionel Groulx (1878-1967) fonde en 1917 l’Action française (qui deviendra l’Action canadienne-française en 1929, puis l’Action nationale en 1933) et prône la « revanche des berceaux » sur les envahisseurs anglo-saxons. Ce courant politique souhaite un pouvoir fort, de type corporatiste, capable de marquer profondément l’Amérique du Nord de l’influence catholique et française. Les idées de Groulx vont influencer Maurice Duplessis (1890-1959), leader des conservateurs québécois à partir de 1930 : son « Union nationale » remportera une victoire éclatante aux élections de 1936.

Mais les libéraux reviennent au pouvoir au Québec en 1939. La nouvelle guerre mondiale verra encore se développer l’opposition de la « Belle Province » à la conscription : Duplessis sait exploiter ce mécontentement et emporte la majorité des sièges aux élections du 8 août 1944. Son régime sera pour ses adversaires celui de la « grande noirceur » : clérical, il défend le catholicisme le plus conservateur ; les valeurs du passé doivent seules permettre la survie des Canadiens français. Mais beaucoup dénoncent le faux nationalisme d’un régime qui favorise l’implantation massive des capitaux américains au Québec. Le conservatisme social de Duplessis l’amènera à réprimer brutalement les grèves dans les exploitations d’amiante en 1949 (les protestations de l’archevêque de Montréal, Mgr Charbonneau, vaudront à ce dernier l’exil en Colombie britannique...).

Peu à peu, le régime de Duplessis apparaît comme incapable de conduire la province vers un développement économique rationnel, et l’évolution idéologique des couches moyennes donne la victoire aux libéraux en 1960. Leur leader, Jean Lesage (né en 1912), entreprend une « révolution tranquille ». La nationalisation de l’électricité rationalise la production d’énergie et facilite ainsi le progrès de l’industrie. Sur le plan social, l’assistance est développée. La création d’un ministère de l’Instruction publique (1963) consacre enfin la perte du quasi-monopole de l’Église sur l’éducation. Mais ce régime est fondamentalement lié au pouvoir fédéral en une période où le monde entier est agité par des luttes de « libération nationale ». C’est alors que certains éléments de la jeunesse québécoise commencent à assimiler la lutte pour l’indépendance de la province à celle des « anticolonialistes » révolutionnaires. Le vieux combat de la droite nationaliste est dès lors complètement dépassé par une jeunesse en plein bouillonnement qui refuse désormais de « prendre pour maître le passé » (comme le souhaitait L. Groulx) et qui abandonne avec une étonnante brutalité les anciennes croyances religieuses.

Le « Rassemblement pour l’indépendance nationale » (R. I. N.) naît en 1960, un an après le début de la « révolution tranquille ». De jeunes extrémistes, membres d’un « Front de libération du Québec » (F. L. Q.) en viennent à des actions terroristes. Le renouveau du nationalisme profite finalement à une Union nationale qui cherche à se rénover et qui n’effraie pas la masse des Québécois désireux, certes, de conserver leur originalité, mais qui sont fort effrayés par les actions révolutionnaires : les élections de 1966 ramènent les nationalistes conservateurs au pouvoir, avec Daniel Johnson (1915-1968). L’année suivante (1967), la visite du général de Gaulle et sa fameuse exclamation (« Vive le Québec libre ! ») provoquent une vive émotion chez tous les Québécois et des réactions hostiles au niveau du « fédéral ». Le nationalisme qui se veut progressiste connaît à cette époque des mutations qui aboutissent, en 1968, à la formation du « parti québécois », dirigé par René Lévesque. Mais des courants inspirés par des idées socialistes radicales se sont développés parallèlement : à partir de 1965, le « Mouvement de libération populaire » milite pour une révolution « nationale » dirigée par les travailleurs et non par la bourgeoisie. Puis le F. L. Q. cherche à constituer une avant-garde pour « radicaliser l’agitation sociale spontanée » : de nouveaux attentats sont organisés, en particulier contre la Bourse de Montréal en 1968. Cette agitation culmine avec l’assassinat, en octobre 1970, du ministre du Travail québécois, Pierre Laporte. Ces actions aventuristes n’ont pour résultat que d’éloigner de nouveau les Québécois des nationalistes et de fortifier les libéraux, au pouvoir avec Robert Bourassa (né en 1933) depuis avril 1970. Aux élections de 1973, les libéraux remportent un véritable triomphe en obtenant, avec 54 p. 100 des voix, 102 députés sur 110. L’Union nationale disparaît de l’Assemblée provinciale, et le parti de René Lévesque n’obtient que 6 sièges (ce dernier, qui regroupe 30 p. 100 des électeurs, a été, il est vrai, particulièrement défavorisé par le mode de scrutin, majoritaire à un seul tour). L’année 1976 voit un événement considérable et inattendu, la victoire de René Lévesque, dont le parti, avec 42 p. 100 des suffrages exprimés, obtient 70 sièges et une large majorité à l’Assemblée provinciale. L’arrivée au pouvoir des indépendantistes soulève de vives inquiétudes quant à l’avenir même du Canada, certains faisant ressortir que la sécession de la « Belle Province » risque d’amener d’autres régions à vouloir, par exemple, s’intégrer aux États-Unis. La première tâche de R. Lévesque est de rassurer l’opinion, en particulier les anglophones de Montréal, qui se voient garantir leurs droits de minorité. Vis-à-vis des milieux d’affaires, le nouveau pouvoir cherche à démontrer que l’inéluctable indépendance du Québec pourra fort bien s’accommoder de liens étroits et multiples avec les autres régions demeurées dans le giron d’Ottawa.

S. L.

➙ Canada / Laurier (W.) / Papineau (L. J.) / Riel (L.).