Puvis de Chavannes (Pierre) (suite)
Certain de sa vérité, froid et grave, austère, du moins dans sa maturité, Puvis de Chavannes « aimait l’ordre parce qu’il aimait passionnément la clarté ». C’était un classique. Deux faits dominent sa formation. C’est d’abord un séjour de deux ans en Italie, où il a la révélation de la peinture murale, surtout devant les décorations de Pompéi et les fresques de Giotto. Puis, à Paris, après un court séjour dans l’atelier de Delacroix*, dont les leçons succèdent à celles de Scheffer, c’est l’inclination qui le porte vers Chassériau*.
L’influence des fresques de ce dernier à la Cour des comptes est sensible dans les forgerons du Travail, l’une des peintures murales exécutées de 1860 à 1865 pour le musée de Picardie à Amiens (et que complétera en 1882 une autre composition, Ludus pro patria).
Avec ses nudités et ses drapés antiques, cette série développe une symbolique de l’existence et des activités humaines prenant pour décor les beautés de la province picarde. Au musée des Beaux-Arts de Marseille (1868-69), les origines de la cité sont évoquées, tandis qu’à l’hôtel de ville de Poitiers le peintre conte l’histoire régionale à travers les figures de Sainte Radegonde (1872) et de Charles Martel (1874).
À Lyon, pour le palais des Arts, il donne ensuite le célèbre Bois sacré (1884), la Vision antique (1885) et l’Inspiration chrétienne (1887). À Paris, trois ensembles sont fort connus. À l’Hôtel de Ville, entre plusieurs groupes, on retient l’Été et l’Hiver (1891-92) ; le grand amphithéâtre de la Sorbonne renferme les Sciences et les arts ; au Panthéon sont les principaux épisodes de la vie de sainte Geneviève, le plus célèbre (et la dernière œuvre de l’artiste, en 1898) représentant l’héroïne veillant sur Paris endormi. Les États-Unis possèdent l’unique ensemble de Puvis de Chavannes qui soit hors de France ; il fut exécuté en 1894-1896 pour le grand escalier de la bibliothèque de Boston.
Rigidité, impassibilité, intransigeance et traditionalisme ont été reprochés au peintre. Beaucoup de ses contemporains n’ont pas compris sa sobriété, qui s’impose pourtant à un muraliste — mais qui demeure chez lui dans la peinture de chevalet (le Pauvre Pêcheur, 1881, musée du Louvre). Faite pour être vue de loin, la peinture murale fait corps avec l’ordre architectural. Ainsi s’expliquent les couleurs volontairement mates, ternes même et peu nombreuses de Puvis. S’il avait peint directement sur la muraille, il n’aurait pu être plus fidèle à cette discipline ; car ses œuvres ont été peintes en atelier, sur des toiles des dimensions voulues, et marouflées ensuite.
À cette frugalité correspondent la rigueur et l’unité, une attention entièrement tournée vers l’essentiel, vers l’expression et non la narration. Par là, Puvis de Chavannes est un classique, mais un classique qui appartient à son temps : un moderne qui crée un langage symbolique simple, compréhensible de tous, dont les matériaux sont non pas l’anecdote, l’allégorie complexe ou la référence culturelle, mais bien la ligne, la couleur et la forme. Par là, il a influencé Gauguin*, Maurice Denis et les nabis*, voire Picasso.
M. B.
CATALOGUE D’EXPOSITION : L. d’Argencourt et J. Foucart, Puvis de Chavannes (Paris-Ottawa, 1976).