Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Purcell (Henry) (suite)

Les sonates

En 1683, trois ans après les fantaisies, Purcell se risque à publier une œuvre pour la première fois : les douze sonates à trois parties dédiées à Charles II. Et que disait la préface au lecteur ? « L’auteur a fidèlement tenté une juste imitation des maîtres italiens, ceci surtout afin de faire apprécier le sérieux et la gravité de cette sorte de musique à nos compatriotes dont l’humeur devrait commencer à être excédée de la frivole légèreté de nos voisins. »

Après l’archaïsme, voici dès lors la dernière mode : la sonate à trois italienne. Des réserves que la Restauration anglaise manifeste à l’égard de l’art français et de l’admiration qu’elle porte aux violonistes italiens, on déduirait toute l’esthétique des sonates : plus franches que leurs sœurs françaises, ivres de mélodie et de vie rythmique. C’est une musique robuste et éclatante, plus décorative, donc moins touchante que les fantaisies, mais au moins digne de ses modèles italiens. Deux ans après la mort du musicien, sa veuve fera paraître dix sonates à quatre parties de la même veine ; la neuvième sonate de ce second recueil est la célèbre Golden Sonata, avec son mouvement lent chromatique et plaintif qui a ses égaux dans certaines autres sonates et ses supérieurs dans la musique vocale de Purcell. Une sonate pour violon et basse peut encore se rattacher à tout ce groupe.


Clavecin et orgue

Après la mort de Purcell parurent huit suites pour clavecin (1696) ; douze autres petites pièces ont été pour moitié publiées en 1689 par Purcell lui-même, qui n’y est le meilleur que de temps à autre (comme Mozart dans ses sérénades et ses divertimenti), soit que sa veine mélancolique s’exprime dans telle allemande ou tel ground ou que sa fantaisie campagnarde rejoigne celle de ses ancêtres virginalistes dans l’un ou l’autre New Irish Tune ou New Scotch Tune. Purcell ne se distingue pas grandement dans ses quatre Voluntaries pour orgue de ses contemporains ou de ses successeurs anglais.


La musique vocale

À l’exception des fantaisies, ce n’est pas dans le domaine purement instrumental que Purcell atteint au plus haut, mais dans telle de ses odes et dans la plus grande part de sa musique pour le théâtre. Tout comme Mozart, à qui l’on a si souvent la tentation de le comparer (même brièveté de son passage sur terre et même profusion créatrice : plus de cinq cents compositions), il est parfait la plupart du temps, mais sublime ici, comme le Mozart des opéras, des concertos pour piano et des grandes pages sacrées.


Musique religieuse

Il faut dire auparavant un mot de la terminologie de la musique religieuse anglaise : l’anthem correspond à ce que l’on nomme à pareille époque sur le continent motet ou cantate. Le full anthem est encore archaïquement polyphonique, la participation instrumentale se réduisant au continuo ou à la doublure des parties vocales. Le verse anthem s’ouvre à l’esthétique concertante du baroque : épisodes instrumentaux, soli et chœurs alternent librement par jeux contrastés. D’un côté, la tradition ecclésiastique ; de l’autre, le goût des souverains de la Restauration.

Dans le premier genre, Purcell a écrit quelques pages admirables : parmi une quinzaine de full anthems les trois Funeral Sentences (1682) et Thou knowest Lord, the Secrets of our Hearts (1695), pour les funérailles de la reine Marie II Stuart, nous renvoient à l’univers des fantaisies.

Parmi la cinquantaine de verse anthems, My Heart is inditing se détache par sa magnificence ; composé pour le couronnement de Jacques II (1685), il s’ouvre par une somptueuse symphonie sans doute influencée par l’art vénitien et conclut sur un Alleluia non moins éclatant, qui montre bien comment un certain faste sonore a pu cheminer des Gabrieli à Händel, en passant par notre musicien. La grandeur händelienne, avec ses effets puissants et simples, se laisse mieux que deviner dans le célèbre « Bell » anthem : Rejoice in the Lord alway (entre 1682 et 1685) avec son ouverture sur une gamme descendante en basse obstinée, qui lui a valu son surnom et dont la puissance est inoubliable, comme certains carillons du même genre dans les œuvres sacrées de Monteverdi.

Mais celui des verse anthems qui nous émeut le plus est plutôt une œuvre de jeunesse : My Beloved Spake (avant 1683), où le texte du Cantique des cantiques invoquant la bien-aimée et le retour du printemps dans la nature a inspiré à Purcell un tableau chatoyant avec chants d’oiseaux, mélodies enivrantes et harmonies romantiques. L’œuvre s’achève sur un chœur dansé d’une allégresse campagnarde absolument inimitable par tout autre que le musicien lui-même, et que Händel semble avoir enviée.

Décidément, c’est entre l’austérité archaïque et le faste baroque, et à ces deux extrêmes, que se meut le génie purcellien à l’église. Plusieurs des nombreuses œuvres sacrées du compositeur semblent moins bien venues, parce qu’à mi-chemin entre ces deux pôles. Le Morning and Evening Service en si bémol (avant 1683) appartient plutôt au passé et devrait faire un peu oublier le brillant Te Deum and Jubilate en majeur (1694), œuvre « dans le vent », mais finalement un peu creuse, quoique très célèbre. Parmi des morceaux sacrés isolés pour quelques voix solistes, il convient de mentionner spécialement l’étonnant In Guilty Night, sorte de scène dramatique sacrée faisant intervenir Saül, la sorcière d’Endor et le spectre du prophète Samuel, véritable épisode shakespearien répondant à la scène des sorcières de Dido and Aeneas.


Les odes

Ce sont vingt-cinq grandes cantates baroques, au nombre desquelles les six odes pour l’anniversaire de la reine Marie, les welcome songs pour Charles II et Jacques II et les quatre odes pour la Sainte-Cécile. Le cadre est toujours celui d’une certaine solennité, mais le génie anglais et le tempérament purcellien y glissent sans cesse des épisodes fantasques, élégiaques, humoristiques, et les accents populaires y ajoutent quelque chose de fruste, de revigorant qui s’allie aux fastes décoratifs baroques dans ce qu’ils ont de plus éblouissant. Il n’y a pas une seule de ces compositions où l’on ne puisse relever quelque trésor d’imagination et de poésie en musique, mais il y a deux chefs-d’œuvre où chaque nouvelle partie est un nouvel événement musical, où l’on va de surprise en enchantement : l’ode pour la Sainte-Cécile (Hail Bright Cecilia, 1692) et la dernière des odes pour la reine Marie (Come Ye Sons of Art away, 1694). Cette dernière comprend un chœur étincelant où les jeux de répétition de mots pour leur seule valeur musicale résolvent avec humour les problèmes de la vanité des textes de circonstance ; suit une série éblouissante de solos et de duos : deux voix de haute-contre imitant les trompettes, deux flûtes entourant de leurs arabesques une voix de haute-contre, un soprano dialoguant avec le hautbois, tout cela précédé d’une merveilleuse ouverture instrumentale. Celle qui sert de prologue à l’ode Hail Bright Cecilia est encore plus admirable, principalement dans ses séquences lentes avec leurs chromatismes lancinants. Pas un musicien entre Monteverdi et Bach ne s’est élevé à de tels sommets, ce que confirme le chœur d’entrée — grande fresque tantôt en contrepoint expressif, tantôt composée d’impressionnantes masses verticales (comme le fera plus tard Händel) et sans cesse coupée d’interventions solistes — et le chœur no 5 « Soul of the World », dont le pouvoir expressif et la maîtrise ont été justement comparés à la fin de Dido and Aeneas. Parmi les épisodes de solistes, tous passionnants, les plus beaux appartiennent au genre du ground, fragment mélodique obstinément répété à la basse et dont les parties mélodiques s’échappent sans cesse avec la plus grande liberté (« Hark, hark, Each Tree », duo soprano-basse avec trois flûtes et violons ; « Wondrous Machine », air de basse avec deux hautbois) ; même l’inévitable fanfare évoquant la trompette — car chaque instrument a droit ici à un hommage — évite les galopades compassées de ce genre d’exercice dans la musique du temps (« The Fife and All the Harmony of War »).