Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

psychose (suite)

Ce sont bien les conclusions auxquelles parviennent aussi bien les antipsychiatres inspirés par la phénoménologie que les psychanalystes de plusieurs écoles : il y a ceux qui, comme D. W. Winnicott (1896-1971), se réclament de Melanie Klein, et ceux qui, comme Maud Mannoni, se réclament de Jacques Lacan. Pour tous, il est clair que la psychose est l’aliénation d’une parole par une autre parole aliénante. Ainsi, Winnicott analyse l’autisme de l’enfant psychotique comme une organisation hautement sophistiquée, au contraire de l’idée simple selon laquelle l’autisme serait une organisation primaire à laquelle le malade reviendrait par régression ; c’est une organisation défensive, qui fait souffrir l’entourage plus que l’enfant. La cause doit en être cherchée dans la haine de la mère pour l’enfant (haine inconsciente refoulée) : le désir de mort des parents pour l’enfant est destructeur pour ce dernier qui n’a plus d’autre issue que ce que Bettelheim a appelé une « forteresse vide ». Winnicott écrit : « L’enfant porte avec lui la mémoire, le souvenir perdu d’une angoisse impensable, et la maladie est une structure mentale complexe qui l’assure contre le retour des conditions de l’angoisse impensable. »

Allant encore plus loin, Gilles Deleuze et Félix Guattari, dans l’Anti-Œdipe (1972), rejettent sur la psychanalyse même la responsabilité des cadres aliénants qu’elle a contribué à étayer théoriquement et pratiquement : famille, école, contrainte, dont l’idée même de structure œdipienne est la base. C’est le « familialisme » de la psychanalyse qui contribue à maintenir le névrosé dans son malaise, et c’est le psychotique qui possède en lui les ressources élastiques suffisantes pour faire éclater les contraintes. Deleuze et Guattari distinguent deux processus opposés : le processus paranoïaque, tendant à conserver les structures répressives d’une société, et le processus révolutionnaire, schizophrénique, qui peut décoder les terrains codés et fonder la schizo-analyse, qui jouera le rôle négatif de la déstructuration : « défamiliariser, désœdipianiser, décastrer, déphalliciser, défaire théâtre, rêve et fantasme, décoder, déterritorialiser — un affreux curetage, une activité malveillante » (l’Anti-Œdipe).

Il y a excès en tout sens dans la psychose : excès de langage dans le symptôme, excès de présence dans la mère ou d’absence pour le père, excès de pensée, en plus ou en moins. Au-delà de la démesure névrotique, qui maintient encore une distance à l’objet, le psychotique semble avoir coupé le lien entre l’objet et le désir. Selon Freud, le comportement « normal » est un compromis entre les deux structures : « Dans la névrose un fragment de la réalité est évité sur le mode de la fuite ; dans la psychose il est reconstruit [...]. Nous appelons « normal » ou « sain » un comportement qui réunit certains traits des deux réactions, qui, comme la névrose, ne dénie pas la réalité, mais s’efforce ensuite, comme la psychose, de la modifier. Ce comportement conforme au but, normal, conduit évidemment à effectuer un travail sur le monde extérieur et ne se contente plus, comme la psychose, de produire des modifications intérieures : il n’est plus autoplastique, mais alloplastique » (der Realitätsverlust bei Neurose und Psychose [la Perte de la réalité dans la névrose et dans la psychose], 1924). Ainsi, Freud, malgré la réputation qui lui est faite et les attaques qui sont menées contre lui, avait compris la fonction sociale et de la névrose et de la psychose, dont l’aspect pathogène vient de leur abusive séparation.

C. B.-C.

➙ Délire / Démence / Folie / Hystérie / Névrose / Psychanalyse / Psychiatrie / Schizophrénie.

 S. Freud, Psychoanalytische Bemerkungen über einen autobiographisch beschriebenen Fall von Paranoia (Leipzig et Vienne, 1911 ; trad. fr. « Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa : le président Schreber », in Cinq Psychanalyses, P. U. F., 1954, nouv. éd., 1973) ; Der Mann Moses und die monotheistische Religion (Londres, 1939 ; trad. fr. Moïse et le monothéisme, Gallimard, 1948, nouv. éd., 1967) ; Aus den Anfängen der Psychoanalyse (Londres, 1950 ; trad. fr. la Naissance de la psychanalyse. Lettres à Wilhelm Fliess, notes et plans, 1887-1902, P. U. F., 1956 ; 3e éd., 1973) ; Névrose, psychose et perversions (trad. de l’all., P. U. F., 1973). / M. Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique (Plon, 1961 ; nouv. éd., Gallimard, 1972). / R. D. Laing et A. Esterson, Sanity, Madness and the Family (Londres, 1964 ; trad. fr. l’Équilibre mental, la folie et la famille, Maspero, 1971). / J. Lacan, Écrits (Éd. du Seuil, 1966 ; nouv. éd., 1970-71, 2 vol.). / L’Enfance aliénée, numéros spéciaux de Recherches (1967-68, 2 vol.). / G. Deleuze et F. Guattari, Capitalisme et schizophrénie, t. I : l’Anti-Œdipe (Éd. de Minuit, 1972). / M. Mannoni, Éducation impossible (Éd. du Seuil, 1973). / H. Aubin, les Psychoses de l’enfant (P. U. F., 1975).

psychosomatique

Se dit de la partie de la médecine qui étudie les troubles corporels de cause psychologique et le retentissement psychique des maladies organiques ou somatiques.


Habituellement, les « manifestations psychosomatiques » désignent surtout en fait le premier terme de cette définition, c’est-à-dire les conséquences des conflits psychiques sur l’ensemble des fonctions corporelles.

L’altitude psychosomatique en médecine représente un immense progrès, car elle met l’accent sur les influences réciproques des phénomènes émotionnels et des phénomènes physiologiques et considère l’homme malade comme un tout indissociable. Dans un état morbide, en effet, l’individu souffre dans son corps comme dans son esprit. Depuis toujours, les médecins fidèles au bon sens ont discerné l’importance des facteurs « moraux » dans les maladies, quelles qu’elles soient. Mais la médecine psychosomatique a pris durant les dernières décennies un vif essor et a contribué (malgré de nombreux excès) à la compréhension et au traitement d’un grand nombre de maladies « fonctionnelles » ou « psychofonctionnelles », c’est-à-dire sans lésions décelables.