Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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psychose (suite)

Cependant, l’histoire du mouvement psychanalytique, d’une part, et l’histoire des idées en un sens plus général, d’autre part, ont fait évoluer la question de la psychose et de la névrose, au point de la faire complètement éclater. On a su assez tôt que Freud n’aimait pas les psychotiques : il l’a dit et montré en conduisant plutôt des analyses de névrosés. On a pu penser qu’il tolérait mal l’absence radicale de sublimation chez le psychotique : l’autre du fou, c’est l’artiste, idéal personnel de Freud, l’artiste qui sait contraindre ses pulsions à travailler pour le groupe. On a constaté que la cure psychanalytique convenait au névrosé, mais que le psychotique n’entrait pas dans la règle du jeu : la « règle fondamentale », qui consiste à accepter de parler « librement » dans un espace et un temps donnés. Mais, assez vite, cette situation bloquée — en grande partie par Freud lui-même — a changé ; Melanie Klein* a donné des éléments théoriques qui permettent de comprendre les mouvements de grande amplitude caractéristiques de la psychose.

Parallèlement, la psychiatrie s’est modifiée avec l’apparition, vers 1965, du mouvement antipsychiatrique, bien que celui-ci soit d’inspiration phénoménologique pour l’essentiel de sa doctrine. L’antipsychiatrie rend l’institution responsable de l’apparition des troubles mentaux : l’hôpital, l’asile sont des lieux qui fixent la psychose, alors que celle-ci peut n’être qu’un délire passager et positif ; elle fait également apparaître l’influence décisive de la famille, fabrique de schizophrènes et complément de l’hôpital. La conception de la psychose s’en trouve modifiée : le rôle des parents, si évident dans la névrose, devient plus manifeste. Mais surtout, progressivement, l’intérêt se déplace, de même que les lignes de partage dans les classifications : entre psychose et névrose, les distinctions se font moins nettes, en particulier dans les cas de « border-line », où un noyau psychotique est vécu avec une névrose. Ces états limites montrent bien que les vrais problèmes ne sont pas dans la classification. La meilleure preuve en est sans doute l’intérêt presque exclusivement centré sur le psychotique à l’heure actuelle : les psychanalyses de psychotiques commencent à se pratiquer, des méthodes s’élaborent, et l’étape freudienne est dépassée, voire révolue. C’est même à partir de la plus grave des psychoses, la schizophrénie*, que s’est faite l’attaque menée par Gilles Deleuze et Félix Guattari contre tout le mouvement psychanalytique et qui cherche à libérer la folie de la contrainte psychanalytique : la « schizo-analyse » remplacerait la psychanalyse, tentative répressive ancrée au cœur de la répression familiale. Au-delà d’une pensée encore naissante, il faut savoir distinguer, autour de la question de la psychose, un important tournant dans l’histoire de la psychanalyse.


La théorie freudienne

Il convient, cependant, de faire un examen plus attentif des théories freudiennes et de se dégager de l’idée reçue qu’on en a souvent. Du point de vue topique, la différence entre psychose et névrose y est claire : dans la névrose, le Moi refoule la pulsion, au détriment de son bien-être et sous l’impulsion des exigences du Surmoi ; dans la psychose, le Moi succombe au Ça, qui le pousse en particulier à la construction délirante. Deux remarques doivent être faites : d’une part, dans les deux cas, le réel est le point de référence, demeurant à une distance protégée dans le premier cas et submergeant la subjectivité dans le second cas. D’autre part, Freud insiste sur le fait que « la maladie peut être considérée comme une tentative de guérison » (Moïse et le monothéisme, 1939) ; c’est dire que psychose et névrose ont une fonction défensive par rapport à un réel qui, dès lors, est défini comme la menace.

Freud décrit longuement la genèse de la névrose, qu’il résume par cette phrase (1939) : « Traumatisme précoce, défense, latence, explosion de la névrose, retour partiel du refoulé, telle est, d’après nous, l’évolution d’une névrose. » Les traumatismes se situent tous dans la première période de l’enfance, et ont pour cadre la famille et la sexualité : ce sont, dit Freud, des « blessures précoces » qui sont immédiatement frappées d’amnésie, puis, pendant toute la période de latence, oubliées. Lorsque les effets des traumatismes précoces sont trop grands, lorsqu’ils constituent un « état dans l’état », irréductible, la voie vers la psychose est ouverte. Le plus souvent, la défense prend le dessus et la latence tient bon jusqu’à la puberté, qui réactualise les problèmes sexuels, et, du même coup, fait apparaître la névrose. C’est alors le retour du refoulé.

Freud va plus loin : pour lui, l’évolution du processus névrotique — sur lequel peut se greffer la psychose — n’est pas séparable de l’histoire de l’humanité. L’espèce humaine subit, pour son compte, des agressions qui laissent des traces, et l’on retrouve dans l’évolution humaine les retours partiels du refoulé qui caractérisent réclusion névrotique : ainsi, la religion est faite de ces retours. À l’autre bout, la névrose se retrouve, comme miniaturisée, dans l’enfance, qui contient toutes les névroses en latence : « Dans le rêve et la névrose se retrouve l’enfant avec toutes ses particularités qui caractérisent son mode de penser et sa vie affective. [...] nous y retrouvons encore l’homme primitif, sauvage tel qu’il nous apparaît à la lumière des recherches archéologiques et ethnographiques » (Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa [Dementia paranoides] : le président Schreber, 1911). Et, dans une note écrite à Londres, quelque temps avant sa mort, Freud compare le paysage mental du névrosé à un paysage préhistorique : les prêles sont hautes comme des palmiers. La névrose est donc, de ce point de vue, une démesure, cependant que la psychose a perdu toute commune mesure : d’où les signes d’associabilité qui la caractérisent.