Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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psychiatrie (suite)

C’est en 1793 que Philippe Pinel (1745-1826) en France, dans un geste légendaire et symbolique, libéra de leurs chaînes les aliénés des cachots de Bicêtre. Il fut, avec quelques autres médecins de l’époque, le fondateur de la psychiatrie, affirmant que les malades mentaux étaient des malades comme les autres. Son fameux ouvrage, Nosographie philosophique (1798-1818), devait inaugurer une ère de description minutieuse des maladies psychiatriques, classées selon des catégories immuables, avec pour chacune d’entre elles des symptômes, une évolution et un pronostic particuliers, dominés par des notions d’hérédité, de dégénérescence et de constitution. Dans ce travail d’analyse et d’observation s’illustrèrent les grands psychiatres du siècle dernier : Jean Étienne Esquirol (1772-1840), Charles Ernest Lasègue (1816-1883), Jean-Pierre Falret (1794-1870), Jules Gabriel Baillarger (1806-1891), Benoît Augustin Morel (1809-1873), Valentin Magnan (1835-1916), Emmanuel Régis (1855-1918), Jules Séglas en France ; Wilhelm Griesinger (1817-1868), Theodor Hermann Meynert (1833-1892), Carl Wernicke (1848-1905) et Emil Kraepelin (1865-1925) en Allemagne ; Henry Maudsley (1835-1918) en Angleterre ; etc.

Cependant, les caractéristiques des maladies mentales se montraient essentiellement différentes de celles des affections corporelles ordinaires organiques. L’examen anatomique du cerveau ne livrait que rarement le secret de leurs causes. Certes, la découverte en 1822 de la paralysie générale de A. L. J. Bayle (1799-1858), c’est-à-dire d’une démence d’origine organique comportant des lésions cérébrales caractéristiques (celles de la syphilis), avait un moment fait naître un grand espoir : on crut que la méthode anatomo-clinique allait trouver pour chaque affection psychiatrique une lésion anatomique reconnaissable et spécifique. Mais il fallut déchanter et, si l’on excepte certains processus pathologiques visibles à l’œil nu ou au microscope, comme les atrophies cérébrales, les lésions de la sénilité, l’athérosclérose, les tumeurs cérébrales, les maladies inflammatoires, les encéphalites, etc., la plupart des psychoses et surtout les névroses, le déséquilibre et les perversions demeuraient apparemment exempts d’altérations dans le système nerveux. Aussi, les grands cadres cliniques si bien décrits par les psychiatres du xixe s. apparurent-ils bientôt comme quelque peu artificiels dans la mesure où ils ne correspondaient pas à une cause bien définie et caractéristique de chacun d’eux.


La psychiatrie contemporaine

Dès le début du xxe s., tandis que se poursuivaient quelques travaux cliniques remarquables dus à Ph. Chaslin, Ernest Dupré (1862-1921), Georges Gatian de Clérambault (1872-1934), Pierre Janet (1859-1947) en France ou Eugen Bleuler (1857-1939) en Allemagne, on devait assister, sous l’influence d’Adolf Meyer (1866-1950) aux États-Unis, à une réaction contre la rigidité excessive des analyses cliniques des auteurs classiques. Les psychoses et les névroses furent de plus en plus considérées comme des syndromes ou des réactions pouvant évoluer très variablement, se transformer, passer d’un état à un autre différent et relever de causes multiples. Après les échecs relatifs des méthodes de recherche anatomiques et plus tard biologiques, on vit alors s’assouplir les conceptions psychiatriques sous l’influence grandissante des théories psychologiques, psychanalytiques et sociologiques.

La connaissance des phénomènes entrant dans la genèse des affections psychiatriques doit beaucoup au génie de Sigmund Freud* ; ce dernier, par ses découvertes fondamentales concernant l’inconscient, l’angoisse et les mécanismes de défense, les complexes, le rôle primordial des événements et des relations affectives de la vie infantile, a révolutionné la psychiatrie classique. Le domaine des névroses notamment s’est trouvé éclairé, enrichi par les conceptions psychanalytiques. En découla aussi l’extension des attitudes psychothérapiques dans leurs diverses modalités ; de même, l’importance des facteurs sociaux et de milieu est venue, surtout dans les pays anglo-saxons (Harry Stack Sullivan [1892-1948], Gregory Zilboorg [1890-1959]), renouveler la compréhension des troubles psychiatriques. Selon ces perspectives psychosociologiques et psychanalytiques, les désordres psychiques seraient des réactions dont l’aspect et l’évolution varient en fonction des actions du milieu extérieur et de l’histoire personnelle de chaque individu.

Il faut mentionner aujourd’hui les études et les essais thérapeutiques reposant sur le conditionnement*. Il y a là probablement une autre voie d’avenir neurophysiologique et neuropsychologique de la psychiatrie. Les tentatives thérapeutiques par certaines méthodes de déconditionnement sont en plein essor actuellement.

À travers l’histoire de la psychiatrie se dessine une opposition constante entre les conceptions organicistes (génétiques, biologiques, biochimiques ou anatomopathologiques) et les conceptions psychiques des origines de la maladie mentale. Cette opposition doit être dépassée aujourd’hui (Henry Ey [né en 1900]). La psychiatrie moderne tente de trouver sa voie entre le dogmatisme et la naïveté de théories excessives par l’exclusivité à laquelle prétendent certains de leurs auteurs, qu’ils soient organicistes, psychanalystes ou sociologistes. Les psychoses et les névroses semblent naître d’une convergence de facteurs différents, mêlés inextricablement. Il est certain que le risque de maladie mentale dépend pour chaque individu de son équipement biologique héréditaire, de la fragilité de l’organisation nerveuse supérieure, très inégale d’un sujet à l’autre. Mais il dépend aussi des conditions dans lesquelles il est élevé dans les premières années de la vie, de l’harmonie ou des échecs du développement psychosexuel, de la qualité des images parentales, des facteurs éducatifs, des difficultés de la vie socio-professionnelle et conjugale, de la structure de la société comme des avatars de la civilisation et de ses progrès techniques. Dans l’ensemble, les facteurs biologiques dominent dans les psychoses et les facteurs psychologiques dans les névroses.