Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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psychanalyse (suite)

pédiatre et psychanalyste britannique (Plymouth 1896 - Londres 1971). Après des études de médecine, D. W. Winnicott s’oriente vers la pédiatrie, qu’il exerce pendant plus de quarante ans au Paddington Green Children’s Hospital. Les problèmes qu’il rencontre l’amènent à la psychanalyse. Après une analyse personnelle avec James Strachey, puis Joan Rivière, il devient membre de la Société britannique de psychanalyse en 1935, et en sera président de 1956 à 1959, puis de 1965 à 1968.

Ses travaux sont surtout orientés vers le vécu commun de la relation mère-nourrisson. Winnicott est avant tout un clinicien qui tente de rendre compte de sa pratique. Il introduit dans le champ de la psychanalyse un certain nombre de concepts qui marquent les processus d’individualisation progressive de l’enfant : en particulier celui de self. Ce dernier « n’est pas le moi, mais la personne qui est moi est seulement moi ; on peut naturellement le situer dans le corps, mais, dans certaines circonstances, il se dissocie du corps, ou le corps de lui ». La notion de self recouvre donc à la fois le moi corporel et le moi psychique. Winnicott définit aussi le holding, ensemble des soins maternels prodigués avant que l’enfant ne distingue son moi du monde extérieur. Ce stade du holding est marqué par l’extrême dépendance de l’enfant, et Winnicott montre qu’il est déterminant pour la santé mentale future de l’individu. Un des apports fondamentaux de Winnicott à la théorie psychanalytique est constitué par les concepts d’objet et de phénomène transitionnels, qui désignent la « zone d’expérience qui est intermédiaire entre le pouce et l’ours en peluche, entre l’érotisme oral et la relation objectale vraie, entre l’activité créatrice primaire et la projection de ce qui a déjà été introspecté... ». Les phénomènes transitionnels appartiennent à ce que Winnicott appelle illusion, processus qui permet à l’enfant d’établir un contact entre le psychisme et l’environnement. La position de Winnicott apparaît donc profondément originale, se différenciant aussi bien de Melanie Klein que d’Anna Freud.

En dehors de travaux plus théoriques tels que Through Paediatrics to Psycho-Analysis (De la pédiatrie à la psychanalyse, 1957 ; trad. fr., 1969), Therapeutic Consultations in Child Psychiatry (la Consultation thérapeutique et l’enfant, 1971 ; trad. fr., 1972). Winnicott s’est attaché à présenter la psychanalyse dans un langage accessible aux parents et aux éducateurs, comme dans The Child and the Family (l’Enfant et sa famille, 1957 ; trad. fr., 1971), The Child and the Outside World (l’Enfant et le monde extérieur, 1957 ; trad. fr., 1972), The Child, the Family and the Outside World (1964), The Family and Individual Development (1965).

A. D.


Psychanalyse et marxisme

« Plus je fais l’amour, plus j’ai envie de faire la révolution. Plus je fais la révolution, plus j’ai envie de faire l’amour. »

Les murs de la Sorbonne en mai 1968 veulent signifier que la révolution a changé de terrain et de style. « Changer le monde, changer la vie », le cri de Rimbaud repris par les surréalistes est devenu le mot d’ordre de la « révolution culturelle » dans les pays les plus industrialisés.

La société, surprise par l’événement, ne comprend pas ce mouvement qui conteste toutes les valeurs de l’ordre qui règne à l’Est comme à l’Ouest : la famille, l’autorité, le travail, la morale sexuelle et même le savoir, le contrôle de la raison sur la passion. À quelle théorie se vouer quand les idées reçues se révèlent hors d’usage ? Est-il suffisant de relayer le vocabulaire marxiste par la terminologie freudienne, d’assimiler révolution sociale et révolte contre le père, contestation politique de l’ordre et « retour du refoulé » ? Marcuse, pour son livre Éros et civilisation, sera promu théoricien du mouvement de mai, bien qu’il ait été diffusé surtout après l’événement et bien que ses thèses restent très prudentes si on les confronte aux symptômes de la crise contemporaine : violence contre l’autorité et la hiérarchie dans les usines et les écoles, drogue, mouvement de libération des femmes et des homosexuels, antipsychiatrie, révoltes dans les prisons, refus du travail et de la famille dans les essais de vie en communauté. Le livre de Marcuse qui tente de conjoindre Marx et Freud s’inscrit dans le courant de pensée multiforme, le freudo-marxisme, dont l’initiateur, Wilhelm Reich, est aussi le plus proche de la subversion actuelle.

Pour ce courant idéologique, la répression des pulsions sexuelles et des vrais besoins est imputée à la société fondée sur l’exploitation du travail. La révolution annoncée par Marx peut donc se proposer de mettre fin à la névrose dont sont responsables la répression culturelle et le refoulement révélés par la théorie de Freud.

Sur le plan politique, la révolution prend en charge la libération des désirs aliénés et prolonge ainsi la psychanalyse. Sur le plan théorique, le marxisme intègre l’analyse freudienne pour montrer par quels processus psychiques la société assujettit l’individu à l’idéologie correspondant aux exigences de la structure économique et sociale.

Tout paraît se compléter si harmonieusement qu’on doit se demander pourquoi l’histoire du freudo-marxisme est celle d’une double excommunication venue des écoles qu’il tente d’unifier, pourquoi il est doublement hérétique, quelles incompatibilités entre marxisme et psychanalyse rendent leur mariage impossible et leurs rejetons illégitimes.

Reich symbolise cette double excommunication : membre du parti communiste allemand et animateur d’un mouvement pour une politique sexuelle prolétarienne (la Sexpol aura 40 000 adhérents), il est exclu du parti communiste en 1933. Collaborateur de Freud et membre éminent de l’Association psychanalytique internationale, il en est exclu par une décision datant de la même année. Les thèses de Reich sur l’étiologie sociale des névroses s’inspirent d’un article de Freud publié en 1908, « la Morale sexuelle civilisée et la maladie nerveuse des temps modernes », qui considère les névroses comme les produits et les symptômes du refoulement imposé par la morale sociale aux pulsions sexuelles. Reich en déduit que si la maladie est imputable à une société pathogène, il n’est d’autre thérapeutique radicale des névroses et du malheur que la révolution sociale. Celle-ci doit enfin permettre de vivre la sexualité jusqu’au bout, ce qui a jusqu’ici été rendu impossible par la société de classes et les relations d’autorité, de propriété et de dépendance qu’elle impose à l’individu par le biais de la famille. La famille autoritaire et patriarcale est en effet le lieu premier du refoulement, et le mariage n’est lui-même que la forme antisexuelle des rapports sexuels. « La famille est une fabrique de structures mentales conservatrices. Elle est la courroie de transmission entre la structure économique de la société bourgeoise et sa superstructure idéologique » (la Révolution sexuelle). Cette structure familiale patriarcale et autoritaire disparaîtra avec le capitalisme. La Sexpol prépare la révolution sociale en politisant les problèmes de la misère sexuelle, en particulier des jeunes et des femmes.