Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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psychanalyse (suite)

L’évolution des mouvements psychanalytiques

Freud meurt en 1939, ayant vu la montée du nazisme en Europe, en supportant les conséquences dans sa vie finissante. À cette date, la psychanalyse a déjà une longue histoire, dont la modalité essentielle n’a guère changé depuis la mort de Freud : une histoire de scissions, de querelles théoriques et pratiques, qui marquent de façon frappante l’organisation psychanalytique. Du vivant de Freud, deux séries de ruptures marquent l’attachement de Freud à sa théorie naissante, qu’il préserve avec autorité. En 1910, l’Association psychanalytique internationale vient d’être fondée ; en 1911 et 1913, c’est la rupture avec Adler et Jung, en 1924 avec Otto Rank (1884-1939), en 1929 avec Sándor Ferenczi ; chaque séparation voit un disciple bien-aimé s’éloigner sous l’anathème. Pour les deux premiers, l’affaire est claire : ils ont renoncé à la place décisive de la sexualité, Adler en substituant aux complexes structurés de l’enfance une constitution organique — le « complexe d’infériorité » —, Jung en transposant Freud dans un idéalisme chrétien, fondé sur le mythe et non plus sur la pulsion, décrivant des « archétypes » qui forment l’inconscient collectif. Freud fut sévère pour Jung, parlant à son propos du « fleuve de boue de l’occultisme ». Différentes sont les ruptures avec Rank et Ferenczi : elles portent en fait sur la détermination de la cause originelle des névroses. Rank, écrivant le Traumatisme de la naissance (1924), fait remonter l’origine névrotique à la naissance, passage obligé de l’angoisse humaine ; Ferenczi dans Thalassa. Psychanalyse des origines de la vie sexuelle (1924), fait remonter l’origine plus loin encore, jusque dans l’analogie entre les eaux utérines et les eaux originaires de la mer. C’est que, dans la théorie freudienne, l’assignation de l’origine n’est pas chose aisée, et Freud lui-même n’arrive pas toujours à déterminer la réalité du traumatisme ni la part de fiction travestie. Ce sont là les dissensions majeures ; mais Freud prend ombrage des évolutions de Rank, désavoue Reich, et le seul qui puisse garder une fidélité complète demeure Ernest Jones, dont la pensée sur le symbolisme est un apport aussi important pour la psychanalyse que sa monumentale Vie de Freud.

Après Freud, parmi la profusion de textes, il faut tenter de marquer les contributions théoriques et pratiques les plus importantes. Freud n’avait pas étudié de près la psychanalyse des enfants, tout en donnant un exemple approfondi d’une telle possibilité avec l’analyse du petit Hans : mais celle-ci s’était effectuée avec l’intermédiaire du père de l’enfant. Anna Freud poursuit dans ce sens, s’opposant violemment à Melanie Klein, qui, comme Ferenczi, son analyste, et comme Róheim, venait du creuset de Budapest. Melanie Klein, toujours contestée, même après sa mort (1960), change la théorie et innove dans la pratique : pour elle, la psychanalyse des enfants dévoile les structures psychiques préœdipiennes, montrant un monde terrifiant, féroce, partagé de façon manichéenne entre bons et mauvais objets. Le bon objet, c’est le sein maternel, prototype d’objet du désir ; le mauvais objet, c’est le même devenu pénis agressif, dans un mouvement d’oscillation de grande amplitude l’introjection-projection. L’objet, partagé irrémédiablement par un clivage en deux, s’introjecte et se projette sans cesse par rapport à l’image du corps, de même que l’angoisse oscille entre la gratitude, attitude par rapport au bon objet, et l’envie, attitude par rapport au mauvais objet.

On a déjà pu marquer la place de Lacan et souligner l’intervention de la rhétorique et de la linguistique dans la théorie psychanalytique. Il faut encore souligner que l’innovation lacanienne repose sur une observation « clinique » : le stade du miroir. Le stade du miroir prend place vers la seconde année de l’enfance et marque l’accession du sujet à son identité symbolique, lorsqu’il se reconnaît pour la première fois dans un miroir : dès lors se dessinent trois axes, le symbolique (le culturel du langage), l’imaginaire (les objets variables du désir) et le réel (les pulsions, le danger). Lacan s’est fait exclure de l’Association internationale et a fondé sa propre école ; les dissensions actuelles mettent en cause non seulement des considérations théoriques, mais, plus encore, des modalités pratiques dans la cure et la formation de l’analyste ; sans aucun doute, au-delà de ces disputes, il y a un profond désaccord sur la place de la psychanalyse dans la culture, sur ses finalités idéologiques.

L’école anglaise de psychanalyse, après Melanie Klein, est illustrée par W. R. Bion et par D. W. Winnicott. Ce dernier introduit la notion d’objet transitionnel, qui précise le statut vagabond de l’objet du désir et infléchit la théorie freudienne du découpage de la sexualité enfantine en stades rigides : oral, anal, génital.

Lorsqu’on considère l’histoire de la psychanalyse, on ne peut manquer d’être frappé par la violence des affrontements théoriques, cependant que la pratique quotidienne de l’analyste demande un complet contrôle de soi. Sans doute, cette violence traduit-elle quelque chose de l’intrication des problèmes idéologiques et politiques, que Freud n’a pratiquement pas posés, mais qui se posent avec une croissante intensité. Wilhelm Reich ne les a pas évités et présente le modèle exemplaire d’une vie militante sur les deux fronts conjoints du marxisme et de la psychanalyse. Son œuvre la plus importante est sans doute la Psychologie de masse du fascisme (1933), dans laquelle il tente d’éclaircir la psychologie collective qui a rendu possible la montée du nazisme dans son pays. Quant aux idées de Marcuse, si elles s’inspirent largement de l’idéologie personnelle de Freud, elles ne s’appuient guère sur sa théorie. Ses livres sont des éloges de l’utopie et font appel à la philosophie romantique dont Freud est en partie issu. Il y glisse de la notion de refoulement à celle de régression : c’est ainsi que naît l’identification des forces pulsionnelles aux forces sociales policières, dans une mythologie qui valorise la « contestation », quelle qu’elle soit, pourvu qu’il faille défendre le désir contre l’ordre, qui nécessairement le contrarie.