Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Art nouveau (suite)

L’Art nouveau procède essentiellement de l’ambition de fonder un style qui ne doive rien au passé, d’une part, et dont l’empreinte, d’autre part, se fasse sentir à tous les niveaux de l’activité quotidienne, de l’architecture à la mode vestimentaire, dans la rue comme dans les intérieurs. Le but final en serait l’œuvre totale (le Gesamtkunstwerk des Allemands), où se résumeraient les aspirations à la modernité d’une société en pleine transformation. Mais, au lieu de donner le pas à l’ingénieur — ou au designer — sur l’artiste, comme le fera le xxe s., l’Art nouveau pense que l’artiste seul est en mesure de donner au monde moderne un visage harmonieux.

D’innombrables noms et sobriquets furent donnés à ce courant dans les différents pays, notamment modern style en France et en Belgique, Jugendstil en Allemagne, Secession-Stil en Autriche, Stile floreale en Italie, Liberty en Angleterre (du nom d’un magasin londonien), Tiffany style aux États-Unis, style 1900, nouille, métro, voire rastaquouère en France. Art nouveau était le nom du magasin ouvert par Samuel Bing, à Paris, en 1895.


Un style révolutionnaire

Du foisonnement des appellations suscitées par l’Art nouveau, deux constatations contradictoires se dégagent : le nouveau style est tantôt reçu comme un corps étranger (d’où les sobriquets inspirés du plus pur chauvinisme qu’il s’attire), et tantôt se voit revendiqué par une nationalité particulière. Cette double interprétation est conforme à la réalité : l’Art nouveau est un mouvement international (ses limites extrêmes seraient Chicago à l’ouest, Saint-Pétersbourg à l’est) qui prend une coloration spécifique au contact de chaque situation culturelle donnée. Non seulement du fait de sa dépendance du contexte social et économique (il est en somme le premier style issu de la révolution industrielle), mais parce qu’il renoue avec des traditions plus ou moins profondément enfouies : le baroque, le gothique, mais aussi l’art celtique ou l’art viking. En outre, il est intimement confondu, beaucoup plus qu’on n’a longtemps voulu l’admettre, avec les aspirations de l’avant-garde artistique, puisque leur commun drapeau est l’arabesque, symbole à la fois de spiritualité et de dynamisme, suggestion naturelle de la féminité et signe de l’énergie pure, prêt à basculer dans l’abstraction. On peut maintenant affirmer que, entre l’impressionnisme proprement dit et le cubisme, il n’est à peu près rien en peinture ni en sculpture qui échappe à la contagion de l’Art nouveau. Au contraire, la plupart des grands créateurs et des mouvements importants de cette période gagneraient à se voir considérés comme autant de variantes originales des prémices ou des acquis de l’Art nouveau, de Gauguin* et de Seurat* à Kandinsky* et Kupka*, des nabis* et des fauves* à l’expressionnisme* germanique et au futurisme*. Il convient enfin de rappeler que l’Art nouveau tire pour une large part son inspiration du symbolisme* poétique : c’est la même tension frémissante et la même ouverture à l’informulé qui se lisent dans un poème de Maeterlinck* ou de Mallarmé* et dans une peinture de Khnopff, une sculpture de Minne, une chaise de Guimard, une maison de Gaudí, une affiche de Mucha, un vase de Gallé, un bijou de Lalique...


Un renouveau des arts décoratifs

Car c’est seulement le renouveau des arts décoratifs que l’on a voulu considérer, d’ordinaire, dans l’Art nouveau. Dès le milieu du xixe s., une réaction contre le pastiche systématique se fait jour, qui s’organisera ensuite en Grande-Bretagne grâce au mouvement Arts and Crafts, animé par William Morris (1834-1896), et un peu plus tard à Nancy*, autour de la personne d’Émile Gallé (1846-1904). De l’éclectisme stylistique des intérieurs cossus à la hideur des logements ouvriers, envahis par les produits à bon marché de l’industrie, la discordance est de règle. Morris et Gallé entendent réintroduire l’harmonie dans le décor de la vie quotidienne, et cela, pensent-ils, seul l’artiste le peut, face à la machine productrice de laideur. C’est ce qui explique que les architectes de l’Art nouveau prévoient jusqu’aux plus petits détails du mobilier et de l’aménagement intérieur : Hector Guimard, pour son Castel Béranger, a dessiné non seulement les vitraux, les papiers peints et les poignées de portes, mais jusqu’aux clous utilisés dans la construction ! Et, depuis la chaise dessinée par le préraphaélite Ford Madox Brown en 1860, les peintres et les sculpteurs eux aussi créent des meubles, de la poterie, etc.

Si la faveur réservée aux lignes courbes et aux éléments végétaux et floraux ne souffre que peu d’exceptions, il convient de noter cependant que Glasgow* et Vienne* conservent à la ligne droite et aux surfaces nues une fonction particulière, ce qui vaut aujourd’hui aux ensembles de Charles Rennie Mackintosh (1868-1928) ou de Josef Hoffmann (1870-1956) un regain d’intérêt. Parmi les mobiliers les plus intéressants de l’Art nouveau, il faut compter non seulement ceux qui sont dus aux leaders du mouvement (Gallé, les architectes Gaudí, Guimard, Horta, Van de Velde), mais aussi en France ceux d’Alexandre Charpentier (1856-1909), de Georges de Feure (1868-1928), d’Eugène Gaillard (1862-1933), de Louis Majorelle (1859-1926) et d’Eugène Vallin (1856-1922), en Allemagne ceux d’August Endell (1871-1925), de Bernhard Pankok (1872-1943), de Richard Riemerschmid (1868-1957), aux Pays-Bas ceux de Gerrit Willem Dijsselhof (1866-1924). La céramique, où un Gauguin a pu faire figure de pionnier, est illustrée par de nombreux artisans remarquables comme le Danois Thorvald Bindesbøll (1846-1908), le Néerlandais Theodoor Colenbrander (1841-1930), auxquels il convient de joindre le Français Henri Cros (1840-1907), spécialiste de la pâte de verre ; les verriers les plus prestigieux sont Gallé en France, Karl Köpping (1848-1914) en Allemagne, Louis Comfort Tiffany (1848-1933) aux États-Unis. Le bijou est le royaume incontesté du Français René Lalique (1860-1945) et du Belge Philippe Wolfers (1858-1929). Si les broderies les plus déliées sont dues au sculpteur suisse Hermann Obrist (1863-1927), la Grande-Bretagne est la productrice des plus beaux tissus imprimés, les chintz d’Arthur H. Mackmurdo (1851-1942) et de Charles F. Annesley Voysey (1857-1941). Cependant, il convient de souligner la perversion introduite par l’Art nouveau dans l’objet de bazar, on ne peut plus rétif depuis à se plier à sa seule fonction.