Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

provençale (littérature) (suite)

La Renaissance provençale (s’il faut lui laisser ce nom équivoque) était, en tout état de cause, chose faite, et la troisième période de la littérature occitane bien entamée quand fut constitué le félibrige. Il reste que la langue méridionale allait devoir à la jeune école avignonnaise un lustre qu’elle n’avait pas retrouvé depuis les troubadours. Ce fut l’œuvre de sept poètes, qui, certes, ne valaient pas tous ni La Fare-Alais ni Gelu.


Le félibrige

Joseph Roumanille (1818-1891), de Saint-Rémy, fut le véritable initiateur d’un mouvement, venant à la suite de plusieurs, qui, dans des mains moins chanceuses, avaient avorté. Il était de douze ans l’aîné de Mistral. Répétiteur de celui-ci, il avait, bien avant qu’on parlât de Mireille, chanté Didette. Paul Giéra (1816-1861), plus âgé même que Roumanille, avait pu, avant 1854, méditer quelques-unes des quinze modestes poésies qui restent tout son apport. Parmi les ralliés de la première heure, Antoine Crousillat (1814-1899), poète sans grandeur, mais épris des humanités, avait déjà écrit la plupart des poèmes de la Bresco (le Rayon de miel), commencés avant 1837, quand, autour de Roumanille, âgé de trente-six ans, cinq jeunes hommes — Jean Brunet, Anselme Mathieu, Théodore Aubanel, Frédéric Mistral, Alphonse Tavan — se réunissent chez l’ami Giéra, dans sa propriété de Font-Ségugne, afin de jeter les bases d’un groupement de poètes méridionaux. C’est là que, le dimanche 21 mai 1854, Mistral et ses six partenaires allaient lancer le mot félibre et, sur cet emprunt à une vieille oraison mariale mettant en scène Jésus enfant « emé li sèt félibre de la lèi » (« parmi les sept félibres de la loi »), greffer le mot félibrige. Il s’agissait d’une conjuration d’auteurs du même terroir, parlant ce qu’ils prenaient de bonne foi pour le provençal par excellence : en fait, le rhodanien de la rive orientale, un des dialectes les plus éloignés, précisément, du provençal classique. Toujours est-il que le jeune félibrige se fixait un vaste programme de restauration linguistique et littéraire. Le premier acte pratique fut la fondation, en janvier 1855, d’une sorte d’organe de propagande appelé l’Armanac prouvençau (l’Almanach provençal). Le mouvement, rondement mené, s’étant étendu à d’autres provinces d’oc, reconnues pour sœurs ou cousines et alertement colonisées, le besoin se fit sentir de doter le félibrige d’une organisation générale. Une administration agencée en 1876 prévoyait des maintenances régionales, des écoles locales. Un manitou, le capoulié, élu par cinquante majoraux, trônait au sommet d’une hiérarchie sans exemple dans l’histoire des lettres. Embrigadement redoutable ! Les Muses supportent mal l’uniforme ; la poésie, en général, se prête peu à la conscription. Le critique, plus préoccupé du talent que du galon, ne trouve déjà, dans l’état-major initial, que deux véritables grands hommes, Mistral et Aubanel.

Frédéric Mistral naquit en 1830 à Maillane, où il devait mourir en 1914. Sa belle vie d’enfant, puis de sage, enfin de patriarche appartient à une sorte de légende dorée. Une de ses œuvres, au moins, est à mettre au rang des réussites de la poésie universelle. On n’admirera jamais assez dans Mirèio (Mireille, 1859) une simplicité, une force, une couleur, un sentiment qui font penser au meilleur de l’Antiquité. Auprès de ce chef-d’œuvre spontané n’a cessé de pâlir Calendau (Calendal, 1867), poème qui, jailli, en principe, de la même source, garde, en dépit des plus grands mérites, les inconvénients d’une épopée symbolique, alourdie de littérature, encombrée d’histoire, avec un souci fatigant de militance doctrinale. Nerto (1884) relève d’une formule voisine, mais lou Pouèmo dou Rose (le Poème du Rhône, 1897) nous rend dans toute leur splendeur le Rhône et les villes de Provence.

L’œuvre lyrique de Mistral, quelle que soit sa qualité, n’est certainement pas supérieure à celle de Théodore Aubanel (1829-1886). Cet Avignonnais a deux sources d’inspiration : le sentiment, qui, lui faisant célébrer et pleurer dans la Miougrano entreduberto (la Grenade entrouverte, 1860) sa chère Zani devenue nonne, lui dicte quelques-unes des strophes les plus touchantes qu’on ait jamais entendues, et la volupté intellectuelle, qui, dans li Fihou d’Avignoun (les Filles d’Avignon, 1885), le montre éperdu devant la beauté sous toutes ses formes.

On peut passer plus rapidement sur Anselme Mathieu (1829-1895), « le Félibre des Baisers », Alphonse Tavan (1833-1905), l’homme des « Frisons de Mariette », Jean Brunet (1823-1894), spécialiste des proverbes rimés.

Le félibrige, suscitant ou encourageant de très nombreuses vocations, fit, autour de la brigade primitive, sortir des poètes taillés un peu tous sur le même patron, entre lesquels ressortent Louis Roumieux (1829-1894), poète de la joyeuse Rampelado (le Rappel, 1868), de la joyeuse Jargaiado (1878), du nom du héros le portefaix Jargaille de Tarascon, et Félix Gras (1844-1901), mistralisé jusqu’à l’os (bien qu’il opposât à la bonne pensée du Maître une foi rouge) ; celui-ci ne paraît dans son « époupéio » li Carbounié (les Charbonniers, 1876) qu’une sous-marque du mage de Maillane ; mais il trouve une certaine originalité dans un Romancero (1887) tiré des vieilles chroniques. Derrière ces deux personnages se détache encore avec quelque relief W. C. Bonaparte-Wyse (1826-1892), « la Cigale d’Irlande », amateur britannique curieusement provençalisé. Dans une foule vite grandissante, on distingue parfois difficilement les uns des autres un Rémy Marcellin, un Berluc-Perussis, un Alphonse Michel (rouge comme Félix Gras), un Marius Girard, voire un Paul Arène, un J. H. Fabre (l’entomologiste), un Elzéar Jouveau, un Jules Cassini, un Raoul Gineste, tous cultivant plus ou moins les mêmes thèmes. Quelques félibresses, comme Antoinette de Beaucaire, Azalaïs d’Arbaud et Rose-Anaïs, femme de Roumanille, avec une grâce aimable, n’ont guère plus de personnalité.