Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

provençale (littérature)

On appelle « langue d’oc » ou « occitan » ou « provençal » (d’un mot qui désigne la première Provincia conquise par les Romains en Gaule transalpine, étendue, sous Auguste et sous Constantin, à tout notre Midi, des Alpes aux Pyrénées) la langue qui s’est développée parallèlement à la langue d’oil ou du Nord et sur des substrats linguistiques particuliers à partir du latin progressivement barbarisé des légions et des colons romains, appris et traité par les autochtones.


Son développement s’est accompli, dans le peuple, sur une aire très définie, à peu près semblable, de nos jours, à ce qu’elle était au Moyen Âge, au-dessous d’une ligne qui part grossièrement de l’estuaire de la Gironde (enfermant le Bordelais, excluant la Saintonge, mordant sur l’Angoumois, englobant le Périgord et le Limousin) pour gagner le Massif central, qu’elle contourne en passant sous Guéret et au-dessus de Gannat ; de là, cette ligne s’infléchit par la région de Thiers, laissant Saint-Étienne, gardant Annonay, en direction du Rhône, qu’elle coupe au nord de Tournon et, tranchant le Dauphiné au sud de Grenoble, atteint la frontière italienne au nord de Briançon. Se combinant avec le français sur certaines marches, le provençal ne laisse à l’italien et au basque que de minces parcelles du sud de l’« hexagone ».


Généralités et antécédents

La carrière de la littérature provençale, dont le plus ancien document connu (le Poème sur Boèce) remonte au xie s., peut être divisée en trois périodes : une période d’unité, durant laquelle s’est partout écrite, sinon parlée, une langue littéraire homogène, dite « provençal classique » ou « limousin » (xie-xve s.) ; une période de dispersion, où s’est développée une variété de dialectes provinciaux (xvie-xviiie s.) ; une période de redressement relatif (xixe-xxe s.). Ces périodes répondent à des états différents du langage et aux circonstances qui ont tour à tour favorisé, contrarié et de nouveau encouragé le particularisme linguistique du Midi, la continuité étant partout marquée, avec des nuances également constantes, par le maintien de la grammaire, de la syntaxe et du vocabulaire occitans.

On voit, d’ores et déjà, quelle erreur pourraient commettre ceux qui borneraient l’application de l’épithète provençal à la Provence rhodanienne et méditerranéenne, à plus forte raison ceux qui feraient commencer la carrière du provençal au mouvement mistralien. En fait, dans la première période, le provençal a connu le plus beau de son éclat avec des troubadours* natifs de l’Aquitaine, comme Guillaume de Poitiers, Jaufré Rudel, Marcabru, du Limousin ou du Périgord, comme Bertran de Born, Bernard de Ventadour, Arnaut Daniel, Guiraut de Borneil, Arnaut de Mareuil, Gaucelm Faidit, d’Auvergne et du Velay, comme Peire d’Auvergne, le Moine de Montaudon, Peire Cardenal, tandis que la Provence ne pouvait guère s’enorgueillir que de Raimbaut d’Orange, de Raimbaut de Vaqueiras et de quelques autres de moindre renommée. Dans la même première période, les poèmes historiques et romanesques (Girard de Roussillon, la Chanson de la croisade albigeoise, Flamenca) ont vu le jour également loin du Rhône.

La Renaissance provençale du xvie s. est partie de Gascogne avec le Lectourois Pey de Garros (Poesias gasconas, 1567), suivi de la troupe brillante à laquelle appartenait Guillaume Ader (lou Gentilome gascoun, 1610), pour trouver son apothéose dans l’œuvre variée, parfois puissante, du Toulousain Goudouli, alias Goudelin (1580-1649). Si la Provence méditerranéenne rendait un écho à l’Aquitaine avec un Robert Ruffi, un Michel Tron, restés inédits à Carpentras, et surtout avec le truculent Louis Bellaud de la Bellaudière († 1588), le Sud-Ouest triomphait encore dans l’âge classique, où les principales renommées étaient acquises par François Cortète de Prades (v. 1585-1667, Agenais), Arnaud Daubasse (1664-1727, de Moissac), J. H. Fondeville (1603-1705, Béarnais), Nicolas Fize (1648-1718, Montpelliérain), l’abbé J.-B. Favre (1727-1783, de Sommières), J. C. Peyrot de Pradinas (1709-1795, Rouergat) : à peine la Provence se dédommageait-elle avec les noëls de Nicolas Saboly (1614-1675), les maigres poèmes de François Toussaint Gros (1698-1748) ou des écrits joyeux comme la Bourride des dieux (1760) de J. B. Germain, l’œuvre colorée de Jean Michel († 1700) de Nîmes (les Embarras de la foire de Beaucaire), venant elle-même de l’autre côté du Rhône.

Ce n’est pas non plus — fait remarquable — de Provence qu’est partie la Renaissance du xixe s. : le premier signal fut donné par Antoine Fabre d’Olivet, né à Ganges en 1767. En marge du Troubadour, poésies occitaniques du xiiie siècle, qui n’était qu’une naïve supercherie, ce curieux homme rédigeait, sans, hélas ! la publier, une importante étude sur la Langue d’oc rétablie dans ses principes constitutifs théoriques et pratiques, portant déjà dans l’œuf toutes les idées qui devaient faire, au milieu du siècle, un si beau chemin. Après qu’une forte impulsion fut venue de la Garonne avec les chansons de Navarrot, sorte de Béranger provençal, et les premières Papillotes (1835) du coiffeur agenais Jacques Boë (1798-1864), dit Jasmin, triomphalement promenées jusqu’à Paris, un pas décisif fut marqué par un Languedocien encore : le marquis de La Fare-Alais (1791-1848). Au dessein déclaré de faire revivre, en la régénérant, la langue maternelle, ce châtelain de Saint-Martin-de-Valgalques joignit un exemple magistral : le recueil qu’il intitula Castagnados (Rôties de châtaignes), publié dès 1844, témoigne à la fois d’une rare connaissance de la langue, d’un sens profond du terroir et d’un admirable don de poésie. Des poèmes comme lou Gripé, la Rouméquo et surtout la shakespearienne Baoumo de las Fados font de lui, entre Goudelin et Mistral, la plus haute figure, assurément, de la poésie d’oc.

En Provence, si on laisse à part quelques patoisants à la vieille mode comme il en traînait encore un peu partout, les prétendus « précurseurs » du félibrige, derrière l’Aixois Jean Joseph Diouloufet (1771-1840), introducteur, dans la littérature, du ver à soie (leis Magnans, 1819), sont, pour les meilleurs, des poètes d’inspiration marseillaise : sur le galégeur Pierre Bellot (1783-1859), Fortuné Chaillan (1801-1840), promoteur du populaire nervi, et Gustave Bénédit (1802-1870), créateur du non moins populaire Chichois, tranche puissamment Victor Gelu (1806-1885), génie hirsute, qui, dans le premier recueil de ses Poésies provençales (1840), anime avec une verve endiablée (tel Meste Verdié [1779-1820] au début du siècle, à Bordeaux) le petit monde du port et des halles.