Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

arsenic (suite)

Principaux dérivés

On connaît, à côté du trihydrure d’arsenic AsH3, analogue au composé homologue SbH3 de l’antimoine, un hydrure très instable As2H4.

Les dérivés de formule AsR3, analogues aux aminés tertiaires NR3, se forment par action d’un organozincique tel que Zn(CH3)2 ou d’un organomagnésien mixte RMgX sur le trichlorure ou le tribromure d’arsenic. On connaît de plus les arsines RAsH2 et R2AsH, de même que leurs dérivés d’oxydation de formules respectives RAsO3H2 (acides arsoniques), R2AsO2H (acides arsiniques) et R3AsO (oxydes d’arsines). Il existe aussi des sels d’arsonium quaternaire R4AsX et les bases correspondantes R4AsOH. Ces bases se décomposent par chauffage en donnant l’arsine et un alcool. Les arsines sont des produits très volatils extrêmement toxiques, qui sont très oxydables.

Mais l’arsenic donne naissance à des dérivés organiques plus importants : tels sont le cacodyle
(CH3)2As—As(CH3)2,
le chlorure de cacodyle (CH3)2AsCl, qui est une chloroarsine, l’oxyde de cacodyle
(CH3)2As—O—As(CH3)2
et l’acide cacodylique (CH3)2AsO2H, qui se préparent aisément à partir de la liqueur fumante de Cadet résultant de la pyrolyse et de la distillation d’un mélange d’anhydride arsénieux et d’acétate de sodium. (Le chimiste français Louis Claude Cadet de Gassicourt [1731-1799] se faisait appeler Cacodylus, d’où le nom de « cacodyle ».) Des chloroarsines ont servi, par suite de leur toxicité et de leurs propriétés vésicantes, à faire des « gaz de combat » : telle est la « lewisite ». Différents dérivés, par contre, ont été ou sont utilisés pour préparer des médicaments ; tel est le cas du cacodylate de sodium (CH3)2AsO2Na (traitement de l’anémie), de l’arrhénal CH3AsO3Na2 (maladie du sommeil), de même que de l’atoxyle
H2N—C6H4—AsO3HNa
(maladie du sommeil et syphilis) et de l’arsénobenzène
C6H5—As—As—C6H5,
ainsi que de ses dérivés comme le salvarsan, ou « 606 », de formule
C6H3(OH)(NH2)—As=As—C6H3(OH)(NH2).
Certains dérivés arsenicaux sont actuellement utilisés dans les cas de dermatoses.

Enfin, l’arsenic et ses dérivés, plus ou moins toxiques, sont à l’origine d’intoxications parfois criminelles. Divers produits arsenicaux (anhydride arsénieux, arsénites et arséniates) sont actuellement très répandus sous forme de raticides, d’insecticides ou de produits anticryptogamiques.

Les halogénures, assez semblables à ceux d’antimoine, sont hydrolysables.

On connaît les oxydes As2O3 (anhydride arsénieux), forme commerciale la plus importante, et As2O5 (anhydride arsénique). Ce dernier a un caractère oxydant qui le différencie nettement de l’anhydride phosphorique P2O5. On connaît deux séries d’acides oxygénés comme pour le phosphore, mais la diversité des acides est beaucoup moins grande. L’acide arsénieux HAsO2 possède un caractère amphotère, et le caractère acide est nettement plus fort que le caractère basique :
caractère acide
HAsO2 ⇄ AsO2 + H+ ;
caractère basique
HAsO2 ⇄ AsO+ + OH.

Les solutions d’acide arsénieux ont des propriétés oxydoréductrices.
HAsO2 est oxydant selon
HAsO2 + 3 H+ + 3e ⇄ As + 2 H2O,
et réducteur selon
HAsO2 + 2 H2O ⇄ H3AsO4 + 2 H+ + 2e.

Alors qu’en milieu moyennement basique, réalisé par le carbonate acide de sodium NaCO3H, l’iode oxyde les arsénites, en milieu franchement acide un iodure alcalin réduit l’acide arsénique en acide arsénieux.

Les orthoarséniates alcalins, tel K3AsO4, sont isomorphes des orthophosphates correspondants (K3PO4). Ni l’acide pyroarsénique ni l’acide métaarsénique ne sont connus. Par contre, on connaît des polyarséniphosphates contenant des enchaînements de tétraèdres PO4 et AsO4, formés de quatre atomes d’oxygène groupés autour d’un atome soit de phosphore, soit d’arsenic. On connaît aussi des arsénotungstates, des arsénomolybdates et des arsénovanadates analogues à des dérivés phosphoriques homologues.

H. B.


Toxicologie

La plupart des composés arsenicaux sont susceptibles de provoquer une intoxication aiguë, qu’il s’agisse de dérivés trivalents, pentavalents ou d’arsines : certains sont utilisés pour la guerre chimique (lewisite) ou comme pesticides (arséniates). Les effets toxiques furent décrits par Dioscoride à propos de l’absorption de sulfure d’arsenic ; l’intoxication criminelle, d’abord rare, devint très fréquente vers le xiie et le xiiie s., en Italie et en France, et au cours du xviie s. (aqua Toffana, du nom d’une empoisonneuse dont les préparations causèrent la mort de six cents personnes, parmi lesquelles les papes Pie III et Clément XIV ; crimes de la marquise de Brinvilliers). Parmi les procès célèbres du siècle dernier, celui de Mme Lafarge fut à l’origine d’un célèbre duel d’experts entre Orfila et Raspail, dû à des divergences très profondes d’interprétation des résultats de l’analyse toxicologique.

La dose létale d’anhydride arsénieux, l’« arsenic » des empoisonneurs, est de l’ordre de 0,0020 g par kilogramme de poids (de l’intoxiqué) pour une seule absorption. Il s’agit d’un corps fortement toxique, qui détermine des troubles digestifs intenses (diarrhée et vomissements), une hypotension artérielle, une altération du foie et des reins, un état de choc souvent mortel en quelques heures. Les dérivés arsenicaux insolubles sont peu toxiques, de même que l’arsenic lui-même. Les dérivés organiques médicamenteux de l’arsenic sont moins toxiques que les dérivés minéraux solubles, en raison d’une élimination très rapide par le rein. L’hydrogène arsénié, gaz très toxique, provoque une hémolyse aiguë et une anurie.

Absorbé à doses plus faibles, prolongées, de l’ordre de quelques milligrammes par jour, l’anhydride arsénieux s’accumule dans l’organisme et détermine des troubles de l’état général (amaigrissement, inappétence), une atteinte nerveuse avec polynévrite, une mélanodermie et une kératose palmoplantaire.

Le dosage toxicologique de l’arsenic a été réalisé par l’Anglais James Marsh (1794-1846) : l’hydrogène naissant transforme les dérivés solubles de l’arsenic en hydrogène arsénié. Ce dernier peut être décomposé à chaud, et l’arsenic ainsi séparé peut être facilement identifié, séparé de l’antimoine par sa solubilité dans une solution d’hypochlorite. D’autres méthodes ont été proposées, dont une méthode isotopique par radio-activation. L’appareil de Cribier permet un dosage calorimétrique par un réactif mercuriel.

Le dosage de l’arsenic montre toujours la présence de traces de ce métalloïde. Seul un taux anormalement élevé peut orienter vers une intoxication arsenicale. L’antidote est le dimercaprol ou BAL (British antilewisite).

E. F.