Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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prestidigitation (suite)

Henri Robin (1805-1874) devait, lui aussi, posséder son théâtre, qu’il transformait en « château hanté » grâce à des projections lumineuses, surtout blanches pour simuler des spectres. Malgré ce décor, Robin était également de ceux qui voulaient que l’illusion soit présentée comme un art et non comme un pouvoir magique. À ce propos, il démystifia publiquement deux confrères américains, les frères William Henry (1814-1877) et Ira Erastus (1839-1911) Davenport, qui se prétendaient spirites. En vérité, ces derniers étaient de bons illusionnistes, dont le nom reste attaché à une armoire mystérieuse toujours appelée « armoire des Davenport » et parfois « cabine spirite ». Dans celle-ci, deux personnes sont enfermées après avoir été ligotées séparément étroitement, et pourtant elles animent des objets laissés à leur portée (clochettes, etc.) ; quand la porte de l’armoire est rouverte, chacune est toujours ligotée, mais elles ont échangé leurs vestes !


Magie ambulante

À la même époque, les champs de foire firent également bon accueil à leur enfant prodigue : l’art magique né lors des grands marchés d’antan ; l’illusionnisme y parada, auréolé de sa gloire naissante ; on n’escamota plus uniquement sur des tréteaux de fortune, mais en de confortables « constructions » : ce fut l’ère des grands établissements ambulants de Lassaigne, de Delafioure, de Loramus (son théâtre devint, par la suite, celui de Pierre Gallici, puis des Gallici-Rancy), d’Adrien Delille, de Carmelli, etc. En Allemagne, Ernst Bach (1834-1877), appartenant à une vieille dynastie magique, menait, de ville en ville, sur quinze voitures, le somptueux « Cagliostro Theater », où pouvaient prendre place mille six cents spectateurs.

Et les tours s’ajoutaient aux tours... Robert Heller (1826-1878), prenant pour partenaire la « fée » électricité, faisait éclore au « commandement » des poussins ; Loramus, dans sa baraque (sorte de musée de cire assez hallucinant avec personnages articulés), présentait une scène de « décapitation express » ; le Colonel Stodare (1831-1866), faux gradé mais vrai magicien, lançait le « décapité parlant » ; Epstein, l’un des premiers à paraître sur une piste, celle du cirque Napoléon, adoptait le truc de l’« homme invulnérable » et manquait y laisser sa vie (comme cela devait arriver à W. E. Campbell, dit Chung Ling Soo, en mars 1918).


L’homme invulnérable

Cet exercice consiste à se faire viser avec un revolver ou une carabine par un spectateur, après lui avoir démontré que l’arme n’est pas truquée et peut fort bien atteindre une cible ; bien entendu, un habile tour de passe-passe supprime à l’ultime minute le danger. Mais, le 25 avril 1869, le docteur Epstein, ayant oublié de retirer la baguette avec laquelle il avait bourré le fusil, celle-ci, en partant avec le coup de feu, lui transperça la poitrine et le blessa très grièvement.


Buatier de Kolta

Puis l’illusionnisme fit un nouveau grand pas grâce à Joseph Buatier, dit Buatier de Kolta (1845-1903), qui truffa le répertoire des prestidigitateurs de déconcertantes inventions, notamment le tour de la « cage éclipsée » et celui du « dé grandissant » : un dé augmente de volume jusqu’à libérer une jeune femme qui semble le fruit d’une génération spontanée. Certains des secrets des présentations de Buatier de Kolta restèrent d’ailleurs... secrets après son décès.


Transmission de pensée

En 1865, Isidore Bonheur orienta les attractions d’illusionnisme vers une nouvelle branche : la transmission de pensée, ce qui permet à bien des prestidigitateurs d’étoffer, voire de doubler leur numéro manuel par des exercices mnémotechniques demandant à leur cerveau et à celui de leur partenaire particulièrement doué une agilité sœur de celle de leurs doigts. (De nos jours, Magdola et Carolus, Manita-Carrington, Wilsonne de Gioanni, sans oublier, bien sûr, Myr et Myroska, honorent cette discipline.)


Houdini

D’Amérique vint ensuite Harry Houdini (Ehrich Weiss [1874-1926]), qui donna un brillant spectaculaire à l’attraction de l’« évadé » : l’artiste se fait attacher avec des cordes, des chaînes fermées par des cadenas, mettre en « boîte », immerger même, et se délivre en un temps record. Après Houdini, qui avait pris son pseudonyme en référence à Robert-Houdin, le numéro fut particulièrement bien présenté par son frère Hardini, puis par Staens, Dick Carter, etc., et il est encore possible de l’applaudir grâce à une femme appelée « The New Houdini », à James Crossini et surtout à Alan-Alan.


Le monde magique

Dans le monde magique international — car l’évolution fut simultanée dans tous les pays —, on distingue désormais de multiples personnalités. Il y a toujours les « prestis » fidèles aux manipulations (Channing Pollok, Jean Mad, Marcalbert, Jacques Delord, G. Majax, Preston, Finn John, Seldow, Jean Valton, etc.), puis des animateurs de grandes illusions : la femme sciée en morceaux, le coupeur de têtes, le barman du diable — transformation de l’eau en diverses boissons —, la marmite infernale, la malle des Indes, la crémation, etc. (Bénévol, Dante, Carmo, les Frères Isola, Chung Ling Soo, Teddy Strick, Ferry Forst, Carrington, Horace Goldin, Cheffalo, Kalanag, de Rocroy, de Ryss, Hier, Richiardi, Kio, Mireldo, René Septembre, Yanko, Igolen, Li King Si, Illusio, Michel de La Vega, etc.).

Il faut y ajouter les hypnotiseurs, les seuls artistes qui souhaitent « endormir leur public » entre deux expériences d’hallucinations collectives : le commandeur Pietro, le Grand Robert, Dominique Webb.

Voici également les pickpockets, qui prouvent leur adresse aux dépens des poches de quelques spectateurs, volontaires ou non : Kassagi, par ailleurs bon « presti », Borris Borsuks, Borrah.

Voici encore, dans la lignée de Chung Ling Soo et d’Epstein, des hommes invulnérables tels que Harold et, enfin, des fakirs qui semblent jouer avec les flammes, le tranchant des sabres, la planche à clous, buvant du pétrole, avalant de l’étoupe, crachant le feu, ingurgitant lampes électriques, lames de rasoir, se faisant enterrer vivants, se transperçant le corps d’épingles, de poignards, tentant des records de jeûne ou d’endurance avec des vipères pour compagnes : Scarrah Bey, Yvon Yva, Azagara, Koringa, Kharah Khavah, Carrington junior, etc., numéros parfois impressionnants, mais très captivants tant qu’ils ne visent pas à être autre chose qu’un spectacle, une illusion dont l’animateur prolonge et ravive sur scènes et pistes, pour la joie des petits et des grands, le règne des enchanteurs légendaires.

Car là est l’art, voire la mission, du prestidigitateur : enchanter !

P. A.