Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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prestidigitation (suite)

Cet intérêt littéraire et bientôt mondain pour ce qui jusque-là était considéré comme un divertissement très populaire ou comme un jeu aux à-côtés dangereux donna ses lettres de noblesse à l’art magique. Auprès de plaisants continuateurs traditionnels comme Delisle (1833-1915), Paysan de Nort Holland, Isaac Fawkes (1675?-1731), etc., s’affirment de grandes personnalités : Jacques de Vaucanson (1709-1782), qui, poursuivant les travaux entrepris cinq siècles auparavant par Albert* le Grand, étonne avec ses automates qui semblent animés par un souffle magique ; Ledru dit Cornus Nicolas Philippe (1731-1807), l’un des meilleurs prestidigitateurs, inventeur des « tables à servantes » ; Kempelen (1734-1804) et son curieux joueur d’échecs, automate grandeur nature qui, selon la petite histoire, servit de cachette à un soldat prussien (il échappa de cette manière au courroux de la Grande Catherine) ; Jacob Meyer, dit Philadelphia (1735-1790), qui fut aussi un aventurier, à l’instar de Cagliostro...


Conus

Puis, apparaît sur la scène Conus († en 1835) ; il s’était fait une réputation en travaillant avec des boules de cuivre, mais il connut soudain la gloire en enrichissant son spectacle d’une illusion qui devait, à quelques variantes près, faire le succès de plusieurs générations de prestidigitateurs, dont le populaire Bénévol (Francesco Benevole [1864-1939]) : celle du « coupeur de têtes ».


Pinetti et Comte

En 1785, l’Italien Giuseppe Pinetti di Wildhalle connaît la vogue à Paris ; nommé physicien du roi, il obtient de Louis XVI l’autorisation de jouer au théâtre de l’Hôtel des Fermes. Ce théâtre devait devenir, quelques années plus tard, celui d’un autre illusionniste également célèbre et bénéficiant lui aussi du titre de physicien du roi : Louis Apollinaire Comte (1788-1859). Nous devons à ce dernier — qui, à l’encontre de ses prédécesseurs, se refusait à entourer ses expériences de mystère — de nombreuses saynètes bouffonnes dont il truffait ses escamotages grâce à son talent de ventriloque.

Puis Philippe (1802-1878) introduisit de nouveaux tours en Europe, notamment les anneaux chinois et les bocaux magiques, tours venus d’Orient, où la magie et le fakirisme furent toujours très prisés.


Bosco

C’est vers la même époque que s’illustre Bartolomeo Bosco (1793-1863), qu’il ne faut pas confondre avec saint Jean Bosco (1815-1888), devenu patron des prestidigitateurs parce que, à l’instar de saint François d’Assise, il se livrait à des manipulations pour retenir l’attention de ses ouailles.

Bartolomeo Bosco travaillait dans un décor grand-guignolesque entre des tentures noires et des têtes de mort (ce qui ne l’empêchait pas d’avoir un joyeux caractère). Ainsi aimait-il à se servir de sa dextérité pour jouer de bons tours hors spectacle et se divertir aux dépens de ses semblables. La légende veut que, laissé pour mort sur un champ de bataille et voyant un ennemi le dépouiller, il ait vidé les poches de ce dernier pendant que celui-ci les remplissait, ce qui fit que l’escamoteur se trouva, en fin d’aventure, avec deux bourses au lieu d’une !

Pendant un temps, dans le langage populaire, « Bosco » fut synonyme de prestidigitateur.

Malgré ces maîtres, l’illusionnisme n’avait pas encore atteint son apogée. Il avait, certes, considérablement évolué depuis les tours primitifs, mais les exercices les plus nouveaux, les plus audacieux demeuraient alourdis par le style de leur présentation se référant trop souvent du surnaturel.

Une révolution devait se faire pour que cette « magie » devienne véritablement un art du spectacle. Un jour, délaissant les costumes chamarrés ou les tenues d’apothicaires, des illusionnistes, comme Wiljalba Frikell (1818-1903) et Courtois, adoptèrent l’habit noir pour travailler. Le premier pas était fait, le terrain préparé pour qu’un vrai rénovateur fasse dans la lice de l’illusion une intrusion aussi magique que la magie elle-même. Ce rénovateur fut Jean Eugène Robert, qui, en ajoutant le nom de sa femme à son patronyme, devait créer un nom immortel dans la prestidigitation : celui de Robert-Houdin.


Robert-Houdin

Plus téméraire que ses prédécesseurs, ce petit homme nerveux, élégant, éloquent, fit table rase des traditions routinières qui étranglaient les audaces et contrariaient l’évolution de la physique amusante.

Jean Eugène Robert-Houdin (1805-1871) était fils d’horloger, et le fait d’avoir été élevé dans un climat où régnaient la précision et le merveilleux, allié à une précoce passion pour la mécanique, l’amena à construire d’étonnants automates avec lesquels il conquit une réputation méritée. Ce n’est pourtant pas dans ce domaine qu’il devait s’imposer ; son goût de l’escamotage, véritable violon d’Ingres en marge de ses travaux, lui réservait une gloire plus populaire dont les premiers feux s’embrasèrent vers 1845 dans ce théâtre des Soirées-Fantastiques qu’il ouvrit à Paris. Avec un matériel simplifié à l’extrême, il y présenta des spectacles qui devaient autant à la science qu’à sa dextérité et parvint, par son impeccable et exemplaire mise en valeur des moindres « trucs », à reléguer dans l’histoire tout ce qui avait été fait avant lui.

D’autre part, les apports de Robert-Houdin dans le domaine scientifique ne sont pas négligeables : les sonneries électriques, les podomètres ainsi que divers appareils utilisés en ophtalmologie doivent beaucoup à son génie.

Lorsque Robert-Houdin se retira sur les bords de la Loire — dans une villa qu’il « truqua » à plaisir —, son beau-frère (élève et associé) Pierre Cochat, dit Hamilton, prit la direction du théâtre des Soirées-Fantastiques. Hamilton présenta les principaux exercices du maître en y ajoutant quelques tours de son cru, comme la « suspension éthéréenne », où l’on voyait un enfant soudain enlevé par un de ses cheveux.

En 1873, Brunnett succéda à Hamilton et importa d’Angleterre la « malle des Indes » (substitution éclair de partenaires), attribuée au magicien britannique De Vere.

Cette vogue de Robert-Houdin et de ses disciples immédiats fit naître une cohorte de magiciens.