Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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prélude (suite)

Les préludes libres de Tommaso Giordani (v. 1730-1806), Jean-Jacques Beauvarlet-Charpentier (1734-1794) se développent en formules brillantes. Ceux de Johann Baptist Cramer, Ignaz Moscheles (1828), Karl Czerny (v. 1833), entre autres compositeurs, conservent des rythmes précis et des phrases régulières, et ne retrouvent pas l’esprit de fantaisie qui animait le prélude libre des clavecinistes.

La structure du prélude mesuré se présente sous des formes très variées : sous l’aspect d’une improvisation qui juxtapose plusieurs motifs (Leopold Antonín Koželuh [1747-1818], Tommaso Giordani, Johann Baptist Cramer), avec une écriture polyphonique qui peut revêtir une forme fuguée (Henri Bertini [1798-1876], Friedrich Kalkbrenner [1788-1849]), sur un seul motif technique, à la manière d’une étude (Karl Czerny, Muzio Clementi*, Johann Baptist Cramer), en forme de da capo (Daniel Steibelt [1765-1823]), de choral (Nikolaus von Krufft [1779-1818]), en forme de rondo et de sonate (Adolf Reichel [1817-1896]).

Chopin* réussit la gageure de créer, parfois en quelques mesures, des climats tous différents les uns des autres. La construction formelle de ses préludes (op. 28 : 1839 ; op. 45 : 1841) va de la simple exposition de phrase, sans développement (nos 4, 5, 9), à une structure plus travaillée, en forme de lied (no 15) ou de rondeau (no 17).

La construction et l’écriture du prélude mesuré témoignent de l’influence profonde que J.-S. Bach exerce sur la pensée des compositeurs au xixe s. Alexandre Boëly (1785-1858) introduit même presque textuellement dans ses préludes de piano diverses formules du Cantor.

L’admiration que le romantisme porte à Bach se traduit par un nouvel essor du prélude et fugue, pratiqué notamment par Karl Czerny et Felix Mendelssohn (1809-1847). Franz Liszt* transcrit pour piano des préludes et fugues pour orgue et la fantaisie en sol mineur de Bach. Il compose une fantaisie et fugue sur le nom de Bach.


De la fin du xixe s. à nos jours

Les présentations du prélude, soit accompagné d’une fugue, soit comme pièce initiale d’une suite, ou encore dans les ensembles de préludes, continuent d’être fréquemment utilisées à la fin du xixe et au xxe s.

César Franck* donne au prélude de piano une envergure qu’il n’avait pas encore atteinte en France. Il l’insère dans deux compositions puissantes : Prélude, choral et fugue (1884), Prélude, aria et finale (1887). Cette forme en triptyque avait figuré une fois dans l’œuvre de Bach avec une Toccata, adagio et fugue. Franck utilise des procédés cycliques. Dans la péroraison de la fugue, il reprend la rythmique du prélude qui soutient les thèmes superposés du choral et de la fugue. De même, dans le final de la seconde œuvre, il fait réapparaître les thèmes de l’aria et du prélude. Ces triptyques se retrouveront désormais à diverses reprises dans l’œuvre des compositeurs. Des exemples en sont donnés par Arthur Honegger*, avec Prélude, arioso et fughette sur le nom de Bach (1932) pour piano, Maurice Duruflé (né en 1902), avec Prélude, adagio et choral varié sur le « Veni Creator » (1929) pour orgue. Louis Vierne* (1870-1937) introduit le prélude dans trois de ses symphonies pour orgue, qui sont de grandes fresques en cinq mouvements.

Le prélude et fugue tient une place importante dans la littérature du piano et de l’orgue. Saint-Saëns*, Gabriel Pierné (1863-1937), Roussel*, Ravel*, Alexandre Guilmant (1837-1911), Eugène Gigout (1844-1925), Charles-Marie Widor (1844-1937), Louis Vierne, Marcel Dupré (1886-1971), Jehan Alain (1911-1940), Dmitri Chostakovitch*, entre autres compositeurs, y allient sensibilité musicale et rigueur de l’écriture. Dans Ludus tonalis (1942), pour piano, Paul Hindemith* insère douze fugues correspondant aux douze degrés de l’échelle chromatique des sons. Des interludes séparent chaque fugue. L’œuvre est introduite par un prélude et achevée par un postlude qui est une inversion du prélude.

Comme un chaînon intermédiaire, les suites de Boëly s’intercalent entre les anciennes suites des clavecinistes et la suite moderne. Celle-ci apparaît dans la seconde moitié du xixe s., et le prélude, de nouveau, s’inscrit en tête des compositions. Alexis de Castillon en 1872, Camille Saint-Saëns en 1884 et 1892, Vincent d’Indy* en 1886, Claude Debussy* en 1890 et 1901, Albert Roussel en 1910, Maurice Ravel en 1914-1917, Arnold Schönberg* en 1924, Georges Auric en 1928, Florent Schmitt* en 1938, parmi bien d’autres musiciens, contribuent à lui donner un regain de vitalité. Certains recueils de pièces commencent également par un prélude, tels, entre autres, les Chants d’Espagne, España, d’Isaac Albéniz*, Chant de la mer (1920) de Gustave Samazeuilh, Petite Suite en 15 images (1944) de Jacques Ibert, Trois Esquisses pour piano (1902) de Louis Aubert.

Jusque vers 1860, le prélude descriptif est peu fréquent. En revanche, dans la seconde moitié du xixe s., peut-être sous l’influence du poème* symphonique, Julian Fontana (1862), Joseph Rummel (1863), Stephen Heller (1868), Albert Lavignac (1886), Florent Schmitt (1890-1896), Erik Satie* (1891, 1894, 1912) donneront des titres à leurs préludes de piano, rassemblés le plus souvent en recueil. Le prélude descriptif continue d’être pratiqué au xxe s., notamment par Debussy (1909-1913), Vierne (1921), Olivier Messiaen* (1929).

Les douze préludes pour piano de Vierne sont romantiques, souvent sombres et angoissés ; ils présentent une construction bien charpentée. Les vingt-quatre préludes de Debussy, de style impressionniste, sont plus évocateurs que vraiment descriptifs. Ils ont la liberté d’une improvisation avec, parfois, une structure tripartite. Les douze préludes-poèmes de Charles Tournemire* se rattachent également à l’esthétique impressionniste. Les titres des huit préludes de Messiaen, selon Messiaen lui-même, « cachent des études de couleurs », les couleurs dominantes de l’œuvre étant « violet, orangé, pourpre ». Les neuf préludes de Gabriel Fauré* (1910-11) sont très organisés, l’écriture en est travaillée (no 6, en canon à l’octave) ; l’harmonie, subtile, est parfois nettement dissonante (no 9). Les neuf préludes de Darius Milhaud* (1942), destinés à l’orgue, témoignent d’un métier raffiné. Les ensembles de préludes sont également pratiqués par Aleksandr N. Skriabine (1872-1915), Sergueï V. Rakhmaninov (1873-1943), Dmitri B. Kabalevski (né en 1903), Dmitri Chostakovitch, Frank Martin*, Bohuslav Martinů* notamment.