Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Poulenc (Francis) (suite)

En Poulenc, a-t-on dit, il y a « du moine et du voyou », et, en effet, sa personnalité paraît double au premier abord. D’une part, c’est le musicien brillant, voire mondain, auteur de divertissements du plus pur hédonisme, excellant dans le pastiche néo-classique le plus spirituel et se plaisant, l’instant d’après, aux plus truculentes gamineries. Ce Poulenc « parisien » (de par son ascendance maternelle) est celui des Biches, du Bal masqué, des Mamelles de Tirésias, ou des Concertos (sauf celui pour orgue) ainsi que de certaines mélodies surréalistes et de la plupart des pages pianistiques. D’autre part, marqué par la personnalité de son père, d’origine aveyronnaise, voici le Poulenc fervent et grave, porté vers l’austérité et le dépouillement du style roman, l’artiste profond et concentré auquel nous devons les grandes œuvres d’inspiration religieuse, les chœurs et les mélodies sur des poèmes d’Eluard, le ballet des Animaux modèles, la Voix humaine et certaines œuvres instrumentales comme le Concerto pour orgue ou la Sonate pour deux pianos. Mais, en fait, il s’agit des deux faces d’un créateur unique, et le langage musical de Poulenc varie si peu d’un genre à l’autre que, détachés de leur contexte, tels passages choraux des Mamelles de Tirésias pourraient fort bien figurer parmi les œuvres sacrées. Ce langage est celui d’un classique, fermement tonal et mélodique, d’un équilibre et d’une clarté bien français. La veine mélodique de Poulenc est d’une séduction et d’une abondance extrêmes, et son harmonie d’une invention aussi riche que piquante. La structure périodique demeure traditionnelle et évoque fréquemment Mozart par sa prédilection pour les désinences féminines. Poulenc n’est nullement attiré par la forme sonate et le développement thématique, et seules sa merveilleuse spontanéité, son habileté suprême et son élégance parviennent à masquer efficacement tout ce que son souffle a parfois d’un peu court et ses solutions formelles de précaire. L’art de Poulenc coule de source ; tout intellectualisme, toute recherche spéculative lui sont étrangers.

La production de Poulenc, abondante et diverse, comprend environ 140 opus. La musique vocale y domine nettement l’instrumentale tant par le nombre que par la qualité. Les mélodies, au nombre d’environ 150, soit isolées, soit sous forme de cycles, assurent au compositeur la première place en France dans ce domaine depuis Gabriel Fauré. Guillaume Apollinaire et surtout Paul Eluard sont les poètes de prédilection de Poulenc, mais celui-ci a également mis en musique Jean Cocteau, Louise de Vilmorin, Robert Desnos, Maurice Carême, Louis Aragon, sans compter Ronsard et Charles d’Orléans. La musique chorale profane est dominée par les Sept Chansons, la cantate avec orchestre Sécheresses et surtout l’admirable cantate a capella, d’après Eluard, Figure humaine. La musique religieuse, d’une importance capitale dans l’art sacré de notre temps, comprend des motets, une messe a cappella ainsi que les trois grandes partitions avec orchestre de la fin de sa vie. À la scène, Poulenc a donné trois opéras, dont Dialogues des carmélites, son œuvre la plus considérable, et trois ballets, dont le deuxième en date, Aubade, intitulé « Concerto chorégraphique », est en même temps l’une de ses meilleures pages concertantes. Cela nous mène à sa production purement instrumentale, peu nombreuse quant à l’orchestre, plus abondante en musique de chambre, où les meilleures réussites concernent les instruments à vent, qu’il traite avec un rare bonheur. De la part d’un si merveilleux pianiste, la production purement pianistique déçoit. À la seule exception de la Sonate pour deux pianos, elle ne dépasse pas le niveau de l’agréable divertissement, sans retrouver toujours l’exquise spontanéité qui faisait le prix des juvéniles Mouvements perpétuels.

Propriétaire d’un beau domaine à Noizay, en Touraine, Poulenc est cependant toujours demeuré parisien dans l’âme, et ce sont les calmes horizons de la grande banlieue parisienne qu’évoque son charmant Concert champêtre.

Les œuvres principales de Poulenc

• théâtre, opéras : les Mamelles de Tirésias (1944) ; Dialogues des carmélites (1953-1956) ; la Voix humaine (1958). ballets : les Biches (1923) ; les Animaux modèles (1940-41).

• orchestre : Suite française, d’après Gervaise (1935) ; 2 Marches et 1 Intermède (1937) ; Sinfonietta (1947). concertos : Concert champêtre (clavecin ou piano, 1927-28) ; Aubade (piano, 1929) ; Concerto (2 pianos, 1932) ; id. (orgue, cordes et timbales, 1938) ; id. (piano, 1949).

• musique de chambre : sonates : pour 2 clarinettes (1918) ; pour clarinette et basson (1922) ; pour cor, trompette et trombone (1922) ; pour violon et piano (1942-43) ; pour violoncelle et piano (1940-1948) ; pour flûte et piano (1957) ; pour hautbois et piano (1962) ; pour clarinette et piano (1962) ; Trio pour hautbois, basson et piano (1926) ; Sextuor pour vents et piano (1930-1940) ; Élégie pour cor et piano (1957).

• piano : Mouvements perpétuels (1918) ; 5 Impromptus (1920) ; Suite en « ut » (1920) ; Promenades (1924) ; Napoli (1925) ; 8 Nocturnes (1929-1938) ; 15 Improvisations (1932-1959) ; 3 Intermezzi (1934-1944) ; Suite française (1935) ; les Soirées de Nazelles (1936) ; Thème varié (1951), etc. 4 mains : Sonate (1918) ; 2 pianos : Sonate (1953) ; l’Embarquement pour Cythère (1951) ; Élégie (1959). piano et récitant : Histoire de Babar le petit éléphant (1940-1945).

• mélodies. principaux recueils. D’après Apollinaire : le Bestiaire (1919) ; Banalités (1940) ; Calligrammes (1948). D’après Eluard : 5 Poèmes (1935) ; Tel jour, telle nuit (1937) ; la Fraîcheur et le feu (1950) ; le Travail du peintre (1956). D’après Cocteau : Cocardes (1919). D’après Ronsard : 5 Poèmes (1924-25). D’après Louise de Vilmorin : Fiançailles pour rire (1939) ; Métamorphoses (1943). D’après Fombeure : Chansons villageoises (1942). D’après M. Carême : la Courte paille (1960). Anonymes : Chansons gaillardes (1926) ; très nombreuses mélodies isolées.

• cantates : Rapsodie nègre (1917) ; le Bal masqué (1932) ; la Dame de Monte-Carlo (1961).

• chœurs profanes. a cappella : 7 Chansons (1936) ; Petites Voix (1936) ; Figure humaine (1943) ; Un soir de neige (1944) ; Chansons françaises (1945). avec orchestre : Sécheresses (1937).