Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Portugal (suite)

Les problèmes contemporains

La société contemporaine porte encore les marques du passé historique, comme si l’Ancien Régime, ébranlé à la fin du xixe s. seulement, n’en finissait pas de disparaître. Comme le souligne Vitorino Barbosa de Magalhães Godinho, le Portugal a manqué son industrialisation. Le comte da Ericeira et Pombal ont échoué dans leurs tentatives de promouvoir une industrie nationale. Quand le Portugal a amorcé son industrialisation du xixe s., c’est en faisant appel à des capitaux étrangers, britanniques surtout ; maintenant, des capitaux allemands, américains, hollandais... s’investissent massivement, ce qui n’est pas sans poser des problèmes. La Companhia União Fabril (CUF) est la première entreprise industrielle de la péninsule Ibérique ; les cales sèches de la Lisnave sont uniques en Europe ; les réalisations comme l’ensemble industriel de la presqu’île de Setúbal sont remarquables..., mais tout cela n’a nullement transformé une société encore dominée par le secteur agricole.

Sur le plan agricole, le Portugal souffre de deux maux, en apparence contradictoires : la trop petite et la trop grande propriété ; 80 p. 100 des exploitations ont moins de 5 ha, mais, dans le district d’Évora, la moyenne des exploitations est supérieure à 225 ha. Morcelée à l’extrême dans le Minho, « où la vache, en paissant, fume le champ du voisin », la propriété atteint des dimensions colossales dans le Sud, jusqu’à 20 000 ha et plus. Nous retrouvons là un autre trait de la société souligné par Magalhães Godinho : l’absence de bourgeoisie, de couches moyennes. Si de gros efforts ont été réalisés dans certains domaines — ainsi pour l’agriculture de l’Alentejo —, c’est uniquement sur un plan technique ou économique ; les structures sociales, fondement même du problème, n’ont guère été modifiées.

Le Portugal, déjà confronté à ces graves difficultés sur son propre territoire, s’est trouvé pendant plus de dix ans engagé dans des guerres coloniales. Au xixe s., Bernardo Sá da Bandeira avait incité ses compatriotes à se tourner vers leur empire africain pour compenser la perte du Brésil. Pendant longtemps, la métropole à négligé ces territoires, dont la conquête, d’ailleurs, n’a été effective qu’au xxe s. La mise en valeur s’effectuait grâce à un travail forcé, que, dès 1946, avait dénoncé Henrique Galvão, alors député gouvernemental. La transformation des territoires coloniaux en provinces d’outre-mer (1951) ne résolut nullement le problème d’une difficile cohabitation entre une énorme majorité d’indigènes et une poignée de colons. Paradoxalement, c’est au moment où éclatèrent les révoltes que le Portugal découvrit les richesses de son empire africain et commença leur mise en valeur. L’insurrection débuta en Angola* et en Guinée* portugaise dès 1961, et au Mozambique* en 1964.

Le Portugal s’installa dans une guerre longue et coûteuse, cela à un moment où les autres puissances européennes renonçaient à leurs empires. Pourquoi une pareille attitude ? Il est douteux que ce fût en fonction d’avantages économiques immédiats, les principales richesses d’outre-mer étant exploitées par des compagnies en majorité étrangères. Ce ne fut pas non plus pour résorber l’excédent de population métropolitaine : l’Empire africain accueillait 3 p. 100 des émigrants au xixe s., en gros 10 p. 100 au milieu du xxe s. La propagande gouvernementale mit surtout l’accent sur des arguments d’ordre sentimental : la défense de l’intégralité du territoire — l’Angola ou Timor étant considérés comme des provinces portugaises au même titre que la Beira ou l’Alentejo — et surtout une question de survie. Réduit au territoire métropolitain, le Portugal craignait d’être en position de faiblesse face à son puissant voisin espagnol.

Il fallut attendre la chute du régime salazariste pour que fût mis fin à une guerre qui isolait le pays sur le plan international et qui lui coûtait cher : plus de la moitié du budget. Des dizaines de milliers de jeunes — 200 000 soldats en 1970 — étaient coupés de toute activité productrice pendant quatre longues années de service militaire. Enfin, malgré une surveillance très stricte, nombre de jeunes avaient préféré quitter le pays : ces réfractaires constituèrent près des trois quarts de l’immigration clandestine en France en 1970.

L’émigration n’est pas un phénomène nouveau pour le Portugal : drama de hoje, drama de ontem, écrit Joel Serrão ; mais, depuis les années 1960, elle a pris un aspect dramatique, annulant pratiquement l’accroissement naturel démographique du pays, suscitant dans certaines régions une véritable flambée des prix. L’expansion du xvie s., les persécutions contre les « nouveaux chrétiens » ont dispersé des Portugais dans tout l’univers. Ils formaient des colonies importantes dans toutes les grandes villes commerçantes d’Europe, s’implantaient dans l’empire espagnol, poussaient en Extrême-Orient jusqu’au Japon. Soldats, missionnaires et surtout commerçants, les Portugais se rencontraient en tous lieux, même en dehors de leur empire colonial. À cette diaspora, le xviiie s. a tenté de substituer une colonisation impériale, essentiellement au Brésil. Dès le xixe s., l’émigration proprement dite s’est considérablement accrue, au point d’inquiéter les milieux gouvernementaux. On peut distinguer deux grandes phases, avec une coupure théorique en 1960. Avant 1886, quelque 15 000 Portugais quittaient chaque année le pays ; après un bond à 80 000 avant la Première Guerre mondiale, le courant migratoire s’est ensuite stabilisé aux alentours de 1930 (35 000 départs par an) avec une chute très nette lors de la Seconde Guerre mondiale. Si les quatre cinquièmes des émigrants se dirigeaient vers le Brésil, les autres se dispersaient dans le monde : États-Unis, Amérique latine, Europe et même Océanie. Géographiquement, le nord-ouest du pays a été le plus affecté : il a fourni les neuf dixièmes des émigrants entre 1890 et 1940. Socialement, les partants étaient surtout des travailleurs agricoles et des salariés du bâtiment.