Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Porter (Katherine Anne)

Écrivain américain (Indian Creek, Texas, 1890).


Contemporaine de Hemingway* et de Fitzgerald*, elle a vécu les « années folles » à Paris avec Sylvia Beach et Adrienne Monnier. Mais elle a peu écrit. Elle a publié son premier volume à quarante ans, en 1930. Elle a connu la gloire à soixante-treize ans, en 1962, pour son seul et unique roman Ship of Fools (la Nef des fous). Elle y travaillait depuis un quart de siècle. Katherine Anne Porter fut longtemps connue d’un seul public d’amateurs éclairés, comme auteur de nouvelles, fines, délicates, inspirées d’un réel qu’elle transfigurait à la manière de Katherine Mansfield*. C’est une miniaturiste de talent, avec un grand sens de l’observation et du mot juste, dans la tradition rhétorique du Sud.

Car elle est née dans le Sud, au Texas, dans une famille d’Écossais catholiques qui venait de Louisiane. Quatre générations y cohabitaient à la Faulkner, entourées de domestiques noirs. Elevée dans les fastes et la rigueur aristocratique du Sud, Katherine Anne Porter se révolta, assez jeune, contre le catholicisme, les valeurs du Sud et choisit un libéralisme militant. L’un des thèmes dominants de son œuvre est la tension entre les valeurs sociales et les valeurs spirituelles, entre les désirs et la responsabilité, entre le rêve et la réalité. Beaucoup de ses nouvelles sont autobiographiques. « J’apprends tout en observant et en vivant, écrit-elle. Jetez les manuels. » Avant d’écrire, elle accumule longuement les notes, les souvenirs, jusqu’à ce que la nouvelle surgisse. Une nouvelle comme Pale Horse, Pale Rider est entièrement autobiographique : K. A. Porter faillit elle-même mourir de la grippe espagnole pendant la Première Guerre mondiale et eut, au seuil de la mort, cette sensation d’euphorie évoquée dans le livre.

Elle commence à écrire dès l’âge de six ans et se nourrit des classiques, de Shakespeare, de Racine et surtout de Sterne, son favori. Mais cette perfectionniste ne publie sa première nouvelle qu’en 1922 : Maria Conception ; la seconde, He, en 1927, dans New Masses, la revue de la gauche socialiste, ce qui indique son évolution. Ces nouvelles forment avec d’autres un volume : Flowering Judas (l’Arbre de Judée, 1930). La plupart se passent au Mexique, où l’auteur avait été journaliste. Certaines reflètent sa formation catholique, comme The Cracked Looking-Glass ou Flowering Judas, où une jeune femme, Laura, déchirée entre sa foi catholique et ses convictions révolutionnaires, est incapable de trouver l’amour, sans lequel la vie n’a pas de sens. Inspirée d’un texte de T. S. Eliot, la nouvelle est un peu chargée de la mythologie symbolique qu’on retrouvera plus tard dans la Nef des fous. Dans Maria Conception, sa première nouvelle, un village mexicain approuve le meurtre de la maîtresse par l’épouse, au nom des intérêts supérieurs de la famille.

En 1939, Katherine Anne Porter publie en un volume trois courts romans : Pale Horse, Pale Rider. Œuvre autobiographique, Noon Wine évoque ses souvenirs d’enfance au Texas : un fermier texan tue accidentellement un ouvrier agricole et se débat dans le remords. Mais le « souvenir » d’enfance prend chez elle une dimension de « mythe », comme chez Hawthorne*, qui relie le présent à un passé légendaire et symbolique. K. A. Porter n’est pas une sudiste ni une catholique orthodoxe. Elle est cependant consciente de l’emprise de la tradition et de sa tragique beauté. En particulier dans Old Mortality, la meilleure de ses nouvelles, « Bildungsroman » en miniature, qui est le récit d’une initiation, celle de Miranda, son héroïne autobiographique.

Pendant les années 30, K. A. Porter voyage dans l’Europe des débuts du nazisme. En 1944, The Leaning Tower (la Tour penchée), son troisième recueil de nouvelles, paraît, fermant le cycle de Miranda. La meilleure est probablement The Grave (la Tombe), méditation sur la vie et la mort à partir d’une bague retrouvée et d’une lapine morte. La Tour penchée, allusion à la tour de Pise, dont une reproduction est brisée par le héros, évoque la désintégration de la société allemande des années 30.

Après la Tour penchée, K. A. Porter resta dix-huit ans sans rien publier, que des essais critiques (The Days before, 1952) et des extraits d’une œuvre en gestation qui alimentait sa légende. En 1962, enfin, le roman tant attendu parut : Ship of Fools (la Nef des fous), titre inspiré d’une allégorie morale de Sebastian Brant, Das Narrenschiff, publiée en 1494. C’est aussi une moralité en forme de roman. Six cents pages vendues à un million d’exemplaires. La gloire et la fortune. C’est la chronique d’un voyage en mer, en août 1931. Le paquebot Vera (Vérité) vogue de Veracruz à Bremerhaven, en Allemagne. Ces vingt-sept jours de mer rassemblent une humanité déboussolée entre la crise économique et la montée du fascisme : les « années folles » dérivent sur la « nef des fous ». Entassés dans l’entrepont, des émigrants espagnols refluent vers l’Espagne, où la guerre est pour demain. Ils symbolisent à la fois les « derniers des justes » et les prolétaires. Mais c’est dans les premières classes que l’affaire se joue, entre des Allemands, qui se croient race élue, une comtesse nymphomane, un Juif honteux, tout un microcosme qui se flatte, se bat comme une cargaison de frustrés dans un monde déjà concentrationnaire. Mais cette épopée de mesquineries ne prend jamais son ampleur. Cette symphonie de nouvelles orchestrées ne fait pas un roman. Admirable dans le détail, l’œuvre reste une juxtaposition de miniatures. L’auteur ne parvient pas à intégrer réalité et symbole en une fresque épique digne de Thomas Mann ou de Melville. Ecrivain trop littéraire, un peu retenu et guindé, Katherine Anne Porter reste emprisonnée dans la perfection de l’art de la nouvelle.

J. C.

 H. J. Mooney, The Fiction and Criticism of Katherine Anne Porter (Pittsburgh, Penn., 1957 ; nouv. éd., 1962). / G. Hendrick, Katherine Anne Porter (New York, 1965). / L. Hartley et G. Core (sous la dir. de), Katherine Anne Porter, a Critical Symposium (Athens, Georgie, 1970). / M. M. Liberman, Katherine Anne Porter’s Fiction (Detroit, 1971).