Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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population (suite)

La grande transition a une traduction bien connue au plan des comportements démographiques. Le progrès de la connaissance médicale et celui des techniques amènent en moins d’un siècle l’élimination de la plupart des sources de mortalité exceptionnelle. La révolution des transports assure chaque région de l’apport des aliments qui lui sont indispensables même si les récoltes viennent à manquer ; le risque de famine disparaît des nations industrielles. Les parasitoses et les maladies endémiques et épidémiques cèdent progressivement à la mise au point des vaccins, des insecticides modernes et à celle des antibiotiques. Ce sont des techniques au coût relativement faible : elles permettent d’éviter les grandes vagues de mortalité qui désolaient périodiquement le monde ; elles entraînent surtout une réduction massive de la mortalité au cours des premiers âges de l’existence. Dans les familles de jadis, la moitié seulement des enfants atteignait l’âge adulte. À l’heure actuelle, ce sont les neuf dixièmes, ou davantage.

Les maladies de carence ont vu leur mécanisme percé dans un bon nombre de cas. L’augmentation de la productivité de la terre a conduit à accroître la part réservée aux spéculations animales, qui donnent les protéines qui manquaient naguère aux régimes alimentaires ainsi qu’une bonne part des principes minéraux qui faisaient défaut ; l’accroissement de la production de lait a eu un rôle décisif de ce point de vue. La multiplication des cultures maraîchères et des vergers, les techniques modernes de conservation assurent en toute saison le consommateur d’un approvisionnement en denrées richement vitaminées.

Les taux de mortalité ont donc diminué, et l’espérance de vie à la naissance a augmenté : elle est passée d’une trentaine d’années à soixante-dix ans dans la plupart des pays industriels. La transformation s’est faite graduellement. Elle a inversé le déséquilibre qui existait depuis toujours entre les sexes. Les femmes, à cause de la mortalité en couches, disparaissaient plus jeunes que les hommes. Elles vivent maintenant plusieurs années de plus. Dans le courant du xixe s., lorsque la mortalité a commencé à baisser, l’inégalité devant la mort est apparue. À l’époque des grandes épidémies, le manant et le prince étaient à peu près également exposés. Au xixe s. et dans le premier quart de ce siècle, les progrès de la médecine sont encore un privilège de classe, comme l’est aussi l’accès à un régime alimentaire abondant et équilibré. C’est entre 1850 et 1880 que les situations ont été les plus injustes. Depuis une génération, le tableau devient moins contrasté, et les groupes qui ont les plus grandes chances de survie à chaque âge se situent au milieu de l’échelle sociale.

La diminution de mortalité ne s’accompagne pas de la disparition de toutes les inquiétudes en matière de santé. Les sociétés archaïques étaient frappées par les parasitoses et les endémies ; les sociétés intermédiaires, par les épidémies et les grandes maladies de carence. Notre monde est celui des agressions chimiques : cela se traduit par la multiplication des allergies, et, dans un autre domaine, par la progression de certains types de cancer. Les maladies les plus menaçantes sont celles qui résultent de la détérioration du milieu et celles qui témoignent de la sédentarisation des modes de vie et des rythmes qu’elle impose aux organismes qu’elle finit par user.

Dans les sociétés intermédiaires, le taux de mortalité variait d’une année à l’autre en fonction du passage des épidémies ou de l’occurrence de disette. Il a baissé, puis est devenu stable. Il remonte légèrement lorsque la population vieillit, comme en Europe occidentale, mais sans que cela traduise une diminution de la durée de l’existence.

La baisse de la natalité a commencé généralement bien après celle de la mortalité : c’est ce qui explique l’explosion de population qui accompagne la première phase de la période de transition. Il arrive même que la natalité et la fécondité augmentent à ce moment. Cela tient aux premiers progrès de l’hygiène, à la moindre mortalité des femmes au moment des couches, mais aussi à l’abaissement de l’âge du mariage, à la rareté du célibat, à la diminution de la période d’allaitement et à la disparition, dans certaines sociétés, des tabous qui entraînaient un certain espacement des naissances. Les taux de natalité dépassent couramment 40 p. 1 000.

Avec le temps, la situation se modifie cependant, la charge que représentent les enfants apparaît plus lourde lorsque la plupart survivent et que la durée de la scolarité augmente. On s’inquiète de prévenir les naissances. Exceptionnellement, en France, la baisse de natalité a commencé à peu près au moment où la baisse de mortalité s’esquissait, si bien qu’il n’y a guère eu de croissance. En Allemagne, en Grande-Bretagne, en Italie, un décalage de deux générations s’est produit entre les deux phénomènes. Les méthodes contraceptives ne se sont guère vulgarisées avant le milieu du xixe s. dans les milieux aisés de la société britannique, alors qu’elles étaient déjà de pratique courante presque partout en France à la fin du siècle précédent : Mirabeau n’écrivait-il pas alors : « On trompe la nature jusque dans les villages » ? Avec le temps, l’arsenal des méthodes contraceptives s’est allongé, leur efficacité s’est accrue, si bien que la planification des naissances est entrée dans les mœurs. Cependant, jusqu’aux années 1940, les résultats étaient aléatoires et les méthodes demandaient des précautions qui justifiaient la présence d’une natalité différentielle en fonction du niveau d’instruction et de la situation sociale : le nombre d’enfants par famille était d’autant plus fort que les revenus étaient plus faibles, sauf dans les pays où l’avortement était autorisé. La pilule, le stérilet, la libéralisation de l’avortement, qui en est paradoxalement presque nécessairement la conséquence, rendent plus efficace le contrôle. Déjà, on notait avant l’apparition de ces techniques une évolution qui plaçait à l’étage moyen de la pyramide sociale les familles les moins nombreuses. Il est encore trop tôt pour savoir comment se distribueront les familles maintenant que la natalité est devenue volontaire ; probablement de manière plus égalitaire, avec moins de différence selon les statuts et les fortunes.