Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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population (suite)

L’étude de la répartition de la population conduit donc à souligner l’omniprésence des contrastes, des accumulations ici, des lacunes là, mais l’examen attentif révèle des structures très différentes. Dans les civilisations rurales de jadis, la tendance était bien à l’égalisation des densités lorsque le milieu était uniforme, et les vieux pays agricoles de l’Asie, l’Inde, la Chine surtout, y étaient parvenus à un point remarquable, comme aussi l’Europe du xviiie s. La densité de population se calquait sur celle des aptitudes des sols et des climats.

De nos jours, les contrastes de densité se généralisent : les zones paysannes se vident lorsqu’elles n’ont pas une densité suffisante pour permettre, grâce à une bonne desserte en services, l’urbanisation sur place ; les cités échappent à une partie des contraintes de localisation de naguère : elles prennent de plus en plus souvent la forme de villes régionales et se regroupent en grappes ou en chapelets pour bénéficier des relations les meilleures.

L’examen de la carte nous a ainsi révélé des oppositions auxquelles l’étude des comportements démographiques, des activités, des mouvements migratoires donne des dimensions multiples.


La population des régions de culture archaïque

Les zones de très faible densité qui séparent les noyaux d’accumulation des pays de civilisation rurale sont souvent occupées par des tribus demeurées fidèles à des genres de vie primitifs. En Inde, les Gonds et les Kools occupent les parties les plus rudes du Deccan, au sud-ouest du Bengale, qu’ils séparent du plateau marathe et des deltas de la côte orientale. Dans la Chine du Sud, les collines sont souvent occupées par des minorités ethniques demeurées assez primitives dans leurs modes de mise en valeur du sol : elles pratiquent l’agriculture sur brûlis, dans le Yun-nan (Yun-nan) et dans le Guangxi (Kouang-si). Dans la péninsule indochinoise, la situation est la même, mais les tribus archaïques contrôlent une plus vaste portion de l’espace et pèsent davantage dans la population. En Indonésie, tous les groupes sont linguistiquement apparentés, mais les Malais des zones littorales et des plaines connaissent les techniques agricoles les plus perfectionnées, alors que l’intérieur des îles abrite des populations attardées. En Afrique, les grands vides de la Namibie, ceux de la cuvette congolaise coïncident en partie avec les aires où se sont réfugiés des civilisations et des peuples résiduels, Hottentots, Bochimans, Pygmées. En Amérique précolombienne, les foyers de haute civilisation des Andes et de l’Amérique centrale demeuraient isolés les uns des autres. La plus grande partie du continent était aux mains de tribus qui pratiquaient une agriculture très extensive, qu’elles combinaient avec la pêche et la chasse, lorsqu’elles ne se contentaient pas de ces dernières ou de la cueillette.

Dans les zones arides de l’Ancien Monde, le nomadisme est connu depuis plusieurs millénaires avant notre ère, mais il ne prend les formes que nous lui connaissons qu’assez tardivement : il implique que l’on sache utiliser le cheval (on apprend à le faire dans le courant du IIe millénaire avant notre ère), le chameau et le dromadaire (cela se fait plus tard, aux environs du début de l’ère chrétienne). Les civilisations nomades ne sont généralement pas archaïques, au sens où le sont celles du monde forestier équatorial, ou celles des régions froides du globe, mais, par leur faible densité, elles se heurtent à des problèmes qui ne sont pas sans évoquer ceux des tribus plus primitives.

Lorsqu’on analyse le comportement démographique de ces groupes, on est frappé à la fois par la faiblesse des effectifs et par leur faible dynamisme. Cela ne tient pas à leur natalité : le taux est quelquefois limité par le genre de vie, par les déplacements, par la longueur des périodes d’allaitement et par certaines pratiques contraceptives, mais il demeure presque toujours élevé. La fragilité de l’humanité tient d’abord à sa fragmentation. Chaque cellule constitue un isolât dans lequel la consanguinité peut faire apparaître des tares, mais l’obligation de l’exogamie, très fréquente, en limite les effets. Le petit nombre joue surtout un rôle défavorable en période de crise : chaque génération ne compte que quelques individus, ou quelques dizaines d’individus ; que l’une d’entre elles vienne à disparaître et c’est la survie de la collectivité qui est compromise.

L’isolement, la dispersion n’ont pas que des inconvénients au point de vue démographique : ils évitent la propagation rapide des maladies épidémiques, si bien que la mortalité ne connaît pas toujours ces brusques crises qui sont caractéristiques des civilisations paysannes. L’absence d’immunité rend cependant redoutables les moindres affections : on connaît les ravages que la grippe, la rougeole, nos maladies bénignes de l’enfance, ont provoqués dans le monde américain et océanien du xvie au xixe s.

Malgré l’isolement, l’état sanitaire laisse souvent à désirer. Les groupes sont atteints par des maladies endémiques, et par toute une série de parasitoses qui témoignent de leur incapacité à dominer un milieu qui les écrase. L’espérance de vie à la naissance est faible : cela tient à la forte mortalité infantile, mais également au vieillissement précoce de l’organisme, à la multiplicité des décès accidentels et aux morts entraînées par les diverses affections que la cellule sociale traîne avec elle. Le nombre des vieillards est infime, quoiqu’on le devienne fort tôt, vers quarante-cinq ou cinquante ans.

La plupart des techniques dont on dispose sont incapables de faire face aux aléas du climat. On sait utiliser à merveille toutes les ressources de la végétation, toutes les espèces animales : on consomme des dizaines de plantes différentes, on se nourrit d’insectes en période de difficulté. Faute de techniques de conservation efficaces et de stocks alimentaires de sécurité, l’équilibre du groupe et des ressources dont il dépend est cependant sans cesse remis en question : que la saison des pluies tarde un peu dans les pays tropicaux, que le froid se prolonge de manière inhabituelle au printemps dans les pays de déserts glacés, et c’est la catastrophe. Des crises démographiques périodiques viennent ainsi limiter la croissance des groupes, quand des pratiques malthusiennes, l’infanticide par exemple, ne préviennent l’occurrence de ces catastrophes.