Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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populaire (littérature) et populiste (littérature) (suite)

Ce qui caractérise le roman d’espionnage moderne, c’est l’intrusion de l’histoire contemporaine, celle qui se fait presque sous les yeux du lecteur, qu’il lit tous les jours dans son quotidien. Et c’est si vrai que l’habillage politique se contente de suivre l’actualité et désigne sans vergogne un ennemi l’un après l’autre, selon les fluctuations de la situation internationale. Le roman d’espionnage est le successeur direct du roman d’aventure. Il s’agit toujours pour le héros de surmonter des épreuves plus ou moins impressionnantes dans lesquelles il donnera la mesure de son courage et de son intelligence.


Fonction du roman populaire

On a parlé de littérature de masse « en creux », de degré zéro de l’écriture, en pensant surtout aux romans-feuilletons, mais c’est oublier que le style des romans-feuilletons, s’il est sans génie, est simplement le style convenu et surtout convenable de leur époque. Il n’est même pas plat, il est conventionnel. Pour que la communication passe facilement, il doit prescrire toute recherche originale dans l’écriture.

De même, on a accusé le roman populaire de manquer de vérité dans le caractère des personnages. Mais il ne faut pas prendre ceux-ci pour des êtres réels. Plutôt même que des types, ce sont des êtres symboles pourvus d’une charge affective intense, porteurs des hantises ou des désirs des lecteurs, tout comme les héros des contes populaires. À ce point de vue, ils représentent une protestation lyrique, au niveau du lecteur, contre la condition humaine, avec ses limites et ses angoisses d’origine psychique, individuelle, familiale ou sociale, les unes et les autres se mêlant la plupart du temps.

Dans la littérature populaire, dès l’origine, les rôles féminins et masculins se distinguent parfaitement sur le plan psychologique comme sur le plan du récit. La femme est l’éternelle victime passive, tandis que l’homme est un être conquérant qui certes peut être en butte à des attaques, des traquenards, mais s’y plonge volontairement, contrairement à la femme. Et il s’en tire à son avantage par la force, la ruse, le courage en tout cas, là où les femmes subissent avec les seules ressources de la puissance de leur sensibilité et de leurs sentiments. L’homme est investi d’une mission et d’un but. Il est la personnification de l’esprit d’entreprise même lorsqu’il arrive qu’il soit lancé dans l’aventure pour des raisons indépendantes de sa volonté. C’est ainsi que, parallèlement à un fonds littéraire populaire destiné à peu près uniquement aux femmes, d’inspiration masochiste, il a existé de tout temps une littérature populaire plus particulièrement destinée aux hommes — mais que les femmes peuvent lire et qu’elles lisent peut-être de plus en plus —, qui certes peut représenter parfois un exercice pour l’esprit, mais a pour but, avant tout, de produire un effet de catharsis en libérant sous une forme mythique les mauvais instincts, instincts de rapine, de violence et de meurtre, groupés souvent autour de l’instinct de possession érotique, qu’une humanité de plus en plus civilisée n’oserait s’avouer à elle-même.

C’est singulièrement vrai pour le roman-feuilleton dans ce qui s’adresse aux hommes, en tant que roman d’aventure, et pour son successeur direct, le roman d’espionnage et le roman à suspense, mais c’est vrai aussi pour le roman policier même de type classique, à ceci près que celui-ci, en feignant de poursuivre le crime, avec encore plus d’hypocrisie, préserve intégralement la bonne conscience du lecteur, selon le principe bien connu du bouc émissaire. Sans compter que s’y ajoute l’étrange sentiment de participer à une chasse à l’homme qui met en jeu des instincts singulièrement primitifs, même sous un habillage scientiste. En tout lecteur de roman policier comme en tout lecteur de roman d’aventure, il y a un lyncheur qui sommeille.

Le roman populaire, tel qu’il s’est élaboré au cours du xixe s., pour être infiniment plus complexe, plus diversifié, plus coloré aussi que la littérature orale et la littérature de colportage, reste avant tout dans son essence et par son origine une littérature mythologique, entendons par là porteuse de mythes, à fonction de libération du refoulé analogue à celle du rêve. Condamner une telle littérature au nom de quelque principe que ce soit équivaut à vouloir interdire tout délire onirique.

P. B.

➙ Colportage (littérature de) / Littérature / Policière (littérature).

 A. Nettement, le Roman contemporain (Lecoffre, 1864). / H. d’Alméras, Alexandre Dumas et les « Trois Mousquetaires » (Malfère, 1929). / N. Atkinson, Eugène Sue et le roman feuilleton (Nizet et Bastard, 1929). / R. Messac, le « Detective novel » et l’influence de la pensée scientifique (H. Champion, 1929). / L. Lemonnier, Manifeste du roman populiste (la Centaine, 1930) ; Le Populisme (Renaissance du Livre, 1931). / H. Poulaille, Nouvel Âge littéraire (Valois, 1930). / G. Jarbinet, les « Mystères de Paris » d’Eugène Sue (Malfère, 1933). / I. I. Thorgevsky, De Gorky à nos jours (la Renaissance, 1945). / J. Charpentier, Alexandre Dumas (Tallandier, 1947). / M. Ragon, les Écrivains du peuple (Vigneau, 1947) ; Histoire de la littérature ouvrière du Moyen Âge à nos jours (Éd. ouvrières, 1953) ; Histoire de la littérature prolétarienne en France (A. Michel, 1974). / A. Peske et P. Marty, les Terribles (F. Chambriand, 1951). / P. Brochon, le Livre de colportage en France depuis le xvie siècle (Gründ, 1954). / R. Georlette, le Roman feuilleton français (l’Auteur, Bruxelles, 1955). / F. Hoveyda, Petite histoire du roman policier (Éd. du Pavillon, 1956 ; nouv. éd. Histoire du roman policier, 1966). / S. Radine, Quelques aspects du roman policier psychologique (Éd. du Mont Blanc, Genève, 1960). / P. Boileau et T. Narcejac, le Roman policier (Payot, 1964). / N. Arnaud, F. Lacassin et J. Tortel (sous la dir. de), Entretiens sur la paralittérature (Plon, 1970).