Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

pop’art (suite)

Le pop’art américain

Le pop’art proprement dit fut précédé aux États-Unis, à partir de 1950, d’une préface de caractère néo-dadaïste illustrée, sur la côte californienne, par les assemblages* qui furent à l’origine du funk* art et, à New York, par les combine-paintings de Rauschenberg et les drapeaux de Jasper Johns. Jim Dine (né en 1935) fait le lien entre ces derniers et le pop’art dans des peintures-objets pleines d’humour, qui souvent semblent des hommages à Picabia*. On peut distinguer globalement « new dada » du pop’art par le fait que, dans le premier, le coup de pinceau expressionniste demeure et que c’est l’objet réel, souvent abîmé, qui est utilisé, tandis que, dans le second, la touche est impersonnelle et que l’objet se trouve soit idéalisé, soit tiré vers l’abstraction. Si l’on met à part les fantômes blancs de George Segal (né en 1924), les représentants les plus spécifiques du pop’art américain sont au nombre de cinq.


Roy Lichtenstein

(né en 1923) est l’aîné. D’abord étalagiste et dessinateur de mode, il va s’imposer dès 1961 par le traitement simplificateur qu’il fait subir à des images de bandes dessinées de caractère sentimental ou militaire. La tendance au schématisme s’accuse jusqu’à l’abstraction lorsque, en 1964, il étend ses références à des paysages marins ou à des temples grecs, puis plus tard à des compositions de style 1925. On sent chez lui un effort progressif pour se défaire du contenu émotionnel de l’image et n’en plus conserver que l’austère ordonnance.


Claes Oldenburg

(né en Suède en 1929) dessine pour les journaux avant de créer, sous l’influence de Dubuffet* et de Céline*, des sortes de ruines d’objets urbains. Puis il jette son dévolu sur les charcuteries et les pâtisseries, dont il donne des transpositions tantôt fidèles, tantôt démesurément agrandies et métamorphosées par les matériaux employés. Viennent ensuite les objets « mous » et les objets « fantômes », dont la relation avec la réalité (aliments, meubles, équipement sanitaire, pièces d’automobile, outils, téléphones, etc.) se fait de plus en plus aberrante, au point que l’on peut tenir Oldenburg (quand ce ne serait que pour ses projets de monuments géants) pour le plus surréaliste des pop’artistes.


James Rosenquist

(né en 1933) a acquis dans l’exécution de panneaux publicitaires géants sa prodigieuse habileté technique. Plus encore qu’Oldenburg, il fait figure de grand expérimentateur du pop’art, ne cessant de proposer de nouvelles solutions plastiques (ainsi avec Forest-Ranger, fait de panneaux peints sur plastique que le spectateur peut traverser). Mais l’essentiel de sa démarche réside dans la juxtaposition de fragments d’images en eux-mêmes presque illisibles, qui se révèlent prendre un sens esthétique et peut-être symbolique du fait de leur réunion. La surprise, dont joue admirablement Rosenquist, le conduit souvent aux portes d’un merveilleux difficilement analysable.


Andy Warhol

(né en 1930), qui s’illustra d’abord comme dessinateur de chaussures, est le plus célèbre des peintres « pop » et aussi le plus systématique. Qu’il s’agisse de la répétition à perte de vue de la même image (boîte de soupe Campbell ou bouteille de Coca-Cola, portrait de Marylin Monroe ou de Mao Tsö-tong), de l’usage de la sérigraphie et du report photographique sur toile ou enfin, au cinéma (auquel il se consacre de plus en plus depuis 1963), du recours à un vérisme intransigeant, toute son activité tend à substituer à la personne de l’artiste des instruments d’enregistrement visuel ou sonore.


Tom Wesselmann

(né en 1931), le plus puissant tempérament du pop’art avec Oldenburg, procède du collage. Il avait auparavant étudié le dessin animé. Sa série des Grands Nus américains (1961-1967) juxtaposait à des nus simplifiés inspirés de Modigliani et de Matisse des fragments de publicité photographique, puis des éléments en relief (tables, radiateurs, natures mortes, etc.). Un érotisme vulgaire, mais d’une grande efficacité caractérise le principal apport de Wesselmann.

J. P.

 M. Amaya, Pop as Art : A Survey of the New Super-Realism (Londres, 1965). / R.-G. Dienst, Pop Art : eine kritische Information (Wiesbaden, 1965). / J. Rublowski, Pop Art (New York, 1965). / E. Crispolti, La Pop Art (Milan, 1966). / L. R. Lippard, Pop Art (Hazan, 1969). / J. Russell et S. Gablick, Pop Art Redefined (Londres, 1969). / Depuis 1945. L’art de notre temps, t. II (La Connaissance, Bruxelles, 1970). / F. Pluchart, Pop Art et Cie, 1960-1970 (Martin-Malburet, 1971). / J. Pierre, le Pop Art (Hazan, « Dictionnaires de poche », 1975).

Pope (Alexander)

Écrivain anglais (Londres 1688 - Twickenham 1744).


Les étiquettes ne lui manquent pas. « Père » du classicisme anglais, « successeur » de Dryden, « prédécesseur » de S. Johnson désignent toujours le même homme, Alexander Pope. Sa primauté dans son domaine ne soulève aucune espèce de contestation. Mais sa souveraineté semble fragile. Déjà l’« âge de Pope » produit The Seasons (1726-1730) de J. Thomson, les Night Thoughts (1742) de E. Young. Et les tenants du mouvement eux-mêmes s’affirment défenseurs mouvants. Aussi bien les « grands », Swift, Addison et Steele ou Defoe, que les « petits », comme le « groupe de Pope », où domine le talent de J. Gay. Le classicisme ne s’inscrit pas comme un produit naturel de la littérature anglaise, et Pope y apparaît tel un self-made man. Deux raisons sans doute pour en faire un homme qu’on attaque, un écrivain qu’on respecte. Et qu’on oublie. Catholique de naissance, il ne peut passer par l’université. De santé fragile, l’effort lui coûte. Pope est issu d’un très modeste milieu commerçant, et ses chances d’accéder à la gloire paraissent des plus aléatoires. Pourtant, il s’instruit seul. L’un des premiers, il va vivre, indépendant, de sa plume. La bonne société s’ouvre devant lui. Ami de G. Berkeley le philosophe, Pope fréquente le vicomte Bolingbroke, chef de l’opposition à Walpole, et le comte de Burlington, passionné d’architecture. Il se lie avec le dramaturge W. Congreve et, bien entendu, avec les membres, comme lui, du « Scriblerus Club », bastion du bon goût classique, dont J. Arbuthnot et Swift. Bien mieux, il exerce vite un empire incontesté sur les lettres. La vocation de poète lui vient très jeune, près de ses parents, à Binfield, en ces lieux qu’évoque son églogue Windsor Forest (1713). Il lit Horace, Spenser, Dryden, Milton et, bien sûr, Boileau, dont il fait sien le précepte « Aimez donc la raison ». Dès 1711, il publie son premier morceau de bravoure, An Essay on Criticism, exposé de l’idéal équilibré d’un bon critique. Six ans plus tard, quand Poems établit son premier bilan poétique, l’œuvre réalisée couvre déjà un éventail des plus larges, allant des Pastorals (1705) aux monologues tragiques comme Eloisa to Abelard (1717). On y trouve entre autres Messiah (1712), The Temple of Fame (1715) et surtout The Rape of the Lock (1714), bijou burlesque sur le mode héroïcomique du Lutrin de Boileau, où l’ensorceleuse Belinda mène le bal d’une société aussi policée que frivole, que ne ménage pas la plume satirique de Pope. Le genre convient particulièrement à la verve impitoyable et au tempérament chatouilleux de l’écrivain, à qui ses ennemis fourniront de multiples occasions de s’y distinguer. On jalouse Pope. On l’attaque. En particulier pour ses entreprises de longue haleine, les traductions de l’Iliad (1715-1720), de l’Odyssey (1725-26) et son édition de Shakespeare (1721-1725). Peri Bathous (1728) et surtout The Dunciad, qui comprend trois versions (1728, 1729, 1742), voient Pope se venger avec usure des uns et des autres, des dunces, les sots pour tout dire. Sa satire virulente du pédantisme, de la fadeur, de la platitude, du manque d’art d’un certain art y atteint à un véritable enseignement universel. Jusqu’au paisible Addison lui-même qui sert de cible aux traits belliqueux que décoche l’auteur à « Atticus » dans son Epistle to Dr. Arbuthnot (1735). Inlassablement, Pope défend bon goût, équilibre, bon sens et mesure, et aussi bien dans ses essais moraux, comme Of the Use of Riches (1732), que dans ses Imitations of Horace (1733-1738), où Epilogue to the Satires offre un échantillonnage des sottises de l’année 1738. Avec An Essay on Criticism, il donnait à l’Angleterre un bréviaire littéraire. Il lui en propose maintenant un autre, philosophique et scientifique cette fois, An Essay on Man (1733-34), poème où les tenants de l’orthodoxie perçoivent comme une saveur suspecte et qui séduit Voltaire. « Le premier des poèmes didactiques, des poèmes philosophiques », écrit-il à la marquise du Deffand en 1754. Pope n’innove ni dans l’un, ni dans l’autre. Mais il fixe nettement la couleur de son époque. Le « Connais-toi toi-même, ne te mêle pas de sonder Dieu » (Epistle, II) marque bien, en même temps que la supériorité que la raison confère à l’homme, les limites qu’il ne saurait dépasser. Jugée tyrannique par la suite, l’influence de Pope ne s’en révèle pas moins bénéfique et durable. L’œuvre de cet écrivain rappelle le prix des valeurs du rationalisme et de la mesure. Alliant élégance et simplicité, satire, burlesque à l’art de la « poetic diction », elle trouve en T. S. Eliot un digne héritier du maître de la poésie intellectuelle.

D. S.-F.

 P. Quennell, Alexander Pope, the Education of Genius (Londres, 1968). / E. Gurr, Pope (Edimbourg, 1971).