Polyptère (suite)
La position systématique des Polyptéridés (une dizaine d’espèces appartenant aux genres Polypterus et Calamoichthys) fait l’objet de controverses entre les ichtyologistes. Les uns rangent ces Poissons dans une sous-classe spéciale de Poissons osseux, celle des Brachioptérygiens, caractérisée par la structure de la nageoire pectorale, qui est différente à la fois de celle des Crossoptérygiens et de celle des Actinoptérygiens. Les autres font remarquer que la structure de cette nageoire pectorale, tout en étant, en effet, différente de celle des Actinoptérygiens, correspond vraisemblablement à une spécialisation très ancienne de la pectorale des Actinoptérygiens fossiles, ou Ganoïdes, et ils proposent donc de ranger les Polyptéridés au voisinage immédiat des Esturgeons (Chondrostéens). Il semble, en effet, bien établi que ces Poissons proviennent en droite ligne des Paléoniscoïdes de l’ère primaire.
Les Polyptères manifestent un certain nombre de caractères archaïques, dont certains se retrouvent d’ailleurs parmi les Chondrostéens ou les Holostéens actuels. C’est ainsi que les écailles losangiques, qui se chevauchent légèrement, sont épaisses et recouvertes d’une couche de ganoïne, comme celles des Esturgeons et des Lépisostées. On trouve à la base des nageoires de petits denticules cutanés, analogues à ceux des Sélaciens. La nageoire caudale, bien qu’elle soit apparemment symétrique, a un squelette hétérocerque. L’intestin possède une valvule spirale. Enfin, bien que les Polyptères possèdent, comme tous les Poissons osseux, un opercule qui recouvre la région branchiale, ils présentent également, comme les Sélaciens et les Esturgeons, un spiracle.
À côté de ces caractères archaïques, les caractères spécialisés concernent tout d’abord l’architecture de la nageoire pectorale. Sur la ceinture s’articulent deux pièces basales que sépare un cartilage central, ces trois pièces étant elles-mêmes suivies d’un nombre élevé de cartilages radiaux. Une telle structure, tout en étant voisine de celle des pectorales des Sélaciens, se rapproche davantage de celle des Actinoptérygiens que de celle des Crossoptérygiens. C’est ce concept de brachioptérygie qui a conduit certains auteurs à isoler les Polyptéridés des autres Ganoïdes. La nageoire dorsale, formée, dans sa partie antérieure, de lobes individualisés, ou pinnules, est, elle aussi, spéciale aux Polyptères et ne se rencontre nul part ailleurs. Son squelette comporte dans chaque lobe un os basal qui porte lui-même une série de lépidotriches articulés. La partie postérieure de la dorsale, de structure classique, est en continuité avec la nageoire caudale.
La dernière particularité des Polyptères est la présence de deux poumons, ventraux au tube digestif, et irrigués par deux artères pulmonaires issues de la sixième paire d’arcs aortiques. Par ce caractère, les Polyptères semblent se rapprocher des Dipneustes et ne peuvent être classés dans le super-ordre des Chondrostéens, dont les représentants possèdent une vessie natatoire de type physostome, irriguée par une artère vesicale issue de l’aorte. Selon A. S. Romer, les Ostéichthyens de l’ère primaire possédaient à la fois branchies et poumons. Les poumons ont subsisté chez les Dipneustes et chez les Crossoptérygiens (ainsi que chez leurs descendants les Tétrapodes), mais ils se seraient transformés chez les Actinoptérygiens en un organe hydrostatique, la vessie natatoire. La présence de poumons chez les Polyptères milite en faveur d’un isolement très précoce de ce groupe au sein des Actinoptérygiens primitifs. Enfin, un dernier argument en faveur de cette thèse concerne la structure du télencéphale des Polyptères : il est éversé comme celui de tous les Actinoptérygiens et diffère profondément de celui des autres Poissons osseux.
On sait encore peu de choses de la reproduction des Polyptères, bien qu’on ait réussi à l’obtenir en aquarium. Les larves, à l’éclosion, possèdent des branchies externes, analogues à celles qu’on observe chez les Dipneustes.
Les Polyptères se rencontrent dans les eaux calmes, peu profondes et riches en végétaux, des zones équatoriales et subéquatoriales, jusques et y compris dans le Nil, où le premier exemplaire de ce groupe fut décrit par Geoffroy Saint-Hilaire lors de la campagne d’Égypte. Ils sont capables de monter en surface pour gober de l’air — en particulier lorsque la teneur de l’eau en oxygène est insuffisante —, mais il ne semble pas que les fonctions respiratoires de leurs poumons soient importantes, vu leur structure peu alvéolée et leur irrigation restreinte. Les Calamoichthys, limités à l’espèce unique C. calabaricus, ont un corps cylindrique dépourvu de pelviennes ; ils vivent dans les plaines côtières de l’Afrique équatoriale.
R. B.
J. Daget, « Sous-classe des Brachioptérygiens », dans Traité de zoologie, sous la dir. de P.-P. Grassé, t. XIII, fasc. 3 (Masson, 1957). / A. S. Romer, The Procession of Life (Londres, 1968).