Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Pologne (suite)

Une société originale, tournée vers l’Occident


Une démocratie populaire catholique : l’État et l’Église

L’aménagement d’un modus vivendi entre la puissante Église catholique romaine de Pologne et un État qui s’inspire de principes marxistes a été délicat pour des raisons d’ordre politique (ingérence de l’U. R. S. S., attitude du Vatican). L’accord de 1950 entre l’épiscopat et le gouvernement avait reconnu à l’Église une sorte d’autonomie et la liberté d’enseignement, sans lui épargner les attaques de l’ère stalinienne. La lutte de l’État contre l’Église culmina avec l’internement du cardinal-primat Wyszyński (1953-1956).

Le tournant de l’automne 1956 a permis un nouvel accord, et la lutte s’est réduite, depuis, à la petite bataille des tracasseries mutuelles, la commission mixte exerçant une influence modératrice. La vigueur de la foi, le rôle socio-culturel de l’intelligentsia catholique (édition, presse, université de Lublin), la puissance et l’habileté des chefs et des organisations catholiques forment un des aspects les plus originaux de la société polonaise. La crise de 1970-71 a montré combien les dirigeants communistes tiennent compte de ce facteur psychosociologique. L’Église a répondu positivement à l’appel des dirigeants à l’unité de la nation. Ses efforts pour obtenir du Vatican la reconnaissance formelle des diocèses polonais des « régions recouvrées » ont enfin abouti (oct. 1972) ; de son côté, l’État lui a rendu dès 1971 les biens ecclésiastiques de ces territoires. Le rétablissement des rapports diplomatiques avec le Vatican et les pourparlers en vue d’un nouveau concordat (nov. 1973) ne désarment pas la vigilance de l’Église face à la sollicitude offensive du parti pour la formation idéologique des jeunes.


La politique étrangère : une certaine liberté de manœuvre

Le caractère fondamental et intangible du traité d’amitié et de coopération avec l’U. R. S. S. (d’avril 1945 renouvelé en 1965) et la présence de troupes soviétiques en Pologne déterminent toute la politique étrangère du pays, liée à celle de l’U. R. S. S.

C’est ainsi que la Pologne décline en 1947 l’aide du plan Marshall, devient en 1949 membre du Comecon, et en 1955 adhère au « pacte de Varsovie ». Le « plan Rapacki » concernant la dénucléarisation de l’Europe centrale (1957) constitue une initiative autonome polonaise dans les rapports internationaux. La Pologne n’a cessé d’œuvrer pour une conférence internationale de sécurité européenne.

Pendant vingt-cinq ans, l’essentiel de ses efforts tend à garantir sa frontière occidentale, et la naissance de la République démocratique allemande a pour elle une importance capitale dans la mesure où le traité signé avec elle en août 1950 confirme la frontière polono-allemande définie à Potsdam. Le soutien soviétique lui permet de négocier finalement la reconnaissance de cette frontière par la République fédérale d’Allemagne : le traité de Varsovie (déc. 1970), ratifié en 1972, ouvre la porte à une coopération économique, car le renforcement constant des liens avec l’U. R. S. S. et les autres voisins socialistes n’entrave plus, dans le contexte international, la volonté affirmée d’ouverture vers l’Occident, symbolisée par les rencontres en 1972 d’E. Gierek avec les présidents Nixon (à Varsovie) et Pompidou (à Paris). La déclaration d’amitié traditionnelle franco-polonaise signée en 1970 est doublée en 1972 d’un accord de coopération économique, scientifique et technique conclu pour dix ans. Parallèlement, la Pologne développe ses relations avec le tiers monde.

La réalisation des objectifs ambitieux du plan 1971-1975 est liée au développement du commerce extérieur, encore déficitaire en dépit de progrès certains : une insertion accrue dans la division internationale du travail, à l’Est comme à l’Ouest, doit rentabiliser l’économie, et la Pologne vise avec succès les marchés de pays en voie de développement.


Les grandes étapes de l’évolution politique

L’évolution du régime communiste polonais se caractérise depuis 1953 par la vitalité de l’opposition intellectuelle et la maturité de la classe ouvrière, dont les revendications débordent le cadre économique pour s’étendre aux structures politiques du régime. Par deux fois, en 1956 et 1970, la révolte armée de la « base » a obligé le parti à réviser sa politique dans les limites compatibles avec l’amitié soviétique.

La mort de Staline détermine Bierut à desserrer la rigueur du régime maintenu par son équipe. Cette détente contrôlée permet à l’intelligentsia communiste de réclamer du parti, avec le poète A. Ważyk, « la simple vérité, pain de la Liberté » (Poème pour Adultes, été 1955). Le XXe Congrès du parti soviétique, au cours duquel Bierut meurt à Moscou (mars 1956), intensifie l’agitation réformiste. Les jeunes intellectuels « léninistes » groupés autour de l’hebdomadaire Po prostu et les ouvriers de l’usine d’automobiles de Zerań (Varsovie) lient l’« espoir d’un véritable socialisme » aux conseils ouvriers, tandis que le mécontentement populaire éclate dans la sanglante révolte de Poznań du 28 juin 1956. Les libéraux et les centristes du parti, dirigés par Edward Ochab (premier secrétaire du Comité central de mars à octobre 1956) et Józef Cyrankiewicz (président du Conseil des ministres de 1954 à 1970) recourent habilement au prestige de Gomułka pour conjurer les risques d’une insurrection à la fois antisoviétique et anticommuniste. L’unanimité nationale de l’« Octobre polonais » (1956) fait de Gomułka, élu premier secrétaire du Comité central, pour un temps le symbole de la démocratisation du régime.

Il obtient le départ des « conseillers » soviétiques, l’annulation de la dette polonaise de 2 milliards de roubles en compensation de l’exploitation par l’U. R. S. S. de l’économie polonaise, une diplomatie plus autonome. Mais, homme d’appareil, Gomułka se coupe peu à peu de la société ; la gestion dogmatique de son équipe ne résout ni les problèmes de productivité ni ceux du niveau de vie. En mars 1968, la révolte des intellectuels est vite réprimée. Mais le hiatus croissant entre la réalité sociale et le pouvoir aboutit au soulèvement sanglant de décembre 1970 sur la côte de la Baltique : les manifestations révolutionnaires, déclenchées par la hausse administrative des prix, mettent fin au pouvoir de Gomułka et de ses collaborateurs et obligent la nouvelle équipe, venue au pouvoir, à annuler les mesures économiques décrétées par lui.

À la tête de cette nouvelle équipe, plus jeune, issue du courant « technocratique » du parti, se trouve un Silésien : Edward Gierek (né en 1913), qui a longtemps travaillé et milité en France et en Belgique. Ingénieur des houillères, il jouit d’une réputation de bon gestionnaire.