Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Pologne (suite)

Le martyre de la Pologne (1939-1945)


L’anéantissement voulu d’un peuple

Surprise en cours de mobilisation, en dépit d’une résistance farouche, l’armée polonaise est submergée par l’envahisseur, qui engage dans ce premier « Blitzkrieg » 85 p. 100 de son potentiel militaire. Atteinte le 8, écrasée sous les bombes, Varsovie est défendue par l’armée et la population civile jusqu’au 27 septembre. Mais le 17 les troupes soviétiques ont occupé la Pologne orientale pour « protéger les populations ukrainiennes et biélorusses », internant les militaires, déportant des milliers de civils ; le même jour, le gouvernement et le haut commandement se réfugient en Roumanie. Les derniers combats cessent le 5 octobre, au nord de Gdynia. La frontière entre l’U. R. S. S. et le Reich est établie sur le Bug (28 sept.) et correspond en gros à la ligne Curzon. Après une consultation populaire, l’U. R. S. S. intègre les zones annexées aux républiques soviétiques d’Ukraine et de Biélorussie. Dès le 8 octobre, les territoires ayant appartenu à l’Allemagne avant 1918 et la région industrielle de Łódź sont incorporés au Grand Reich (Gau de Dantzig - Prusse-Occidentale et Gau de Wartheland) ; le reste, dont Varsovie, forme un Gouvernement général, avec Cracovie pour capitale, administré par Hans Frank, qui relève directement de Hitler. Une fois encore, la Pologne a cessé d’exister : les nazis proclament que le peuple polonais, de par son appartenance à l’humanité inférieure, est l’esclave du IIIe Reich et entreprennent l’extermination systématique des cadres de la nation. Les « territoires incorporés », avec leurs 9,5 millions d’habitants, sont soumis à une germanisation radicale : Himmler organise les expropriations et les expulsions massives qui doivent débarrasser ces régions de la masse des Polonais « irrécupérables » qui y subsistent à titre précaire, comme « personnes protégées » (sujettes) soumises à une discrimination avilissante. L’instruction, l’exercice public du culte, toute forme de culture sont interdits ; 800 000 colons allemands y sont amenés des pays baltes soviétisés et de Bessarabie, tandis qu’un million de Polonais sont refoulés vers le Gouvernement général ; des milliers d’autres, parqués dans des camps ou déportés en Allemagne ; la population juive est rassemblée dans les ghettos, qui sont fermés au milieu de 1940 ; son extermination systématique commence en décembre 1941 et provoque l’insurrection et l’anéantissement du ghetto de Varsovie (avr.-mai 1943). Le statut du Gouvernement général et de ses 12 millions d’habitants demeure assez confus au milieu des divergences qui opposent les dignitaires nazis sur l’avenir de l’Europe orientale ; l’administration du territoire rappelle un peu le protectorat de Bohême-Moravie, avec un gouvernement organisé en services jouant le rôle de ministères, des districts, une police auxiliaire (Sonderdienst) recrutée parmi les habitants d’origine allemande, un service du travail (Baudienst) affectant les hommes de dix-huit à soixante ans. En novembre 1942, Himmler entame la « colonisation » (localisée) du Gouvernement général : expulsions massives et pacification de la région de Zamość. Le « plan général pour l’est » (Generalplan Ost) prévoit le transfert de tous les Polonais en Sibérie, une fois l’U. R. S. S. vaincue. En attendant, la terreur se fait plus implacable et couvre la Pologne de camps de concentration et d’extermination : Chełmno, Auschwitz (Oświęcim), Bełżec, Treblinka, Majdanek... 5 850 000 citoyens polonais dont plus de 3 millions de Juifs périssent dans ces camps ou sont victimes d’exécutions massives.


Une résistance incoercible

Dès la défaite de septembre 1939, les débris de l’armée entrent dans la clandestinité ou gagnent la France, où un gouvernement régulier formé par le général Władysłav Sikorski (1881-1943), qui s’établit ensuite à Londres, reconstitue une armée nationale, aussitôt engagée en Occident (Narvik, bataille d’Angleterre, Tobrouk). Il obtient de Staline la formation en U. R. S. S. d’une seconde armée, recrutée parmi les internés et confiée au général Władysław Anders (accord soviéto-polonais, 14 août 1941) ; elle s’illustre au Moyen-Orient et en Italie (monte Cassino, Ancône). En Pologne même, le « gouvernement de Londres » s’appuie, par sa « Délégation », sur le Conseil d’unité nationale formé par les partis hostiles au « régime des colonels », qui organisent un véritable État clandestin avec des tribunaux, des écoles secondaires et des universités, une presse et des forces armées rassemblées en février 1942 dans l’« Armia Krajowa » (AK : « armée de l’intérieur »), d’une puissance et d’une efficacité impressionnantes (300 000 hommes en 1944). Elle multiplie les sabotages, les coups de main et « liquide » 5 733 fonctionnaires nazis (exécution du général Kutschera). Après juin 1941, la résistance devient plus complexe. Le parti communiste est reconstitué en janvier 1942 sous le nom de parti ouvrier polonais (Polska Partia Robotnicza, PPR) par M. Nowotko, P. Finder et W. Gomułka* ; au printemps, il oppose à l’occupant ses premiers « gardes populaires », qui seront transformés en 1944 en « Armia Ludowa » (AL : armée populaire). La méfiance réciproque de ces deux grands courants de la résistance se transforme en hostilité déclarée après la découverte de la fosse de Katyn et la mort de Sikorski (juill. 1943), remplacé par le leader du parti paysan Stanisław Mikołajczyk (1901-1966). Sur la droite de l’AK, le nouveau réseau des « Forces armées nationales » (NSZ) consacre dès lors toutes ses forces à la « lutte contre le bolchevisme », tandis qu’il devient évident que la Pologne sera libérée par l’Est.


Entre Londres et Moscou

Ayant rompu avec le gouvernement polonais de Londres (26 avr. 1943), Staline fait recruter parmi les Polonais épars en U. R. S. S. la division « Kościuszko » et donne son appui au Conseil national du peuple (Krajowa Rada Narodowa, KRN), organisé à Varsovie par les communistes et leurs sympathisants (1er janv. 1944). Dès que la division « Kościuszko », devenue 1er corps d’armée polonaise, libère Lublin aux côtés de l’armée rouge, le Conseil national du peuple constitue avec l’« Union des patriotes polonais » de Moscou un gouvernement provisoire : le Comité polonais de libération nationale (22 juill. 1944, date actuelle de la fête nationale), qui proclame une réforme agraire radicale et la nationalisation de l’industrie, appliquées derrière les armées libératrices. L’insurrection de Varsovie, déclenchée le 1er août 1944 par le général Bór-Komorowski, chef de l’AK, critiquée et peu soutenue par l’U. R. S. S., est écrasée après soixante-trois jours de terribles combats, ce qui achève de séparer les communistes et le gouvernement de Londres, qui refuse le compromis négocié à Moscou par Mikołajczyk. Celui-ci démissionne (nov. 1944) et est remplacé par le socialiste Tomasz Arciszewski (1877-1955).