Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Pologne (suite)

1648-1660 : « Le Déluge » (potop)

Succédant alors à son frère, Jean II Casimir (1648-1668) ne peut conjurer les périls. Alliés d’abord aux Turco-Tatars (1648-1651), les Cosaques se placent sous l’autorité du tsar (1654), qui envahit la Biélorussie et la Lituanie ; les Suédois conquièrent la presque totalité du pays grâce à la trahison des nobles et aux sympathies des dissidents (1655). Un sursaut populaire, national et religieux — marqué par la résistance victorieuse du monastère Jasna Góra de Częstochowa — et l’intervention d’autres puissances libèrent le pays.


1660-1668 : triste bilan

La Suède garde la Livonie (paix d’Oliwa, 1660), la Pologne doit céder à la Russie Smolensk et la rive gauche du Dniepr (paix d’Androussovo, 1667).

Le pays est couvert de ruines : Wilno incendiée, Varsovie trois fois pillée, aucune ville n’a échappé à l’ennemi, excepté Lvov. La population a diminué de 30 p. 100, les champs sont en friches, l’exportation des grains par Gdańsk s’est effondrée : 200 000 t par an en 1618, 110 000 t en 1651, 1 980 t en 1659. Ruinée, incapable de reconstruire ses domaines, la moyenne noblesse entre au service des magnats. L’application à partir de 1652 du liberum veto, par lequel un opposant peut « rompre la diète », annulant ce qu’elle a décidé dans sa session, ouvre la voie à une complète anarchie. L’opposition violente des nobles torpille toutes les tentatives du roi pour raffermir le pouvoir monarchique (fronde de Jerzy Sebastian Lubomirski, 1665-1666) : désabusé, Jean II Casimir abdique en 1668.


La décadence (1668-1763)


1669-1696 : vains fracas de victoires éclatantes

Traumatisée par tant d’invasions et d’intrigues étrangères, la noblesse choisit un roi dans ses rangs : au médiocre Michel Korybut Wiśniowiecki (1669-1673) succède un grand capitaine, Jean III* Sobieski (1674-1696). Ce dernier repousse les Turcs et se couvre de gloire en les contraignant à lever le siège de Vienne (1683). Mais ce rôle épuisant de « rempart de la Chrétienté » joué par son pays accélère un déclin qui constitue un fait unique en Europe.


1696-1763 : « la Pologne tient bon par l’anarchie »

L’affaiblissement de la Pologne coïncide avec la formation à ses frontières de puissants États absolutistes qui, par la corruption et l’intervention armée, disposent de son trône.

• 1697-1733 : l’électeur de Saxe Auguste II le Fort, imposé par le tsar et chassé par Charles XII* de Suède au profit de Stanislas Ier* Leszczyński (1704-1709), rentre à Varsovie grâce à Pierre le Grand.

• 1733-1736 : la guerre de la Succession de Pologne se termine par la défaite de Leszczyński, candidat de la France, face à Auguste III (1733-1763), qu’a appuyé l’armée russe.

• 1736-1763 : la noblesse affiche des opinions antimilitaristes et pacifistes (depuis 1717, l’armée est réduite à 24 000 hommes). La Pologne reste désormais neutre, mais les belligérants la traite en « auberge de passage ». L’« anarchie polonaise » érigée en système d’État est garantie par les puissances, qui veillent à ce qu’aucune d’elles ne s’agrandisse aux dépens de la « République royale ».


Régression économique, sociale et culturelle

En Pologne, fait alors exceptionnel, la proportion des paysans dans la population totale s’accroît aux dépens des autres classes sociales et surtout de la bourgeoisie (65 p. 100 au xvie s., 75 p. 100 au xviiie s.). La mainmise quasi totale de la noblesse terrienne sur le commerce extérieur contribue au déclin des villes. Varsovie, la capitale, ne compte que 40 000 habitants. Le trafic de Gdańsk reste très inférieur à sa valeur d’avant le Déluge. L’artisanat et l’extraction minière sont à l’abandon. Le paysan libre a pratiquement disparu, et les corvées accaparent quatre à six jours par semaine : la paupérisation des masses entretient famines et épidémies. Les notions de noble, de catholique, de polonais se fondent : les guerres contre les Suédois et les Turcs ont forgé un fanatisme implacable. La noblesse n’a que mépris pour l’instruction et se retranche dans le « sarmatisme » (chauvinisme rétrograde empanaché de faste oriental). L’obscurantisme et l’intolérance règnent au nom de la supériorité du mode de vie de la nation « la plus ancienne d’Europe ».


Des forces de renouveau

• Vers 1740, un redressement économique s’amorce.

• 1740 : le père Stanisław Konarski, de l’ordre des Piaristes, fonde le Collegium nobilium de Varsovie et réforme dans le même esprit moderne et civique toutes les écoles pies du pays. Son exemple est suivi par les Jésuites.

Une élite intellectuelle, en relations suivies avec l’Occident, médite aux moyens de relever le pays : parmi elle la puissante « famille » des Czartoryski et des Poniatowski.


Réveil de la nation. Mort de l’État (1764-1815)


1764-1772 : tentatives de réformes sous la tutelle russe

Le dernier roi, Stanislas II* Auguste Poniatowski (1764-1795), doit son élection à Catherine II* de Russie. Patriote sincère, il entreprend résolument de moderniser le pays et se heurte à sa protectrice. D’accord avec la Prusse, la Russie est décidée à « tenir la Pologne en léthargie ». L’appui effectif de l’armée russe (1766-1768) permet à l’opposition conservatrice de sauver les principes anarchiques dont meurt le pays (liberum veto, élection royale). Mais la brutalité de cette intervention rejette ses éléments patriotes dans la Confédération de Bar (1768-1772), dirigée contre la Russie et contre le roi et soutenue par la France (Rousseau et Mably mettent leur plume à son service). L’impossibilité de pacifier le pays décide Catherine II à en accepter le partage partiel (1772) : la Russie, la Prusse et l’Autriche enlèvent à la Pologne 210 000 km2 et 4,5 millions d’habitants.

Alors, les patriotes et le roi, réduit par la tsarine au rôle ingrat de souverain protégé, mettent leurs espoirs dans une « révolution de l’instruction » et le triomphe de l’esprit des lumières.