Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Pologne (suite)

Le triomphe politique de la szlachta et sa fragilité

La masse tumultueuse et peu cultivée de la szlachta craint tout ce qui rappelle l’absolutisme. Oscillant entre le trône et les magnats, elle saisit toutes les occasions pour limiter le pouvoir du roi et surtout rabaisser l’aristocratie laïque et ecclésiastique (1557, fin des immunités fiscales). L’extinction des Jagellons lui permet de soumettre à la diète le roi désormais électif. Dirigée par Jan Zamoyski (1542-1605), elle parvient pendant l’interrègne, à obtenir que tous les nobles participent directement à l’élection royale et votent par acclamations. Elle impose à Henri de Valois (futur roi de France Henri III) les pacta conventa qui stipulent un contrôle rigoureux du pouvoir royal (1573). Le roi Henri s’étant enfui de Cracovie, dès 1574 elle le remplace par le prince de Transylvanie Étienne Ier Báthory (Stefan Bátory) [1576-1586], dont les tendances absolutistes accentuent son caractère ombrageux. Elle sait encore « émousser » les opposants pour sauvegarder le principe de l’unanimité du vote à la diète. Mais la puissance économique des magnats, décuplée par l’Union de Lublin, modifie le rapport des forces au détriment de la moyenne noblesse.


La civilisation de la Renaissance

L’épanouissement artistique du règne de Sigismond Ier le Vieux coïncide avec le triomphe de l’humanisme et un exode massif vers les universités étrangères. Jan Zamoyski persuade Étienne Báthory d’ériger en université le collège jésuite de Wilno (1578) ; lui-même en fonde une dans la ville de Zamość (1594). Le nombre d’écoles paroissiales double, et le quart de la population masculine sait lire et écrire. Le nombre très élevé d’imprimeries accroît la diffusion de la culture. L’âge d’or de la République romaine fascine la szlachta et propage le culte du latin classique. Mais les dissidents introduisent la langue polonaise dans leurs écoles (académie de Pińczów) ; depuis 1543, les constitutions de la diète sont rédigées en polonais ; les débats de la Réforme l’introduisent dans la théologie. Fondée par Mikołaj Rej, qui le premier veut n’écrire qu’en polonais, une littérature nationale s’affirme avec éclat dans la seconde moitié du siècle — le « Siècle d’or » — avec Jan Kochanowski*, grâce auquel l’assimilation parfaite de l’Antiquité devient un aspect essentiel de la tradition polonaise. La réflexion critique appliquée aux problèmes religieux, politiques et sociaux suscite une riche littérature dominée par l’œuvre capitale de A. F. Modrzewski.


L’« asile des hérétiques »

Un esprit de tolérance sans exemple en Europe épargne à la Pologne les guerres de Religion. Le luthéranisme prêché en Poméranie et en Grande Pologne dès 1518 ne trouve qu’une audience limitée, à cause de son origine germanique et de sa subordination au pouvoir du prince. Une élite vénère Érasme. Après 1540, le calvinisme conquiert les représentants les plus instruits et politiquement les plus actifs de la szlachta, car il corrobore ses choix. Seule la Mazovie restera protégée par son inculture : en 1554, la majorité des 20 à 25 p. 100 de nobles dissidents est calviniste. Ils dirigent le mouvement « exécutif » (réforme des institutions) et mènent la Chambre des nonces. Les « frères Polonais » propagent la doctrine antitrinitaire venue d’Italie (catéchisme de Raków), et la Pologne est, avec la Transylvanie, le seul asile des sociniens. En 1563, la diète interdit l’exécution des sentences des tribunaux ecclésiastiques par l’État. Les incertitudes de l’interrègne déterminent le vote de la Confédération de Varsovie (1573), qui proclame la paix religieuse et la liberté absolue de conscience. Elle est incluse dans les pacta conventa. Mais l’Église romaine se ressaisit et se réforme elle-même sous l’impulsion de Stanislaus Hosius (Stanisław Hozjusz), évêque de Warmie, auteur de la célèbre Confessio fidei catholicae christianae (1557) et cardinal-légat au concile de Trente. Les Jésuites, qu’il introduit en 1564, opposent à la Réforme l’éloquence de Piotr Skarga (1536-1612) et prennent en main la jeunesse noble. Dès la fin du siècle, soutenu par la royauté, le catholicisme a reconquis la plus grande partie du terrain. En 1596, l’Union de Brzesć (Brest) étend l’autorité du pape aux Ruthènes uniates, qui conservent le rite grec : l’orthodoxie devient le fleuron des libertés cosaques.


Ambitions excessives et grands désastres (1586-1667)


1586-1648 : le tournant de la République

Avec la dynastie suédoise des Vasa, la République vit sur le prestige acquis et édifie encore la « plus grande Pologne ». Mais son étendue même la rend vulnérable, et les ambitions dynastiques de Sigismond III Vasa (1587-1632) accumulent les menaces.

• Des guerres ruineuses et impopulaires avec la Moscovie (1610-1618), qui rend Smolensk et Tchernigov (1619), avec les Turcs (1620-21) et surtout avec la Suède (1600-1629), qui s’empare de la Livonie maritime.

• La réaction catholique : le roi écarte les dissidents des affaires publiques ; la Contre-Réforme triomphe dans les villes, elle se gagne l’aristocratie et pourra dès 1638 persécuter les frères Polonais.

• Une grave crise politique (1606-1609) : le rokosz de Mikołaj Zebrzydowski (1553-1620) oppose l’insurrection légale, prévue par les pactes d’élection, aux efforts déployés par la Cour pour établir la monarchie absolue et héréditaire.

• Le triomphe des magnats : étendant leurs domaines, leur richesse, leur influence, ils s’érigent en défenseurs de la « liberté d’or ». Ils dépossèdent l’État de ses fonctions (armées des « roitelets » de l’est) ou les font transférer aux diétines (décentralisation fiscale), asservies à leurs desseins par une clientèle de hobereaux faméliques, campés de façon savoureuse dans les Mémoires de Jan Chryzostom Pasek.

• 1632-1648 : Ladislas IV Vasa ramène une paix honorable, mais l’extension systématique du servage en Ukraine au profit d’une nouvelle aristocratie polonisée (Wiśniowiecki, Ostrogski) provoque la révolte des Cosaques Zaporogues conduits par Bohdan Chmielnicki, ou Khmelnitski (1648), qui soulève les masses populaires.