Pollock (Jackson) (suite)
Dans la création de cette mythologie personnelle, il n’y a que très peu d’implications philosophiques : ce sont plutôt les propriétés expressives des formes dans lesquelles il concentre ses pulsions agressives qui intéressent l’artiste. Progressivement, il tente de perfectionner son écriture par l’intermédiaire du geste automatique. Dans les grandes toiles « all over » de 1946-47, telles que Yeux dans la chaleur (1946, fondation P. Guggenheim, Venise), tout élément figuratif est abandonné, la surface entière étant envahie d’un enchevêtrement de lignes tracées en pleine pâte. En 1947, dans des œuvres comme Cathédrale (musée de Dallas), il inaugure la technique du « dripping », qui consiste à peindre avec des boîtes de fer-blanc percées de trous par où s’écoule la peinture, mais aussi avec des bâtons le long desquels la couleur glisse en lignes fluides. Entièrement nouvelle, sa façon de procéder va devenir légendaire : il ne peint plus sa toile sur chevalet, il l’étend sur le sol afin d’entrer dans sa peinture à force de tourner autour d’elle et de l’attaquer sous plusieurs angles. La toile devient un champ d’action où l’artiste, dans un état de transe violent, poussé par des impulsions émotives, se projette par l’intermédiaire du geste et du signe. Ce type de travail, qui met l’accent sur l’acte même de peindre, fut dénommé action painting par le critique d’art Harold Rosenberg. Ainsi, dans les chefs-d’œuvre « drip » qui se succèdent de 1947 à 1951, tels Numéro un (1949, coll. Arthur Cinader, New York), Un (1950, coll. Ben Heller, New York), Numéro 28 (1950, coll. Mrs. A. H. Newman, Chicago), la toile tout entière est animée d’un réseau inextricable de taches, d’éclaboussures, de lignes en tourbillon rythmé, faisant éclater les limites du tableau et nécessitant progressivement des dimensions monumentales qui happent littéralement le spectateur. Un nouveau type d’espace ouvert naît ainsi de cette invention de la composition « all over », qui ne privilégie aucun point particulier du tableau et rompt totalement avec l’organisation spatiale usuelle en plans nettement définis. Non seulement Pollock ouvrait ainsi la voie aux tendances abstraites des années 50 et 60, mais il fut, parmi les peintres de l’expressionnisme* abstrait, celui qui alla le plus loin dans l’exploration des possibilités expressives de la ligne.
H. H.
F. O’Connor, Jackson Pollock (Greenwich, Connect., 1967). / I. Tomassoni, Pollock (Florence, 1968 ; trad. fr., Arts et métiers graphiques, 1969).