Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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politique (science) (suite)

Les problèmes de la science politique


Le retard de la science politique

D’un débat introduit par Serge Hurtig devant l’Association française de science politique en 1969, il résulte qu’en France le problème n’est plus de créer la science politique, mais bien de la développer pour lui permettre d’éviter la prépondérance des pays anglo-saxons.

L’époque est certes révolue où la science politique française pouvait apparaître comme une science sans adeptes, sans moyens, sans contenu. Des spécialistes de très grande valeur, comme M. Prélot, G. Burdeau, M. Duverger, R. G. Schwartzenberg, etc., des instituts et des revues, des « réussites remarquables » (le mot est de R. Aron) comme la sociologie électorale*, attestent de l’existence d’une science politique française. Mais la préférence des politicologues français pour l’enseignement au détriment de la recherche, l’insuffisance de l’équipement, qui reste à un niveau très inférieur à celui de pays comme la Grande-Bretagne et l’Allemagne (surtout pour les crédits d’enquêtes et de recherches), le « francocentrisme » des recherches et le retard méthodologique qui gênent l’exploration de nombreux domaines contribuent sans aucun doute à maintenir la science politique française dans l’« état infantile » qu’a dénoncé Georges Lavau.


La « faillite » de la science politique ?

Constatant la « faillite » de la science politique révélée par son incapacité à prévoir les crises et conflits des années 60, certains politicologues américains remettent radicalement en cause l’utilité de leur discipline et s’interrogent : la science politique, pour quoi faire ?

Par la prise en considération des données psychologiques constitutives du political behavior (comportement politique) et l’élaboration de théories à partir de la quantification rigoureuse de connaissances, le mouvement béhavioriste a certes permis le développement prodigieux de la science politique des années 1950. Mais, traditionnelle ou béhavioriste, la science politique est « mystificatrice » (pour reprendre le terme de M. Duverger). Privilégiant l’aspect intégrateur de la politique, elle fournit aux élites de la société, et à elles seules, des moyens d’atteindre leurs buts sans s’interroger sur la valeur de ces buts.

Pour les tenants du mouvement postbéhavioriste, leur discipline doit accomplir sa « révolution ». La science politique ne doit plus en effet se contenter de décrire le passé (approche traditionnelle) ou de perfectionner ses outils d’investigation (approche béhavioriste), elle doit servir les vrais besoins de l’humanité, tenter de résoudre les problèmes actuels, devenir efficace. Contemplative jusque-là, la science politique se veut maintenant science d’action. Et, rejetant la distinction qu’avait cru pouvoir établir un Max Weber entre le savant et le politique, les politicologues américains revendiquent le droit et la responsabilité d’utiliser leur discipline pour réformer la société.


Le développement harmonieux de la science politique

Pourtant, les crises de la science politique ne sont pas inévitables, ses problèmes ne sont pas insolubles, comme le prouve la Suède, où le développement harmonieux de la science politique peut s’expliquer par le poids d’une longue tradition : dès 1622, une chaire de « rhétorique et politique » est créée à Uppsala, où enseigne sans doute le premier professeur de science politique du monde. Et la statskunskap (science politique) devient une discipline universitaire, indépendante avant tout autre sujet de sciences sociales. La part importante prise à la vie politique par les professeurs de science politique, il y a quelque cinquante ans, et l’aide financière de l’État expliquent l’importance de la science politique appliquée et les nombreux domaines abordés par une recherche politique qu’aucun heurt majeur n’est venu troubler.

Ces controverses, ces crises, ces contestations ne sont-elles pas en définitive la preuve de la vitalité d’une science qui s’estime assez forte désormais pour refuser le confort des méthodologies définitives et le refuge des théories totales ? Affirmant son existence, sans nier ses besoins (ni sa capacité) de progrès, la science politique est loin d’être « moribonde » (J. Attali). Et sa plus grande réussite est peut-être que, visant l’homme dans la polis élargie aux dimensions du monde, elle permette à ceux qui la servent de dire, comme A. Grosser, malgré les échecs et les erreurs, leur « joie de toucher à l’essentiel », grâce à elle...

F. S.

➙ Économique (science) / État / Juridiques (sciences) / Politique (sociologie).

 C. Schmitt, Der Begriff des Politischen (Munich, 1932, nouv. éd., Berlin, 1963 ; trad. fr. la Notion de politique, Calmann-Lévy, 1972). / G. Burdeau, Traité de science politique (L. G. D. J., 1949-1958 ; nouv. éd., 1966-1972 ; 7 vol.). / M. Duverger, Méthodes de la science politique (P. U. F., 1959) ; Introduction à la politique (Gallimard, 1964) ; Sociologie de la politique (P. U. F., 1973). / M. Prelot, la Science politique (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1961 ; 4e éd., 1969) ; Sociologie politique (Dalloz, 1973). / M. D. Coplin (sous la dir. de), Simulations in the Study of Politics (Chicago, 1968). / H. Maier, Politische Wissenchaft in Deutschland (Munich, 1969). / P. Birnbaum et F. Chazel (sous la dir. de), Sociologie politique (A. Colin, coll. « U 2 », 1971). / A. Grosser, l’Explication politique (A. Colin, 1972). / J. W. Lapierre, l’Analyse des systèmes politiques (P. U. F., 1973). / P. Birnbaum, le Pouvoir politique (Dalloz, 1975).

politique (sociologie)

Il est devenu classique de faire précéder l’analyse des différents chapitres de la sociologie politique d’une réflexion qui porte sur les relations qu’entretiennent science politique* et sociologie politique.