Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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politique (science) (suite)

Nature de la science politique

Apparemment tranché à l’heure actuelle, le débat sur l’existence de la science politique fut le centre des préoccupations des spécialistes de la première partie du xxe s.


Une science laminée

L’apparition et la spécialisation de nouvelles disciplines ont fait perdre à la science politique son unicité ! Il n’y a plus de science politique, mais bien des sciences politiques : c’est la conception qui semble triompher en France avec la création, dès 1872, de l’« École libre des sciences politiques », à l’inverse des pays anglo-saxons, qui conservent à la political science son véritable nom.

Ces sciences politiques, qui ont supplanté la science politique, sont l’économie, qui, s’étant séparée de la politique, place les forces économiques au rang des pouvoirs politiques avant de s’affirmer économie politique, la sociologie, qu’A. Comte proclame première science de l’humanité et qui sous le nom de « sociologie politique » étudie la politique comme un fait social collectif, la géopolitique, que Friedrich Ratzel fonde sur le déterminisme du sol, le droit public qui, sous l’impulsion des juristes allemands de la fin du xixe s., finit par absorber la politique. Chaque science peut se déclarer « politique » et tend à le faire, car, comme l’a montré Francesco Vito, « les sciences progressent dans la mesure où elles se particularisent ».

En fait, cette spécialisation, qui enrichit incontestablement chacune des sciences politiques par l’éclairage nouveau qu’elle leur apporte, aboutit à supprimer l’existence de la science politique générale. En effet, qu’elle soit réduite à ce qui n’a pas encore été attiré par chacune de ces sciences diverses, comme le veut la théorie du résidu, ou qu’elle soit le point de rencontre de ces disciplines, comme le prônent les partisans de la théorie du carrefour, la science politique, en tant que telle, est appelée à voir son domaine régresser au fur et à mesure des progrès des autres sciences ou, au moins, à perdre toute possibilité d’extension. En la vidant de sa substance, la spécialisation fait disparaître la science qu’elle prétendait faire progresser, une science laminée par des disciplines voisines.


Une science complémentaire

Pour d’autres auteurs, la science politique existe comme discipline, mais à titre secondaire : elle est la science de complément de disciplines plus importantes qui lui apportent leur appui.

Cette conception découle directement de la formation des adeptes de la science politique. Comme l’a noté Raymond Aron* : « La science politique a été soit le violon d’Ingres de spécialistes d’autres disciplines, soit le fait d’amateurs. » Tout se passe comme si ces spécialistes, incertains des possibilités de la science politique, avaient peur de quitter le support que leur apporte leur propre science, reconnue comme telle, pour s’engager totalement dans une discipline dont le domaine reste à définir.

À la limite, il existe moins, dans cette optique, une science politique qu’un « point de vue » de science politique destiné à enrichir les autres sciences : sociologie, histoire, géographie... Une telle conception présente le risque de voir supplanter la science politique par la science de référence : ainsi en témoignent les excès de certaines écoles américaines qui, en expliquant tous les phénomènes politiques par la seule évolution économique ou en déniant toute importance aux structures politiques au profit du seul comportement, aboutissent à la disparition des phénomènes politiques comme phénomènes particuliers et, par là, à celle de la science politique ; mais le plus souvent, la science politique a réalisé, grâce aux méthodes apportées par les sciences d’appui, des progrès si considérables qu’elle est devenue en fait la science principale.

L’exemple du droit montre bien celle évolution. Étudié dans la perspective de science de référence, le droit, comme approche de la science politique, permet d’éclairer le rôle majeur des institutions et des règles dans la création et l’évolution des phénomènes politiques. Inversement, en apportant au juriste un point de vue qui privilégie les facteurs de la vie politique, la science politique permet d’enrichir la vision purement statique donnée par l’approche juridique traditionnelle. C’est, en France, Adhémar Esmein* qui ouvre la voie avec ses Éléments de droit constitutionnel (1896), où, pour la première fois, les institutions sont comparées et examinées en fonction des idées et des forces en présence. En traitant, à la conférence d’agrégation de droit public, le même sujet du point de vue de la science politique et du point de vue du droit strict, Louis Rolland (1877-1956) montre l’intérêt de séparer les deux domaines. En 1949, enfin, Georges Burdeau accomplit le pas décisif en faisant de son livre, paru en 1943 sous le titre le Pouvoir politique et l’État, le premier tome d’un Traité de science politique. Du même coup, la science politique acquiert droit de cité.


Une science autonome

Désormais, la science politique s’affirme sous son nom véritable comme discipline indépendante. Les années 1950 — avec la parution, sous l’égide de l’Unesco, de la Science politique contemporaine (1951) — consacrent son existence sur le plan international. Dans la plupart des pays d’Occident, la science politique connaît un développement prodigieux.

Mais la science politique ne peut se prétendre une science qu’autant qu’elle a un objet propre, déterminé, qui puisse la distinguer des autres sciences. L’objet de la science politique va être désormais au centre des controverses.


L’objet de la science politique

Spécificité du politique ou spécificité de la politique ? Immédiatement, le concept de « politique » révèle son ambiguïté. Et le désaccord des « political scientists » sur leur nom traduit bien leurs conceptions différentes de la discipline. Faut-il, par référence à la polis, se dire « politologues » comme le prétend Marcel Prélot, « politistes » comme François Goguel et Alfred Grosser, ou bien « politicologues » comme se nomment Georges Burdeau et Maurice Duverger, qui ont conscience de s’occuper de « politique » ?