Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

armement (suite)

Les échanges qui résultent de cette coopération université-industrie-armement sont profitables à tous, et l’on parle avec raison des « retombées » dans le secteur industriel résultant des études d’armement. L’exemple le plus caractéristique est celui du transistor, auquel le département américain de la Défense consacra des sommes considérables apparemment à fonds perdus. Cet effort financier fut compensé plus tard par un « dividende » dont l’électronique du « Polaris » et de l’« Apollo » représente depuis 1960 sans doute l’aspect le plus spectaculaire ; mais l’avance considérable acquise par l’industrie américaine dans le domaine de la radiotélévision et des ordinateurs en demeure une conséquence extrêmement rentable. C’est l’aviation supersonique militaire qui a ouvert la voie à la génération du « Concorde » (premier vol en 1969), et il n’est pas jusqu’aux études du laser* qui n’aient déjà porté leurs fruits : télémètre d’artillerie mais aussi mesures de haute précision, nouvelles mémoires optiques pour ordinateurs, premiers résultats positifs dans la réaction de fusion nucléaire contrôlée (1969).


Industrie, économie et fabrications d’armement

La participation de l’industrie aux fabrications d’armement est considérable, notamment dans le domaine des demi-produits et des matériaux d’avant-garde (trichites, matériaux en nids d’abeilles, etc.).

Si, dans divers pays, les armes classiques sont encore produites dans les arsenaux d’État, c’est le secteur civil (entreprises privées ou nationales) qui absorbe finalement la majeure partie des dépenses d’armement (80 p. 100 en France en 1968). Les techniques nouvelles (automobile, aviation, radio) ont en effet connu un développement si rapide dans l’industrie que, pour éviter de coûteux investissements, l’État a, le plus souvent, préféré lui acheter le matériel disponible ou rapidement adapté aux besoins militaires, quitte à subventionner les études jugées intéressantes et à en fixer les programmes. Ainsi, l’industrie d’armement est-elle étroitement liée à l’ensemble de l’économie. Elle revêt même un certain caractère commercial dans la mesure où, pour amortir le financement des frais de recherches en augmentant le volume des séries de matériels fabriqués, l’État autorise la vente sous son contrôle à des armées étrangères.

Tel est le nouveau visage des industries d’armement. Contraintes désormais de suivre jour après jour le progrès technique, elles ont abandonné depuis 1955-1960 le concept, bien établi depuis cinquante ans, de mobilisation industrielle, dont le principe même est mis en cause par le fait nucléaire. Un conflit atomique localisé paraît impensable et, s’il devait devenir mondial, entraînerait rapidement un volume de destructions tel que la seule préoccupation des nations qui subsisteraient serait d’assurer leur survie. Quant aux conflits localisés sans atome tels que le monde en connaît presque sans interruption depuis 1945, ils peuvent entraîner (comme aux États-Unis pour le Viêt-nam depuis 1965) une consommation très importante d’armements, mais la vie doit continuer, et l’activité de nations ainsi engagées ne peut plus être exclusivement orientée vers l’effort de guerre.


La fabrication des armements en France

Les données nouvelles qui viennent d’être très succinctement évoquées ont bouleversé dans tous les pays et singulièrement en France l’organisation des fabrications d’armement. Pour comprendre la situation qui en résulte aujourd’hui, s’impose un rapide survol de la lente et très pragmatique évolution qui, à travers les âges, a donné à l’industrie française d’armement la place qu’elle occupe dans l’histoire du pays.


De l’atelier artisanal à l’arsenal

À l’époque de la préhistoire, les premières armes, tel le coup-de-poing chelléen en pierre taillée, étaient fabriquées dans des chantiers de travail, dont certains ont été retrouvés. La production des armes demeura très longtemps artisanale ; à l’époque romaine, affranchis et esclaves y travaillent sous la direction de chevaliers, et, dans le haut Moyen Âge, ce sont les corps de métiers qui fabriquent épées, lances, armures et machines de guerre les plus diverses. Chaque seigneur équipant lui-même ses hommes, il en résulte une grande disparité, jusqu’au moment où le roi, affirmant son pouvoir, crée au xve s. les premiers éléments d’une armée nationale.

L’institution du grand maître de l’artillerie, dont le rôle est à la fois technique, militaire et administratif, inaugure l’intervention de l’État dans la fabrication des armements. Sous François Ier apparaît avec l’arsenal de Paris le premier établissement « royal » d’armement : mis à la disposition d’un entrepreneur, il assure la fonderie des grosses pièces en bronze.


Naissance de l’industrie d’armement (xviie-xviiie s.)

Avec la définition, en 1552, des six calibres de France est franchie la première étape vers une certaine uniformisation des matériels (v. canon). Mais il faudra attendre Colbert pour voir naître en France une véritable industrie d’armement. À cet effet, le ministre de Louis XIV fait venir des armuriers étrangers et crée de nouveaux arsenaux. À la fin du xviie s. existent 19 moulins à poudre, 10 arsenaux, 5 fonderies royales (Paris, Douai, Strasbourg, Lyon et Perpignan) et des manufactures d’armes, dans lesquelles sont regroupés des artisans à Charleville, à Maubeuge et à Saint-Étienne. La gestion de l’ensemble est confiée à un entrepreneur général, la réception du matériel aux armuriers du grand maître de l’artillerie. En 1665 est installé le magasin royal des armes de la Bastille, fournisseur des magasins locaux des places frontières, auxquels les capitaines sont tenus d’acheter les armes des compagnies dont ils sont propriétaires. Une certaine uniformité est ainsi obtenue pour l’armement léger ; pour les canons, la question ne se pose pas, car ils sont propriété du roi. Quant aux vaisseaux de guerre, ils sont construits et équipés sous l’autorité du secrétaire d’État, déléguée à partir de 1765 à un corps d’ingénieurs constructeurs (qui deviendra le génie maritime en 1799). Leurs armes légères sont fournies par les artisans de Tulle ; leurs canons, la plupart en fonte par raison d’économie, sortent de la fonderie de Ruelle, d’où ils sont acheminés par la Charente vers Rochefort.