Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

poème symphonique (suite)

Jean Sibelius, représentant de la musique finlandaise, inspiré par le chant populaire, par la nature et le rêve, a laissé un poème, Finlandia (1899), dicté par l’amour de la terre natale. Citons aussi la Fille de Pohjola (1906), Chevauchée nocturne et lever de soleil (1907), la Dryade (1910) et Rakastava (1911), qui montrent l’intérêt porté par Sibelius au poème symphonique.

César Franck est l’auteur des Eolides (1876), d’après Leconte de Lisle, du Chasseur maudit (1882), d’après une ballade de Bürger, de Psyché (1888), sorte de symphonie avec chœurs, et des Djinns (1884), avec piano principal. On doit à Vincent d’Indy la Forêt enchantée (1878), Wallenstein (1880), Jour d’été à la montagne (1906). Viviane, écrite en 1882 par Ernest Chausson, est une légende d’inspiration poétique. En France, la fin du xixe s. avait été marquée par l’Apprenti sorcier (1897) de Paul Dukas, d’après Goethe, scherzo traité avec une imagination prodigieuse, et par la Procession nocturne, (1899) d’Henri Rabaud, d’après N. Lenau, où le thème d’un cantique plonge l’auditeur dans une atmosphère mélancolique.

Hugo Wolf, avec Penthésilée (1883), Bartók, avec Kossuth (1904), et Schönberg, avec Pelléas et Mélisande (1903), ont été tentés épisodiquement par le poème symphonique, qui a connu une survie au xxe s avec des œuvres dont le caractère est proche, comme la Mer de Debussy (1905), esquisses symphoniques qui suggèrent trois aspects de l’océan. Des tableaux musicaux comme Nuits dans les jardins d’Espagne de Manuel de Falla et les Fontaines de Rome de Respighi doivent être mentionnés en marge du poème symphonique ainsi que des poèmes dansés comme la Péri de Dukas et la Valse de Ravel, qui, au concert, sans la danse, deviennent de véritables poèmes symphoniques.

Reflet d’une époque, le poème symphonique est un des rares genres musicaux qui aura mis si longtemps à s’organiser. Il tentera des symphonistes en quête d’une expression renouvelée. S’il survit difficilement, il aura ouvert la route à des compositions voisines, comme les mouvements symphoniques de Honegger : Pacific 231 (1923) et Rugby (1928).

M. M.

 R. Dumesnil, Portraits de musiciens français (Plon, 1938). / J. Chantavoine, le Poème symphonique (Larousse, 1950). / A. Hodeir, les Formes de la musique (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1951 ; 5e éd., 1969). / C. Rostand, Liszt (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1960). / D. Jameux, Richard Strauss (Éd. du Seuil, 1971).

poétique

Étude de la littérarité (traduction du mot russe literatournost), c’est-à-dire de ce qui fait d’une œuvre donnée une œuvre littéraire.


La notion moderne recouverte par l’étiquette poétique prend sa source dans les travaux des formalistes russes publiés entre 1915 et 1930. Elle est liée aux progrès de la théorie linguistique et à l’extension des théories du sujet et de l’histoire.


Les formalistes russes et l’école de Prague

Les linguistes de cette époque pensent que le langage a différentes fonctions hiérarchisées. La principale leur semble être la fonction sociale, dite « fonction communicative ». Cependant, lorsque les nécessités de l’intercompréhension se relâchent, d’autres fonctions peuvent apparaître. C’est ainsi que, dans la première publication collective des formalistes, en 1916, s’opposent deux systèmes d’expression : « Les phénomènes linguistiques doivent être classés au point de vue visé dans chaque cas particulier par le sujet parlant. S’il les utilise dans le but purement pratique de communication, il s’agit du système de la langue quotidienne (de la pensée verbale), dans laquelle les formants linguistiques (les sons, les éléments morphologiques, etc.) n’ont pas de valeur autonome et ne sont qu’un moyen de communication. Mais on peut imaginer (et ils existent en réalité) d’autres systèmes linguistiques, dans lesquels le but pratique recule au deuxième plan (bien qu’il ne disparaisse pas entièrement) et les formants linguistiques obtiennent alors une valeur autonome. »

Cette même répartition se retrouve dans les Thèses du cercle de linguistique de Prague (publiées en 1929) : le langage a un rôle social ; dans sa fonction de communication, « il est dirigé vers le signifié » ; dans sa « fonction poétique », « il est dirigé vers le signe lui-même ».

Substituer signe à signifié implique que l’utilisateur du langage (auteur et lecteur) prête attention au signifiant, au « côté palpable » des signes, selon l’expression du linguiste d’origine russe Roman Jakobson* ; plus généralement, il devra accorder à tous les plans de la langue, phonique, morphologique, syntaxique, lexical, etc., le pouvoir de signifier. C’est ainsi que l’on peut lire dans les thèses du cercle de Prague que le parallélisme des structures phoniques réalisé par le rythme du vers, la rime, etc., constitue l’un des procédés les plus efficaces pour « actualiser » les divers plans linguistiques (Actualisation : « tel emploi des moyens de la langue qui attire lui-même l’attention et qui est reçu comme quelque chose d’inusité, dépourvu d’automatisation [...] »). Selon le postulat : une œuvre poétique est une structure fonctionnelle actualisée, il faudra donc montrer, par exemple, que la rime, loin de n’être qu’un jeu sonore, met en corrélation une structure phonique et une structure sémantique.


Linguistique, art et société

En 1960, se fondant sur une analyse linguistique, Roman Jakobson formule le principe d’équivalence. Après avoir rappelé que le fonctionnement du langage repose sur deux modes fondamentaux : la sélection (rôle de la métaphore) et la combinaison (rôle de la métonymie), il propose de voir dans la fonction poétique la projection du principe d’équivalence de l’axe de la sélection sur l’axe de la combinaison : « L’équivalence est promue au rang de procédé constitutif de la séquence » (Essais de linguistique générale).

Dans cette perspective, on définira la poétique « comme cette partie de la linguistique qui traite de la fonction poétique dans ses relations avec les autres fonctions du langage », à savoir, les fonctions référentielle, phatique, métalinguistique et les fonctions émotive et conative.

On pouvait penser que faire prévaloir la dimension linguistique donnait à la recherche poétique les moyens d’une certaine rigueur dans la définition des méthodes et leur application. Mais, en même temps, le souci de rendre compte de tout le fait littéraire d’une œuvre (sa littérarité) conduisait à faire jouer d’autres préoccupations, esthétiques et historiques principalement.