Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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poème symphonique (suite)

La Symphonie fantastique (1830) d’Hector Berlioz, en cinq épisodes, est la première partition romantique « à programme ». Parallèlement à sa musique, où un thème dit « de la bien-aimée » relie l’ensemble de la Symphonie fantastique, Berlioz écrivit un texte pour apporter des explications et justifier son œuvre. La musique de théâtre connaissait déjà dans ses préludes un raccourci du poème symphonique — qui, comme lui, est exécuté sans interruption —, puisque les thèmes du drame sont présents. Cependant, au xviiie s. et au début du xixe, l’ouverture de théâtre ne cherche pas à atteindre le caractère symbolique, qui est le propre du poème symphonique. Il faut noter que les ouvertures de Weber et certaines de Berlioz et de Wagner précèdent les premiers poèmes symphoniques de Liszt.

En 1837, Franz Liszt expose la théorie de la musique à programme, qui demeure très éloignée de la musique descriptive, puisque le programme doit rester d’ordre psychologique. Avant de livrer, à partir de 1849, ses poèmes symphoniques, il compose les Années de pèlerinage, œuvre de piano où le symbole est déjà présent. En 1849-50, il entreprend son premier poème symphonique, Ce qu’on entend sur la montagne (d’après Victor Hugo), suivi de Tasso, Lamento e trionfo. Il compose ensuite Prométhée, puis, en 1851, Mazeppa (d’après Victor Hugo) et, en 1853, Festklänge, Orphée, les Préludes (d’après Autran et Lamartine), Héroïde funèbre et Hungaria datent de 1854, la Bataille des Huns (d’après un tableau de W. von Kaulbach) et Die Ideale (d’après Schiller) de 1857, et Hamlet est de 1858. Le grand orchestre trouve chez Liszt l’utilisation de toutes ses ressources sonores. Les différences de timbre sont précieuses pour les effets de contraste, par exemple pour créer après un tumulte un climat d’extase ou de contemplation. Les douze poèmes symphoniques de Liszt forment un ensemble d’une richesse inouïe. Les Préludes offrent un exemple d’équilibre et comptent parmi les sommets du genre. Les cinq parties qui s’enchaînent symbolisent l’homme, être mortel, la félicité de l’union, la lutte pour l’existence, le refuge dans la nature et enfin la victoire qui couronne le combat.

Saint-Saëns, puis Smetana, R. Strauss, les Russes, C. Franck, Sibelius... s’engageront dans la voie tracée par Liszt. Grand admirateur de Liszt, Camille Saint-Saëns laisse quatre poèmes symphoniques : le Rouet d’Omphale (1871), Phaéton (1873), Danse macabre (1874) et la Jeunesse d’Hercule (1877). Il compose avec plus de transparence que son aîné et pour un orchestre moins dense. La Danse macabre, où le cliquetis des squelettes est évoqué par le jeu du xylophone, connaîtra une grande popularité en raison de son pittoresque. Sensiblement à la même époque, Bedřich Smetana écrit de 1874 à 1879 un cycle de six poèmes symphoniques (Ma patrie) : I « Vyšehrad », II « Vltava », III « Šárka », IV « Des près et des bois de Bohême », V « Tábor », VI « Blaník ». Cet hymne à la patrie tchèque, influencé par Liszt, constitue le premier cycle de poèmes symphoniques et demeure sans aucun doute le seul de cette importance. Le second de ces poèmes « Vltava » (« la Moldau »), le plus joué, correspond à une série d’images colorées de la rivière qui traverse le pays avec des scènes de la vie tchèque. Une des rares œuvres d’orchestre d’Henri Duparc est un poème symphonique, Lénore (1875), d’après la ballade de G. A. Bürger : la chasse fantastique y est évoquée d’une manière puissante. En 1889, âgé de vingt-cinq ans, Richard Strauss, après un essai, Aus Italien, aborde le poème symphonique avec Don Juan (d’après Lenau), dont l’orchestration cuivrée ne manque pas de panache. Il achève à la même époque Macbeth et Mort et Transfiguration. De 1894 à 1898, il compose Till Eulenspiegel, Ainsi parlait Zarathoustra, Don Quichotte et la Vie d’un héros. Inspiré par Nietzsche, Zarathoustra, qui porte le sous-titre de « Tondichtung », dépasse en durée (45 minutes) toutes les œuvres de ce genre écrites jusqu’alors. Comme pour Saint-Saëns et Smetana, la période créatrice des poèmes symphoniques de Strauss se trouve groupée dans la vie du compositeur.

En Russie, quatre du « groupe des Cinq » ont été tentés par le poème symphonique. En 1882, Balakirev dédie à Liszt Thamar, fruit d’un long travail. Borodine, avec Dans les steppes de l’Asie centrale (1880), donne une impression d’immensité d’une façon un peu magique. Il avait rédigé lui-même le programme de ce tableau, où une caravane s’éloigne dans le désert. Rimski-Korsakov — outre Antar et Shéhérazade, par certains côtés proches du poème symphonique — rend hommage à Balakirev en lui dédiant Sadko (1894-1896), écrit sur le modèle de Thamar et dont les pages hautes en couleur sont marquées par la danse orientale. Nuit sur le mont Chauve de Moussorgski, dont plusieurs versions ont précédé celle de concert qui est due aux remaniements de Rimski-Korsakov après la mort de Moussorgski, évoque un sabbat de sorciers et de sorcières étrange et fantastique, qui s’achève brusquement au moment où la cloche d’un couvent tinte. La première version d’une œuvre pour piano a pu engendrer un véritable poème symphonique. Liszt pensait sans doute au poème symphonique en écrivant pour le piano ses Années de pèlerinage. Moussorgski, après avoir visité une exposition d’aquarelles et de maquettes réalisée à la mémoire de son ami Viktor Aleksandrovitch Hartmann (1834-1873), compose pour le piano, en 1874, Tableaux d’une exposition, suite reliée par une « promenade ». Les Tableaux d’une exposition ont été plusieurs fois orchestrés, mais la version de Ravel (1922) à la demande de S. A. Koussevitski en fera un des plus beaux poèmes symphoniques russes et portera même quelque ombrage à la partition originale pour clavier. Le choix des timbres, toujours juste et qui ne trahit pas la pensée de Moussorgski, conduit Ravel à retenir le saxophone et le tuba comme éléments solistes à côté des instruments utilisés de façon plus traditionnelle.