Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Platon (suite)

Le platonisme

Peut-on parler du platonisme ? Au sens où, depuis Platon, la philosophie est métaphysique, opposant le sensible à l’intelligible et soumettant le premier au second, toute philosophie est par destin platonicienne. Pourtant, ce que le nom de Platon a représenté chez ceux qui, au cours de l’histoire de la philosophie, l’ont invoqué n’a pas cessé de varier. Le platonisme est soumis à l’histoire de la transmission du texte de Platon et varie selon la liberté des traductions et des commentaires au travers desquels elle s’effectue et selon celui ou ceux des dialogues sur lesquels ils portent.


L’Académie

L’école que Platon avait fondée devait survivre près de dix siècles à son fondateur. Il est vrai qu’il n’en fallut pas trois pour que l’enseignement qu’on y dispensait perdît tout rapport avec la doctrine du philosophe. On désigne par Ancienne et Nouvelle Académie les premiers temps de cette institution au cours desquels, pour diverses raisons, dont la moindre n’est pas la concurrence d’autres écoles comme le Lycée, fondé par Aristote, ou le Portique stoïcien, s’estompe progressivement le souvenir de la philosophie platonicienne. Les scolarques de l’Ancienne Académie furent de 348 à 339 Speusippe (neveu de Platon), de 339 à 315 Xénocrate, de 315 à 269 Polémon, de 269 à 268 Cratès. Tous orientent le platonisme vers une « métamathématique » qui, prolongeant les doctrines non écrites de Platon sur les nombres, le rapproche du pythagorisme. Avec la Nouvelle Académie (elle regroupe les scolarchats d’Arcésilas de Pitane, de Lacydes, de Téléclès ; également d’Évandre, de Hégésinus, de Carnéade, de Clitomachos et de Philon de Larissa, qui meurt v. 85-77 à Rome), le dogmatisme platonicien est soit critiqué, soit infléchi vers le scepticisme.


Rome

C’est donc un platonisme à peu de choses près défiguré que Philon introduit à Rome, où Cicéron*, qui fut son auditeur, en prend connaissance. On peut douter, d’ailleurs, que, si l’Académie avait été plus fidèle à la doctrine de son fondateur, le platonisme ait eu quelque chance de pénétrer à Rome. « Plato deus ille noster », écrit Cicéron à Atticus (IV, 6). Mais cette admiration que Cicéron ne ménage pas à Platon, c’est à la beauté des écrits, à la noblesse de la vie de Platon que Cicéron les porte ; ce n’est pas à sa philosophie.

Trait dominant de toute philosophie romaine, l’éclectisme caractérisera aussi ce platonisme, qui continuera d’exister à côté du stoïcisme, de l’épicurisme ou de l’aristotélisme. Dans cet éclectisme, divers éléments mystiques prendront vite le dessus, accusant une convergence du platonisme et du pythagorisme, d’ailleurs souvent déjà amorcée. C’est elle qui ressort en particulier de la pensée de Philon d’Alexandrie, du légendaire Apollonios de Tyane, de plusieurs écrits de Plutarque*, des œuvres philosophiques d’Apulée (auteur d’un De Platone) et surtout des doctrines gnostiques, d’inspiration judéo-chrétienne ou « égyptienne », qui se multiplient à partir du ier s. (Numenius d’Apamée, Ammonios).


Le néo-platonisme

Plotin* a été, à Alexandrie, l’élève d’Ammonios. Il sera l’animateur du néo-platonisme, courant qu’on a défini : « reprise des grandes doctrines helléniques dans la lumière du platonisme, curiosité intense pour les sagesses et religions orientales, recherche du salut autant que de la vérité, tendance à poser une procession intégrale, une transcendance intransigeante alliée à une immanence mystique » (J. Trouillard).

Par le contexte dans lequel il se développe, le néo-platonisme apparaît lié à une religiosité profondément mystique. À Rome comme à Alexandrie, il sera d’ailleurs accompagné de pratiques magiques plus ou moins ésotériques, de toutes sortes de mystères, etc. Il regroupera dans une semi-clandestinité les religions orientales, de plus en plus étouffées par les progrès du christianisme.

Aussi Plotin est-il avant tout un mystique qui demande simplement au langage philosophique de se greffer, pour la formaliser, sur une expérience antérieure. Entreprise qui, d’ailleurs, ne saurait atteindre, en tant que telle, à l’essentiel de cette expérience : l’absolu, en effet, échappe totalement à l’ordre du discours. Par rapport à l’« extase » mystique, la philosophie occupe chez Plotin une place analogue à celle que les mathématiques occupaient chez Platon en face de la philosophie. La dette à l’égard de Platon tient d’abord dans la doctrine de l’Un, qui est pour Plotin la première hypostase (à côté de l’Être et de l’Esprit, qui composent la deuxième, et de l’Âme, qui est la troisième). L’Un est au-dessus de l’Être (comme chez Platon le Bien) : « Pour que l’Être soit, il faut que l’Un ne soit pas l’Être. » Ces développements doivent presque tout au Parménide. Ils annoncent la théologie négative, qui peut paraître, du pseudo-Denys l’Aréopagite à Nicolas de Cusa, comme le fil conducteur du platonisme chrétien.

Porphyre (qui a aidé Plotin à gérer l’école qu’il avait fondée à Rome), Amélios, Jamblique, Proclus surtout et Damaskios, enfin, prolongeront la pensée de Plotin jusqu’au vie s.


La Renaissance

Il y a eu des platoniciens au Moyen Âge : certains l’étaient sans le savoir, d’autres revendiquaient ce titre sans que nous puissions aujourd’hui en comprendre les raisons. C’est que l’accès aux textes se limitait à presque rien, comme Abélard le reconnaissait : « Latinitas nostra Platonis opera non cognovit. » En effet, les seuls textes accessibles sont la traduction du Timée faite au ive s. par Chalcidius, celle du Ménon et du Phédon par Henri Aristippe (1154 et 1156). À la fin du xive s., ces trois dialogues sont encore les seuls lisibles.

C’est à Pétrarque* que revient dans la résurrection de Platon le rôle essentiel. Non qu’il ait jamais eu du platonisme une connaissance profonde ni étendue, mais — pour des raisons qui associent la lecture de saint Augustin et son amour pour Laure —, par ses écrits et ses recherches, il est le principal initiateur du réveil du platonisme. Après sa mort paraîtront en effet les traductions de Leonardo Bruni (Phédon, 1405 ; Gorgias, 1409 ; Criton, Lettres, 1423 ; Apologie, 1424). Puis on opposera ce Platon redécouvert à un Aristote qui avait trop longtemps usurpé sa place ; c’est ce que font en 1439 Gémiste Pléthon dans un parallèle entre les doctrines de Platon et d’Aristote et en 1469 le cardinal Bessarion avec In calumniatorem Platonis. Alors viendra Marsile Ficin, fondateur de l’Académie florentine, à travers laquelle ce platonisme gagnera toute l’Europe.