Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Pitt (William) (suite)

Le triomphe de Pitt

La politique de Pitt est tout arrêtée : la levée de deux régiments écossais lui fournit d’excellents soldats et supprime la menace d’une révolte en faveur des Stuarts. La milice est réorganisée, ce qui permet d’envoyer toutes les troupes régulières en Allemagne et dans les colonies. L’aide à Frédéric II est renforcée : d’importants subsides lui sont envoyés, et une armée d’observation mise sur pied au Hanovre. Le succès ne vient pas de suite : battue à Hastenbeck (26 juill. 1757), l’armée du Hanovre capitule. Le massacre des Anglais à Calcutta, la retraite anglaise devant Louisbourg au Canada* sont aussi de graves échecs. C’est de l’Inde que viennent les signes du renouveau. À Plassey (juin 1757), le général Robert Clive conquiert le Bengale. Au Canada, Pitt conçoit une attaque des positions françaises dans trois directions, Louisbourg, qui commande l’entrée du Saint-Laurent, Fort-Duquesne, qui interdit l’accès de la grande plaine, et enfin Québec et Montréal. La première offensive ne permet que la prise de Louisbourg (27 juill. 1758) : les Français ne peuvent plus recevoir de renforts. En 1759, le général James Wolfe, que Pitt a imposé, bat le marquis de Montcalm aux plaines d’Abraham : Québec tombe.

En 1760, c’est le tour de Montréal, et, le 8 septembre, le gouverneur général du Canada rend le pays à l’Angleterre. Ces succès ont été facilités par l’efficacité du blocus imposé par la marine britannique sur les côtes françaises : bloquée à Brest et à Toulon, la flotte française est incapable de secourir les colonies attaquées. Lorsque la flotte de Brest réussit à s’échapper, elle est taillée en pièces, en pleine tempête, dans la baie de Quiberon, par l’amiral Edward Hawke (1759).

Dès lors, la victoire est assurée : la Guadeloupe et en 1762 la Martinique sont conquises ; Gorée et Saint-Louis du Sénégal ayant été occupés dès 1758, l’Empire* colonial français est entièrement démantelé. Sur le continent européen, à la surprise générale, Frédéric II va de succès en succès. La reprise en main de l’armée anglaise permet à Pitt de lui apporter une aide précieuse : victorieuse à Minden (1759), l’armée anglaise fait un utile effet de diversion.

La situation politique de Pitt, malgré ses succès, se détériore cependant : George II est mort, et Pitt s’est montré d’une insigne maladresse à l’égard du conseiller politique de son successeur, John Stuart, comte de Bute.

Or, George III tient absolument à l’entrée au ministère de Bute. Surtout, Pitt veut poursuivre la guerre jusqu’au bout, dépouiller complètement la France. Et tous les hommes politiques anglais, à commencer par Newcastle et Hardwicke, s’inquiètent de cette ambition : les finances sont épuisées, et ils craignent une coalition de toute l’Europe contre une Angleterre trop puissante.

Enfin de compte, Pitt est acculé à la démission. Impuissant, il assiste aux imprudences de Bute et de George III, qui, tout en mettant sur pied des expéditions aussi coûteuses qu’inutiles, engagent à la légère des pourparlers de paix. Lorsque les clauses du traité de Paris qui restitue à la France la Guadeloupe, la Martinique et ses établissements d’Afrique occidentale sont présentées à la Chambre des communes, il fait l’un de ses plus grands discours : 65 députés seulement votent comme lui contre le traité (1763).


Les dernières années de la carrière politique de Pitt

Pitt manque des qualités nécessaires à un homme d’opposition. Tout entier à ses rancunes, il est incapable de s’entendre avec les chefs des factions whigs qui se trouvent dans l’opposition : d’abord avec Newcastle et Hardwicke, que la folle politique de Bute a fini par rejeter dans l’opposition, puis, après la mort de Newcastle, avec la faction dirigée par le marquis de Rockingham et surtout par Edmund Burke.

L’accord ne dépend pas seulement de querelles de personnes. Sur les trois grands problèmes qui se posent à l’Angleterre, Pitt a des vues qui effraient la plupart de ses collègues. Le premier problème est le problème indien : la Compagnie des Indes orientales, devenue détentrice d’un immense empire (v. Empire britannique) qu’elle ne peut conserver qu’avec l’appui de la marine anglaise. Et son administration est très critiquée. Pitt pense que la seule fonction de la Compagnie est de faire du commerce et qu’il faut donc trouver une nouvelle solution.

À propos du problème américain qui s’est posé lorsque des mesures imprudentes de taxation ont provoqué l’indignation des colons d’Amérique du Nord, Pitt adopte une position très favorable aux colons. À son avis, il faut faire toutes les concessions, tout en veillant au maintien de la souveraineté anglaise ; une autre politique ferait le jeu de la France.

Mais c’est l’affaire Wilkes qui contribue le plus à le séparer des hommes politiques whigs. John Wilkes (1727-1797) est un démagogue de mœurs douteuses, et Pitt n’a aucune sympathie pour lui. Mais lorsque ce député aux Communes a été arrêté selon une procédure exceptionnelle pour avoir publié un article hostile à George III (1763), Pitt juge les libertés fondamentales du pays violées et il n’entend faire aucune concession sur ce point. Le malheur est que George III a une position aussi tranchée contre Wilkes.

Pourtant, la situation devient si grave, l’opinion si hostile qu’en 1766 George III se résigne à faire appel à l’homme providentiel qui a déjà sauvé l’Angleterre du désastre. Pitt s’entoure de ministres jeunes et inexpérimentés, sans appuis politiques, tels Charles Townshend et William Petty Fitzmaurice, comte de Shelburne. Mais il ne peut jouir que de quatre semaines de lucidité : bientôt, il sera complètement annihilé par la folie.

Townshend prend bien vite le dessus dans le ministère pour pratiquer à l’égard des colons américains une désastreuse politique de provocation. Pourtant, George III ne veut pas se passer de la caution du grand homme d’État ; c’est ainsi que survivra ce curieux ministère Pitt, appliquant une politique contraire à celle de son chef... Ce n’est qu’à l’automne de 1768 que Pitt retrouvera suffisamment de lucidité pour démissionner. Son rôle est presque terminé.