Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

Pinter (Harold)

Dramaturge anglais (Londres 1930).


Harold Pinter offre bien des points communs avec les « Jeunes* Gens en colère ». Il appartient à la génération des A. Sillitoe (né en 1928), J. Arden (né en 1930), S. Holroyd (né en 1933)... Fils d’un tailleur juif de l’East End, comme A. Wesker, acteur de théâtre, scénariste* de films, comme J. Osborne (notamment pour quatre films de J. Losey* : The Servant, 1963 ; Accident, 1966 ; The Go-Between, 1971 ; À la recherche du temps perdu, 1973), il ne saurait se classer lui non plus parmi les conformistes. Son théâtre ne suit pas les voies traditionnelles. Et pourtant Pinter n’est pas « en colère ». On ne le voit pas « rebelle sans cause ». Ni révolté « engagé ». Son théâtre s’intéresse peu à la politique ou aux idéologies, d’où qu’elles viennent. D’un autre côté, il refuse les poncifs à la mode autant que les chemins commodes et de tout repos. En résumé, comme il le dit lui-même, il ne « considère pas une pièce comme un moyen de parler de sexe et de politique et de plaire à tout le monde ». Homme flegmatique, discret et ironique, comme un vrai Britannique, il quitte cependant la Hackney Downs Grammar School en 1946, deux ans à peine après son entrée, parce qu’il « en avai(t) marre » et, à la Royal Academy of Dramatic Art, qu’il ne fréquente que six mois en 1947, il oublie souvent d’assister aux cours. Il n’accepte pas de faire son service militaire en 1948, paye une amende de trente livres pour cela et tient à l’intégrité absolue de son Landscape (1969) jusqu’au moindre « m... ». Il connaît aussi des « jobs » alimentaires les plus variés, serveur, plongeur, « videur » dans des établissements publics tels que le Astoria Dance Hall ou le National Liberal Club. Mais ces expériences ne l’inclinent pas pour autant au réalisme social tel que le pratique la « kitchen sink school ». Après la reprise en 1949 de ses études dramatiques à la Central School of Speech and Drama, il commence en 1950 son métier d’acteur à la radio. Pour celle-ci, il écrira d’ailleurs A Slight Ache (Une petite douleur, 1958), A Night Out (Une nuit de sortie, 1958), The Dwarfs (les Nains, 1961). Plusieurs de ses pièces passeront à la télévision avant même d’affronter le public du théâtre, comme The Collection (la Collection, 1962). Pinter lit énormément, lui qui déjà à treize ans faisait de Dylan Thomas son idole. Il se cultive. La poésie l’attire. Dès 1950, il donne New Year in the Midlands, Chandeliers and Shadows, Rural Idyll... Mais très vite il se tourne vers le théâtre, la grande affaire de sa vie. En 1957, alors qu’il joue un peu partout en province, sous le nom de David Baron, principalement dans des pièces de Shakespeare, des farces ou des pièces policières, à la demande et pour les élèves de son ami Henry Wolf, professeur à l’école de théâtre de l’université de Bristol, il écrit en quatre jours sa première pièce, The Room (la Chambre). La personnalité de cet admirateur de Beckett* s’épanouit cependant avec suffisamment de vigueur pour qu’on découvre ce qui va devenir le théâtre « pinteresque ». Opaque. Nous disant peu. Nous cachant pour ainsi dire tout. Pinter apparaît le champion de l’« understatement », de la litote, de l’euphémisme, du théâtre de l’« écran de fumée », de l’improvisation, de la banalité bizarre, où les messages sont absents et les héros fatigués. Comme Alice au pays des merveilles, le spectateur perd pied et tombe dans le puits, privé de tous ses appuis traditionnels. Il cherche en vain une intrigue cohérente, des dialogues clairs, une psychologie se tenant, des personnages aux motivations logiques. Il entre dans un pays aux critères déconcertants, où des héros à la conversation imperturbable et absurde ne veulent livrer ni leur origine ni leur personnalité. Énigmatiques, parfois menaçants, d’où sortent-ils ? Où se dirigent-ils ? Les questions s’accumulent donc dans ce monde qui ne repose plus sur la psychologie classique. Théâtre du point d’interrogation, pourrait-on dire, du pourquoi qui ne trouvera jamais de réponse, comme souvent dans la vie de tous les jours. Tout s’y révèle comme sous l’optique d’un voisin un peu curieux. Il entrevoit des choses, des gens, des allées et venues. Il saisit des bribes de conversation, mais sans en détenir la clef. Cela arrive à tout le monde dans le quotidien, mais nous n’y prêtons pas attention. Voilà, semble-t-il, un des sens du théâtre de Pinter. On ne le comprit pas tout de suite. The Birthday Party (l’Anniversaire, 1957), un four complet, ne connaît enfin le succès qu’en 1965. La Chambre attend 1960 pour cela. Et si The Caretaker (le Gardien, 1960) fait recette dès sa sortie à Londres, il n’en va pas de même à Paris en 1960. La France agrée Pinter seulement en 1965 avec The Collection (la Collection, 1962) et The Lover (l’Amant, 1962). Le Gardien renaît alors de ses cendres en 1969. Le théâtre de Pinter se place sous le signe de la liberté. Pas celle de l’auteur. Celle des personnages. L’imprévisible et l’incertitude le régissent. Le lieu reste un monde fermé à un univers extérieur le plus souvent hostile. On passe de la chambre close, comme celle où vivent Rose et Bert Hudd (la Chambre) ou celle du Gardien, à la salle de séjour comme celle de l’Anniversaire ou de The Home Coming (le Retour, 1965). Parfois, il devient extrêmement vague, comme dans Silence (1969), où il se réduit aux dimensions d’un simple miroir incliné. Nul symbole là-dedans si l’on s’en réfère aux mises au point un brin agacées de Pinter affirmant qu’il ne reconnaîtrait pas un symbole s’il en rencontrait un. D’une façon générale, cependant, partant du principe moliéresque qu’on peut fort bien faire — comme pour la prose — du symbole sans le savoir, on constate que ce petit univers étriqué des personnages n’en constitue pas moins une image d’un paradis qu’ils redoutent de perdre pour se voir rejetés dans ces ténèbres « où il y aura des pleurs et des grincements de dents ». Dans ces pièces, généralement courtes, menace, angoisse, tension, confusion — tout cela sans contours nettement définis — sont les moteurs de ce qui tient lieu d’action. Peur de Rose (la Chambre), tension entre Gus et Ben dans The Dumb Waiter (le Monte-charge, 1957), menace qui pèse sur Stanley (l’Anniversaire). À cette atmosphère plutôt mystérieuse entretenue par des agents du dehors (tels des Riley ou des Golberg) s’entremêlent aussi la jalousie — celle de James (la Collection) — ou les « jeux dangereux » de Sarah et Richard son mari, par exemple, qui jouent à introduire dans leur vie des amants et des maîtresses dont ils interprètent eux-mêmes le rôle (l’Amant). Les personnages à l’identité parfois incertaine (le clochard Davies) se révèlent médiocres et sans envergure. Ainsi, dans le Retour, autour de Ruth, ancien modèle nu et femme de Teddy revenu d’Amérique, Max (le père), Lenny et Joey (les frères) échafaudent des projets de prostitution fructueuse. Mais, dans la médiocrité, la palme revient sans doute à Davies, le « Gardien », inénarrable clochard à la fois ignoble et pitoyable, lâche devant le plus fort (Mick), arrogant devant le plus désarmé (Aston). Pinter ne cherche pas à attirer la sympathie à ses personnages. Quant à ceux-ci, trop occupés à ne rien faire, ils se refusent tout effort vers quelque chose de plus haut. Et si l’un deux par hasard manifeste quelque bonté (Aston), on s’aperçoit qu’il ne jouit pas de toutes ses facultés. Ces individus essentiellement changeants selon l’humeur du moment — voir le vieux Max — flottent entre l’évasif, les contradictions et le mensonge. Dans ce théâtre de la non-communication, le dialogue n’éclaircit pas la situation, par exemple dans Silence ou Paysage, où les paroles coulent parallèlement sans former d’échange. Ces bavards intarissables, face à face ou au téléphone, ne paraissent se complaire que dans le lieu commun, aliment naturel de leur conversation, et dans la dérobade allusive. Conversation allusive, car, dit Pinter, « le langage que nous entendons est un signe de celui que nous n’entendons pas ». Cela frappe surtout dans Old Times (C’était hier, 1970), baigné d’une atmosphère plus confuse que jamais, où Kate et Deeley (les époux) et Anna (l’agent extérieur) conversent et où, sous les silences et les propos énigmatiques et intentionnels, sourdent solitude, jalousie et désir. Ces conversations de Pinter créent une atmosphère particulière où l’humour et l’orage s’entremêlent. Les nombreux silences, devenus célèbres, pèsent autant que les paroles. Entre la peinture d’un monde rose et celle d’un monde pessimiste, Pinter a choisi de représenter un univers ni plus laid ni plus héroïque que celui de tout un chacun.

D. S.-F.